L’Organisation mondiale de la santé (OMS) tout comme le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) le classe comme « cancérogène probable », la France s’est donnée pour objectif de sortir de l’essentiel des utilisations de ce désherbant malgré la bronca des organisations agricoles qui s’y opposent, pointant l’absence de produit alternatif. Le glyphosate, l’un des herbicides les plus utilisés au monde, est actuellement autorisé au sein de l’Union européenne jusqu’au 15 décembre 2022. Une autorisation qui pourrait être prolongée si de nouvelles études apparaissent d’ici là. C’est ce qui s’est passé ce 31 mai avec la sortie du rapport de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui estime que le glyphosate ne peut pas être considéré comme « cancérogène », évoquant « un manque de données sur le sujet ». Pourtant les études sur ce pesticide existent en abondance. En janvier dernier, un rapport pointait l’omniprésence de ce produit dans l’organisme de tous les Français, adultes comme enfants.
Une vaste étude révèle que tous les Français ont dans leur organisme le pesticide le plus répandu, le glyphosate. Que l’on soit adulte, enfant, consommateur bio scrupuleux, habitant de la ville comme de la campagne, nos urines présentent tout au long de l’année, un taux élevé de ce produit controversé inventé par la firme Monsanto.
L’enquête menée à l’initiative de l’association Campagne glyphosate a consisté à tester 6 848 volontaires sur tout le territoire français, le plus large échantillon européen jamais consulté en la matière. L’étude complète a été publiée il y a quelques jours dans la revue Environmental Science and Pollution Research. Les résultats sont sans appel : 99.8 % des adultes et enfants testés avaient du glyphosate dans leurs urines. Et pas en petites quantités puisque le taux moyen s’établit à 1,19 nanogramme par millilitre (ng/ml), soit douze fois la norme qui s’applique pour l’eau potable.
Dans leur compte rendu, les chercheurs rappellent que la France figure parmi les dix premiers pays consommateurs de pesticides au monde et est le premier de l’UE. Au cours des dernières décennies, le modèle agricole français dominant a évolué vers une agriculture plus intensive avec une utilisation accrue de produits chimiques et plus particulièrement, le glyphosate, commercialisé dès 1974 par Monsanto sous la marque Roundup. Depuis 2000, le brevet est passé dans le domaine public et ce produit a dès lors été commercialisé par de nombreuses autres entreprises.
Tout le monde est concerné
Menée sous l’égide d’un comité scientifique, l’étude a mobilisé une cohorte de 6 848 participants volontaires issus de 84 départements, entre juin 2018 et janvier 2020. Des prélèvements d’urine ont été effectués sous contrôle d’huissier, puis analysés, via la méthode Elisa, par un laboratoire unique afin d’éviter les biais méthodologiques : l’allemand Biochek. Les prélèvements étaient accompagnés d’un questionnaire de mode de vie administré pour chaque participant. Les chercheurs reconnaissent que cet échantillon de volontaires n’est pas complètement représentatif par rapport à la population française. Y sont en effet surreprésentés des personnes sensibilisées à la problématique des pesticides et notamment les femmes, de gros consommateurs de produits bio ainsi que des agriculteurs. Selon le statisticien Daniel Grau ayant participé à cette étude, compte tenu du biais de représentativité, les résultats sont sous-évalués par rapport à un échantillon totalement représentatif.
Quand on analyse les résultats par catégories de population, on observe une confirmation de nombreuses études précédentes : les taux de glyphosates sont plus élevés chez les hommes et les professions travaillant directement avec des pesticides : agriculteurs et surtout viticulteurs. Mais la recherche fait aussi apparaître un taux plus élevé que la moyenne chez les fumeurs, le glyphosate étant utilisé comme dessicant en prérécolte par les fabricants de tabac. De même, les consommateurs de jus de fruits en général et d’oranges en particulier présentent des taux de glyphosate supérieurs à la moyenne ; ce phénomène touche principalement les enfants, plus gros consommateurs de ces produits. Les chercheurs signalent à cet égard que le taux élevé de glyphosate peut être mis en rapport avec le nombre élevé de pulvérisations chimiques utilisées pour la culture des fruits.
L’étude nous apprend aussi que les consommateurs de bière présentent des taux élevés de glyphosate dans leurs fluides corporels. Enfin, les chercheurs ont constaté un taux de contamination plus élevé chez les personnes consommant de l’eau du robinet, de l’eau de source ou de puits plutôt que de l’eau filtrée. Ils n’ont en revanche trouvé aucune trace significative dans les eaux minérales en bouteille.
L’étude fait apparaître que les jeunes de moins de 15 ans présentent des taux de glyphosate supérieurs à la moyenne. Ces niveaux élevés peuvent être associés, selon les chercheurs, aux habitudes alimentaires (en particulier les céréales pour nourrissons), à la physiologie et au métabolisme (les enfants respirent et boivent deux fois plus que les adultes), aux activités physiques, au comportement et aux habitudes d’hygiène avec une plus grande ingestion de sol.
Une pierre de plus dans la bataille contre le glyphosate
Les auteurs de l’étude confirment une contamination au glyphosate supérieure pendant certaines périodes de l’année et notamment le printemps. Ils suggèrent que cette surreprésentation correspond aux périodes d’épandage des pesticides en agriculture. Si cette hypothèse était avérée, il faudrait alors s’interroger sur un autre type de contamination complémentaire, par voie aérienne et respiratoire cette fois. Ce sujet n’est pas abordé par l’ensemble des recherches en toxicologie et particulièrement celle réalisée par l’Inserm en septembre 2019, ayant fait l’impasse sur l’absorption de glyphosate par inhalation.
Cette étude présente certes des zones méritant d’être approfondies par d’autres recherches, mais elle prend à contrepied les conclusions des deux institutions — l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) — chargées des évaluations de l’herbicide en vue du renouvellement de son autorisation en Europe.
Les évaluateurs européens s’étaient attachés à nier tout risque de toxicité du glyphosate – alors même que ce dernier a été classé comme « cancérogène probable » par l’Organisation mondiale de la santé en 2015 et qu’une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait conclu, en 2021, à une « présomption moyenne » de lien entre l’exposition au pesticide et le développement d’un cancer.
En 2020, le président Macron avait déclaré vouloir interdire le glyphosate à l’échelle européenne d’ici 2022. Occupant pour six mois la présidence tournante du Conseil européen, tiendra-t-il son engagement ? Le journal Actu-environnement rappelle qu’entre fin 2017 et début 2018, plus de 5 000 plaintes individuelles ont été déposées au pénal, au pôle de Santé publique, pour « mise en danger de la vie d’autrui », « atteinte à l’environnement » et « tromperie aggravée ». Visant non pas les organismes eux-mêmes, ou les fabricants de produits ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), mais les personnes en charge de ces organismes, ces plaintes sont en cours d’instruction.
Première publication dans UP’ Magazine le 17 janvier 2022
« Les chercheurs signalent à cet égard que le taux élevé de glyphosate peut être mis en rapport avec le nombre élevé de pulvérisations chimiques utilisées pour la culture des fruits. » Plutôt curieuse cette affirmation. Les multiples traitements réalisés sur les arbres fruitiers sont à base de fongicides et insecticides. Si du glyphosate (herbicide) se retrouve dans les jus, c’est qu’il est passé par les racines. Pourquoi pas, mais je vois mal des arboriculteurs pulvériser du glyphosate dans leur verger au risque de détruire leurs arbres. Comme dit dans la pub Roundup, le produit passe par la feuille pour détruire… Lire la suite »