A partir des Chroniques de Joël de Rosnay sur le site de Swiss Up, faites dans les années 2002-2003 comme des prédictions, UP’ Magazine se propose de vous les retranscrire ici semaine par semaine, pour un peu de réflexion sur le temps qui a passé. Avait-il vu juste ?
La panoplie et les lieux de travail de l’étudiant traditionnel sont bien connus : manuels scolaires et universitaires, polycopiés, cahiers, bloc-notes, stylos, bibliothèques, salles de conférences, amphithéâtres… Mais depuis quelques années, de nouveaux outils de communication et de traitement de l’information sont venus se glisser dans l’environnement et les pratiques des étudiants : calculettes, ordinateurs portables, pocket PC, Internet, téléphones portables, CD-Rom et DVD, salles de visioconférence, e-learning, etc.
Un des problèmes majeurs qui se pose aujourd’hui aux étudiants est de savoir tirer parti de ces puissants outils et d’appliquer les méthodes les plus efficaces pour rechercher, stocker, utiliser l’information essentielle à leurs cours et à leurs examens. On assiste, en effet, à une nouvelle forme de pollution par l’information, à une véritable « infopollution », liée à un encombrement du temps, par suite de l’usage, souvent mal maîtrisé, des ordinateurs et d’Internet.
Or, ces nouvelles technologies n’auront pas réponse à tout. Elles ne pourront apporter, de manière magique, des solutions à tous les problèmes qui se posent aux étudiants. Les méthodes traditionnelles continueront pendant longtemps à avoir leurs avantages : rencontres avec les professeurs, séminaires, convivialité des débats entre étudiants, études de cas, etc. L’efficacité des outils modernes devra donc reposer sur une meilleure maîtrise du temps et une véritable « diététique de l’information », permettant de sélectionner et de trier les informations pertinentes.
Afin de mieux saisir ce que pourraient apporter à l’étudiant de demain ces nouvelles technologies de la communication et du traitement de l’information – et sans traiter ici des contenus des cours, voici un scénario possible, à quelques années d’ici, relatant la pratique quotidienne d’une étudiante, Sandra, confrontée à ces techniques.
L’une des activités les plus importantes de Sandra pour le suivi de ses cours et la préparation de ses examens est la recherche, le stockage et l’usage pertinent de l’information. Elle utilise pour cela les nouveaux moteurs de recherche sur Internet qui ont suivi la génération de Google.com, très utilisé au début des années 2000. Grâce à des agents intelligents, elle peut rechercher de manière contextuelle les informations dont elle a besoin, car le Web est devenu « sémantique »: la recherche se fait de manière implicite, en fonction de recherches précédentes et des résultats des recherches en cours. Internet a acquis une sorte « d’intuition ». Ces nouveaux moteurs de recherche ne font pas que présenter une liste de sites correspondant aux mots-clés introduits, ils proposent d’autres voies de recherche se rapportant à des thèmes liés. Sandra a également accès à des bibliographies déjà réalisées, des stocks de diapositives, des extraits de livres, dont elle pourra adapter les contenus en fonction de ses besoins.
Lorsqu’elle ne dispose pas de son ordinateur personnel, Sandra se rend dans une des « cantines du cerveau » de son université. Un lieu analogue à une cantine, ouvert en permanence et à partir duquel on peut se connecter à des réseaux à très haut débit, recevoir des cours multimédias sur des écrans en trois dimensions et réaliser des expériences ou des simulations en réalité virtuelle. Pour entrer dans cette « cantine du cerveau », Sandra utilise son « tag » personnalisé, une carte-transpondeur miniature lui permettant non seulement d’entrer dans la salle et d’y être reconnue, mais aussi d’enregistrer ses crédits formation. À l’extérieur du campus, dans tous les « hot spots » où elle souhaite travailler (restaurants, musées, bibliothèques, expositions…), elle peut se connecter par son portable ou son PDA en utilisant les nouveaux réseaux sans fils UWB (Ultra Wide Band). Elle emmène ainsi avec elle un « campus mobile » lui permettant de suivre certains cours, de corriger des tests, ou d’entrer en contact avec ses professeurs ou d’autres étudiants, présents à l’écran grâce au VIM (Video Instant Messaging) ou au MSMS (Multimédia Short Message Service) utilisant des téléphones portables équipés de mini caméras et jouant le rôle de visiophones.
Aux campus géographiques traditionnels se sont ainsi ajoutés des « campus virtuels ». Certains permettent d’écouter en tout lieu, grâce aux satellites à orbite basse (LEO, Low Earth Orbiting Satellites), des grandes conférences internationales en direct et de poser des questions aux intervenants. D’autres campus virtuels se présentent sous la forme d’environnements 3D mettant en oeuvre les techniques MUD (Multiple User Dialogue) et MOO (MUD Object Oriented) et dans lesquels on navigue sans avoir besoin de porter de casques ou de gants de réalité virtuelle.
Les outils portables (téléphones, palm, PDA, pocket PC) ont fusionné pour donner naissance à des hybrides multifonctions (organiseur, bloc-notes, enregistreur numérique, caméra vidéo, walkman…). Sandra utilise également un « Tablet PC » sur l’écran duquel elle écrit directement avec son écriture habituelle, numérisée puis reprise par un logiciel classique de traitement de texte. Les interfaces avec ces assistants personnels se sont considérablement développées. La communication vocale est désormais largement répandue pour entrer du texte ou spécifier des commandes, ainsi que la synthèse vocale permettant d’écouter des documents lus par l’ordinateur, grâce à d’écouteurs sans fils utilisant la technologie BlueTooth ou WiFi.
La relation en réseau, d’usager à usager (Peer to Peer ou P2P), s’est considérablement développée, permettant non seulement des échanges de musique et de vidéos entre étudiants, mais surtout d’expertises, de conseils, d’illustrations, de bibliographies ou de corrections de devoirs. Pour certaines matières Sandra s’est inscrite à des cours de e-learning, favorisant sa spécialisation de manière personnalisée, à la fréquence et au rythme qu’elle a choisi. De plus en plus de cours virtuels sont disponibles, produits notamment par des grandes universités internationales. Les livres électroniques se sont également répandus, permettant à partir d’un même terminal ou d’un PDA, de lire des dizaines de livres numérisés sur des cartes à puce.
Sandra attend avec impatience l’encre électronique (e-ink) prévue pour les toutes prochaines années. Déjà disponible pour les écrans de téléphones portables ou pour des catalogues commerciaux, cette technique permet d’imprimer sur un papier spécial des nanoparticules présentant une face blanche ou noire selon la direction du courant électrique traversant ce papier. Un manuel, un annuaire, une encyclopédie peuvent donc être mis à jour sans nécessiter d’imprimer de nouvelles éditions. Il suffit pour cela d’une connexion sans fil et d’un abonnement souscrit et auprès d’un serveur Internet.
Bien sûr, tout le monde parle des nouveaux implants de mémoire susceptibles d’augmenter considérablement les performances des étudiants. Certains des amis de Sandra, particulièrement audacieux, envisagent la possibilité de se faire implanter dans quelques années des nouveaux modules plug-ins biocompatibles, capables de stocker des térabits voire des pétabits d’informations. « Pas encore pour moi » se dit Sandra, « Je ne veut pas être transformée en Cyborg. Je préfère les bonnes vieilles méthodes naturelles. D’accord pour certains usages raisonnés des technologies, mais il n’y a rien de tel que le contact humain ! ».
Chroniques de Joël de Rosnay sur le site de Swiss Up / Prédictions 2002-2003 sur la Wifi, les RFID, l’avenir de Google, le Grid computing, l’étudiant du futur… (Carrefour du futur)
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