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Archipel, au Musée d’arts de Nantes : labyrinthe au cœur de l’art du XXe et XXIe siècles

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Avec l’exposition Archipel, le Musée d’arts de Nantes poursuit le dialogue entamé en 2014 avec Jean-Jacques Lebel et les œuvres de son fonds de dotation. De Marcel Duchamp, à Gustav Klimt, en passant par Paul Éluard ou André Breton, l’exposition présente, tel un archipel, des groupements de 200 œuvres d’époques et provenances différentes, proposant d’emprunter des chemins de traverses dans l’histoire de l’art du XXe siècle.
Leur présentation révèle la polysémie propre du fonds de dotation. Leur mise en dialogue permet d’en dégager des grandes thématiques (la folie, l’érotisme, les révolutions, etc.) et de rendre hommage aux artistes connus, mal connus, oubliés ou anonymes (Antonin Artaud, Carolee Schneemann, Isabelle Waldberg, etc.) du monde moderne et contemporain, chers à Jean-Jacques Lebel.

Dans le fonds il y a des phares, Marcel Duchamp, Francis Picabia, Antonin Artaud, Victor Hugo dessinateur, tous représentés par des œuvres majeures qui sont autant de jalons de nos histoires de l’art. Mais le fonds de dotation invente ses trajectoires et ses circulations propres. Rendant toute leur force subversive aux chefs-d’œuvre, l’exposition Archipel met à mal les classifications généralement admises par la confrontation avec des objets d’usage, des objets d’affection, ou des œuvres injustement méconnues, telles celles de Ghérasim Luca ou d’Isabelle Waldberg.
L’exposition rend compte de la force du fonds, au sein duquel les visibles font apparaître les invisibles. Leur mise en dialogue propose une vision du monde, une histoire des regards, des révoltes, des passions.

Archipel propose de partager et d’expérimenter ce que le fonds a de plus cher, écrire des géographies spatiales et mentales, de nouvelles histoires d’hier et d’aujourd’hui. L’exposition présentée dans le Patio du musée s’articule de manière à opérer des dialogues entre les œuvres, mêlant les époques et restituant la polysémie propre au fonds de dotation Jean-Jacques Lebel. Elle s’organise autour d’un geste spatial au cœur du Patio, répondant à son volume et à son architecture : une structure échafaudée proposant une vision en construction, en devenir, soutient et confronte des œuvres de différentes époques et différents continents.

En écho, les galeries latérales et une salle du premier étage proposent, à travers un ensemble d’espaces resserrés, des moments de rencontre plus intimes. On y retrouve les lignes de force du fonds, mettant ainsi en avant des écrivains qui furent aussi des plasticiens tels Victor Hugo et Guillaume Apollinaire, des artistes poètes comme John Giorno ; mais aussi des esprits rebelles, de Dada à la Beat Generation, de Fluxus à Polyphonix (Allan Kaprow, Robert Filliou), ou encore des artistes qui firent l’expérience d’états-limites comme Henri Michaux ou Antonin Artaud. Archipel fait la part belle aux artistes qui questionnent les normes politiques, sociales et culturelles, notamment à travers la représentation du désir et de la sexualité (Otto Dix, George Grosz ou Carolee Schneeman). Archipel porte la mémoire des révolutions et des luttes, et rend hommage à tous ceux qui tentèrent d’inventer d’autres conditions d’existence, qui transformèrent et élargirent nos regards sur le monde, sur les choses, sur l’art tels André Breton, Victor Brauner…

L’ensemble se parcourt en toute liberté, à rebours d’une chronologie ou d’une géographie strictes, comme l’on pousserait la porte d’un labyrinthe mystérieux. La lecture proposée, bien que s’appuyant sur le fil conducteur de l’histoire, affirme aussi une lecture transversale de l’art du XXe et XXIe siècles, avec quelques incursions dans le XIXe siècle. Ainsi les influences antérieures et les échanges géographiques sont mis en évidence, créant des pas de côté face à un cheminement chronologique. Hors des hiérarchies, des objets d’usage, de croyance ou de rite rencontrent des productions artistiques et des œuvres d’artistes reconnus par l’histoire et le marché de l’art. On y trouve aussi des œuvres délaissées par le marché de l’art et/ou reléguées aux marges du monde muséal. Ainsi les invisibles deviennent visibles, les catégories sont volontairement effacées pour faire place à un ensemble collectif.

L’ensemble, comme un archipel composé d’îlots, constitue une entité autonome, nomade, un laboratoire des arts individuels et collectifs, un carrefour des amitiés, des recherches, des disciplines et des médiums. C’est un tout cohérent, sans hiérarchie, pluridisciplinaire, ouvert et en devenir.

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L’un et l’autre. Ecrivains-artistes, artistes-poètes

Esther Ferrer, Europortrait, 2002, Photomontage, 78,5 x 63,5 cm, fonds de dotation Jean-Jacques Lebel © ADAGP, Paris, 2020

Le fonds de dotation réunit un grand nombre d’œuvres dont les auteurs sont reconnus pour leurs écrits littéraires, alors même qu’ils furent tout autant des créateurs plastiques. Ainsi Victor Hugo ou Guillaume Apollinaire réalisèrent un nombre important de dessins. La poésie du matériau trouvé (affiches prises dans la rue, fragments de journaux), s’exprime comme une nouvelle façon d’agir, de créer, de penser, chez des artistes comme Raymond Hains, Jacques Villeglé, François Dufrêne ou Ghérasim Luca.

Pour de nombreux plasticiens, la poésie passe par le corps et dialogue avec les formes ; elle engage des esprits rebelles, de Dada à la Beat Generation et à Fluxus. Dans la lignée du festival Polyphonix, fondé en 1979 par François Dufrêne, Christian Descamps et Jean-Jacques Lebel, des artistes comme John Giorno, Esther Ferrer, Bryon Gysin, Arnaud Labelle-Rojoux, Serge Pey, affirment un mode d’expression pluridisciplinaire, au sein duquel la voix, le corps, la performance occupent une place centrale. Polyphonix affirme la force du collectif et de la diversité.
(Salle 25)

La fabrique du regard. Dada, surréalisme, …

L’exposition rend hommage à tous ceux qui ont élargi nos regards sur le monde, sur les choses, sur l’art, au premier rang desquels les surréalistes (André Breton, Victor Brauner, Max Ernst entre autres). Ils ont transformé en œuvre des objets trouvés ou créés à partir de matériaux existants, suscité des rapprochements inattendus qui bousculèrent les catégories. Leurs regards se sont intéressés à des créations rapportées de zones géographiques éloignées.

Ainsi le regard européocentré est remis en cause et la subjectivité des créateurs comme des regardeurs affirmée dans une forme de démocratisation des moyens d’expression, de surprise et d’émerveillement. André Breton révèle la grande liberté de création résidant au cœur des compositions du peintre de la Renaissance Giuseppe Arcimboldo (1526-1593). L’ensemble exceptionnel de cadavres exquis réalisés par Paul Éluard, Nusch Éluard, Valentine Hugo, Greta KnutsonTzara, Tristan Tzara, témoigne de la dimension collective de l’aventure surréaliste, laissant de côté la figure de l’artiste-auteur pour mettre en avant la force créatrice du groupe.
(Galeries latérales du Patio)

Rêves, travail de l’inconscient, hallucinations, visions

Henri Michaux, Composition, sans date,
huile sur carton, 27 x 19 cm,
fonds de dotation Jean-Jacques Lebel© ADAGP, Paris, 2020

L’exposition Archipel consacre une place importante aux artistes qui firent l’expérience d’états-limites comme Henri Michaux, et/ou qui subirent l’oppression et des « traitements » réservés à la folie comme Antonin Artaud.
C’est ainsi sous l’emprise expérimentale d’un psychotrope, la mescaline, qu’Henri Michaux a réalisé une série des dessins dits « mescaliniens ». La série de peintures à l’huile prolonge l’ensemble dédié à l‘œuvre de ce poète qui fut aussi artiste, explorant le surgissement des formes par divers moyens de déprise de la volonté.

On trouve également dans cet ensemble des toiles et dessins d’Augustin Lesage ou Scottie Wilson, artistes autodidactes. Questionner la folie et ses limites ne peut se faire sans évoquer l’univers médical, voire même en un temps carcéral, de l’internement. Ainsi Leonora Carrington (1917- 2011), qui fut internée de force en Espagne durant la Seconde Guerre mondiale exprima par le texte et le dessin les effets psychiques de l’horreur vécue.
(Galeries latérales du Patio)

 

Le bouleversant Artaud  

BALTHUS, Portrait d’Antonin Artaud, vers 1935, estampe, 38,3 x 27,3 cm, fonds de dotation Jean-Jacques Lebel © Madame Harumi Klossowska de Rola

Antonin Artaud (1896-1948), comédien, essayiste, critique, auteur de théâtre et d’œuvres graphiques, eut une influence importante autant sur les artistes de sa génération que sur ceux des suivantes.
L’exposition présente un ensemble de portraits qui, par la peinture, le collage ou la photographie, jalonnent le regard porté par des artistes sur le parcours singulier d’une personnalité aux expressions multiples. De nombreuses photographies témoignent de la diversité des rôles qu’il a incarnés sur scène ou devant la caméra, dont le bout d’essai pour le film Autour de la fin du monde d’Eugène Deslaw, tourné en 1930, alors qu’il avait 34 ans.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Artaud fut interné à l’hôpital de Rodez où il subit cinquante-trois séances d’électrochocs. Il en garda la terrible douleur d’une vertèbre brisée, non soignée. Peu avant son décès, il produisit encore deux textes parmi les plus forts, les plus provocants, les plus singuliers de son siècle, Pour en finir avec le jugement de dieu (originellement une lecture radiophonique) et Van Gogh le suicidé de la société.

À travers l’ensemble d’œuvres réunies au sein du fonds de dotation, Jean-Jacques Lebel, qui a dédié à Antonin Artaud de nombreux projets, dont une installation et une série d’expositions, affirme par son regard subjectif la profondeur de l’œuvre d’Artaud, face à sa vie et à la violence des soins psychiatriques qui lui ont été infligés.
(Galeries latérales du Patio)

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Révoltes et révolutions

L’exposition porte la mémoire des révolutions et des luttes. L’artiste Maryan (1927- 1977) d’origine polonaise, déporté à Auschwitz, affirme une œuvre au graphisme fort et à l’approche semi-abstraite, alors que le dessin de George Grosz exprime de façon acerbe la force imposée par le pouvoir face au peuple.
(Galeries latérales du Patio)

Eros

Francis Picabia, Nu debout, 1949, encre sur papier, 25,5 x 20 cm, fonds de dotation Jean-Jacques Lebel © ADAGP, Paris, 2020

L’érotisme, l’expression de la sexualité et du désir occupent une place importante au sein du fonds de dotation Jean-Jacques Lebel. Les œuvres témoignent de ce qui se joue dans cette intimité au cœur de la société et de l’acte créateur.

C’est par le dessin et la peinture, essentiellement, que la brutalité politique, et paradoxalement le silence du monde s’expriment dans un rapport pulsionnel à la vie et à l’art. Ainsi George Grosz est plus connu pour ses dessins politiques que pour ses œuvres érotiques, réalisées après son immigration aux États-Unis et dont l’ensemble exposé est rare.
La section Eros présente, entre autres, des œuvres de Hans Bellmer, Rudolf Schlichter, Roland Topor, Danielle Schirman.

Fluxus, Happenings, actions et performances

Mobilisés par une dynamique affirmant une totale liberté de penser et d’expression, les artistes Fluxus mènent dans les années 1960 de nombreuses actions. Avec dérision, humour, et poésie, dans un partage généreux, démocratique et décomplexé, ils portèrent l’art partout, dans les gestes du quotidien autant que dans les échanges commerciaux courants. Ils brouillèrent les pistes de ce qui fait œuvre, dans un rapport marchand rendu accessible par la création de multiples comme le fera Robert Filliou.

Ainsi Optimistic Box n°1, réalisé en 1968, est constitué d’une boîte contenant un pavé de granit. De nombreux happenings sont organisés aux États-Unis puis en Europe par notamment Yoko Ono et Allan Kaprow, à qui on doit ce terme.

De manière inédite, Archipel présente pour la première fois, une œuvre de l’artiste américain Joe Jones, qui rejoint le fonds de dotation Jean-Jacques Lebel en 2020 : par une mécanique bricolée, un instrument de musique joue de manière autonome, révélant une mélodie modeste, emplie de poésie.
(Galeries latérales du Patio)

 

« Isabelle sculpte, ausculte, s’occupe et exulte » (Marcel Duchamp) Isabelle Waldberg  

Isabelle Waldberg, Construction, 1944-1948, sculpture en tiges de fer sur base rectangulaire de bois noirci, 54,4 x 34 x 37 cm, fonds de dotation Jean-Jacques Lebel © ADAGP, Paris, 2020

Face à ces ensembles, l’exposition donne à voir des œuvres peu connues et délaissées par le marché de l’art. Ainsi le travail remarquable d’Isabelle Waldberg, qui participa dans les années 1930 au groupe Acéphale de Georges Bataille, suivit les cours d’anthropologie de Marcel Mauss puis quitta la France pour New York où elle fi t partie du groupe surréaliste en exil, aux côtés d’André Breton, Marcel Duchamp, Max Ernst et Roberto Matta.

Soutenue, entre autres, par Duchamp et Hans Arp, Isabelle Waldberg a développé une œuvre essentiellement sculpturale. L’exposition réunit de manière inédite la dizaine d’œuvres appartenant au fonds de dotation Jean-Jacques Lebel, dont l’une des rares sculptures faites de fragiles tiges de buis ayant résisté à l’épreuve du temps.
(Galeries latérales du Patio)

 

Marcel Duchamp, unique et multiple

Marcel Duchamp, Porte-bouteilles (séchoir à bouteilles ou hérisson), vers 1921, fer galvanisé, 50,5 cm x 32,5 cm, fonds de dotation Jean-Jacques Lebel © ADAGP, Paris, 2020

Marcel Duchamp occupe une place particulière dans le fonds de dotation Jean Jacques Lebel avec notamment la présence du Porte-Bouteilles de 1921 (à distinguer des répliques suscitées par le galeriste Arturo Schwarz en 1964) considéré comme le plus ancien « Ready- made » connu.

La notion de ready-made remet en cause celle de l’œuvre et de son originalité, plaçant le choix, et non plus seulement le geste de l’artiste, au centre du concept.

À l’occasion d’Archipel, Jean-Jacques Lebel a conçu une installation inédite aux côtés de l’œuvre de son ami Marcel Duchamp qu’il connut à New-York, en exil avec ses parents, au moment de la Seconde Guerre mondiale, et qu’il fréquenta jusqu’à son décès à Neuilly en 1968. En adjoignant au Porte-Bouteille, sacralisé par l’histoire de l’art, un ensemble de ready-mades d’aujourd’hui, Lebel se réempare de la question du vrai et du faux, de l’unique et du multiple.

Exposition Archipel du 20 mars au 31 mai 2020 au Musée d’art de Nantes

Commissariat général : Sophie Lévy, directrice conservatrice du Musée d’arts de Nantes.
Commissariat scientifique : Cécile Bargues, historienne de l’art et commissaire d’expositions Katell Jaffrès, chargée de l’art contemporain au Musée d’arts de Nantes
Scénographie : Studio de création 47NORD, Olwen Gaucher & Régine Gaucher-Loaëc, membres du collectif Milleplateaux, et Vincent Vernet designer scénographe associé

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