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Les voix essentielles du monde vivant vont-elles se taire ?

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La Fondation Cartier vient d’ouvrir sa nouvelle exposition Le Grand orchestre des animaux. On y découvre des oiseaux du paradis en parade nuptiale, des instantanés photographiques d’animaux pris sur le vif, des paysages sonores où surgissent le cri des baleines, les crissements d’insectes, les jacassements des singes. Subtiles les images de plancton qui représente 98% de la masse organique des océans provoquent un éblouissement où la beauté se mêle à la perte. Les émotions sonores et visuelles se font poignantes : ce monde vivant foisonnant sera-t-il encore là demain ?
 
L’idée est celle de Bernie Krause. Le musicien américain de 78 ans voulait réunir des artistes avec l’aide de scientifiques pour transmettre « les voix de la nature qui disparaissent ». Depuis près de cinquante ans, le bioacousticien archive les chants, les cris, les vibrations du monde vivant. Il dispose aujourd’hui de près de cinq mille heures d’enregistrements sonores où s’expriment environ quinze mille animaux sauvages. « Il est probable que tous les morceaux de musique qui nous procurent du plaisir et toutes les paroles que nous prononçons procèdent, dans une certaine mesure, de cette voix collective » considère Bernie Krause. L’impression d’un patrimoine essentiel et vital.
 
Bernie Krause, Sugarloaf Ridge State Park, Californie, 2015
Photo : Ramin Rahimian

Into the wild voice

Dans l’étage inférieur de l’exposition, le visiteur entre en immersion au sein des sonogrammes offerts par Bernie Krauss, qui visualisent en trois dimensions (balayages horizontaux) les sons enregistrés. Défilent les noms des bruits et cris d’animaux perçus : criquets, gibbons, perruches, loups, grenouilles… La sensation est étrangement apaisante, comme si le bruissement des bêtes avait un effet rassurant. La connexion par les sons est puissante puisque certains les utilisent pour soigner…Ici les visiteurs s’attardent, s’allongent, méditent…
L’harmonie mystérieuse demeure dans la salle voisine face aux photographies, Chroniques du plancton, réalisées par le biologiste Christian Sardet. Ces images ont été réalisées pendant l’expédition de la goélette Tara dans les mers du globe entre 2009 et 2013. Transparence, élégance, délicatesse se dégagent des clichés qui sont utilisés aussi dans une vaste salle contigüe pour donner à voir les fluctuations entre formes et vibrations. L’artiste japonais Shiro Takatani propose la projection synchronisée sur neuf écrans de formes planctoniques qui se défont progressivement en lignes colorées vibrantes. Ces réductions de l’image à leur composante minimale évoquent la permanente redistribution de la matière des organismes vivants.
 
Christian Sardet, Siphonophore Hippopodius hippopus, Baie de Villefranche-sur-Mer, France, 2011
25 mm  © Christian Sardet and The Macronauts / Plankton Chronicles

 
L’occasion est toute trouvée pour inviter le visiteur à découvrir – à ce moment, toutes écoutilles dehors – quelques  données sur l’état d’avancement de la destruction des écosystèmes. L’infographie concise et implacable a été réalisée par Bruce Albert, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), Fabrice Dubertret, doctorant au Centre de recherche et de documentation des Amériques et François-Michel Le Tourneau (CNRS). Le témoignage de Bernie Krause va droit au fait : «  Près de 50% des habitats figurant dans mes archives sont désormais si gravement dégradés, si ce n’est biophoniquement silencieux, que beaucoup de ces paysages sonores naturels, naguère si riches, ne peuvent plus être entendus que dans cette collection ».

La voix de la nature se meurt

La même fragilité s’exprime au rez-de-chaussée avec la vaste fresque du Chinois Cai Guo Qiang, réalisée avec de la poudre explosive, qui est enflammée – de manière courte et maîtrisée – lors de la fabrication. Il s’agit d’un rassemblement de mammifères autour d’un point d’eau (blanc). C’est le temps de s’abreuver mais dans un moment apocalyptique. Car le point d’eau est un vortex, un vide blanc qui aspire tout ce qui l’entoure et donne naissance à un néant silencieux.
 
Cai Guo-Qiang, White Tone (détail), 2016
Poudre à canon sur papier
Collection de l’artiste. © Cai Guo-Qiang

 
La tendresse est aussi à fleur d’image chez Manabu Miyazaki, le grand spécialiste de la captation visuelle des animaux. Le poète photographe nous impressionne avec son diaporama Animal trail (le chemin animal) qui surprend un ours, un renard, un blaireau , ou …un touriste toujours sur le même chemin, témoignant que nous cohabitons avec des drôles de bêtes, souvent  sans le savoir. Un autre diaporama Death in Nature montre le recouvrement tranquille et lent d’un squelette animal par la neige. Comme si la nature secrétait le linceul blanc qui remet l’animal en terre. Mais l’œil de l’observateur n’oublie pas la place de l’être défunt.
 
 
Manabu Miyazaki
A black bear plays with the camera, 2006
Photographie couleur
Collection de l’artiste  © Manabu Miyazaki

 
L’humour n’est pas absent de l’exposition et vient avec les oiseaux, jardinier brun, ménure superbe, paradisier superbe… qui exhibent dans des vidéos stupéfiantes leurs atours exubérants. Danses nuptiales, frétillement, déploiement de collerettes colorées, tout est bon pour la galerie… La scène se passe sur fond grave avec les loups d’Alaska campés en tirages argentiques par Hiroshi Sugimoto. Des orchestres animaux peints par plusieurs artistes congolais (Pierre Bodo, JP Mika ou Moke) donnent à voir des corps imbriqués et des fanfares endiablées.
 
Le parcours de l’exposition est une belle occasion de ressentir comment nous sommes connectés au monde vivant, de confronter les perceptions de la nature : mère protectrice façon Gaia ou logique aveugle ? Gilles Bœuf, professeur à l’université Pierre et Marie Curie et conseiller scientifique au ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer a apporté son concours pour faire de cette exposition une opportunité de « raconter ce qui nous arrive ». Avec les univers sonores de Bernie Krause, qui sont détruits par le vacarme humain, quelque chose de profond se transmet, la sensation de l’irréversible. On peut alors parler de la sixième extinction en cours : « La moitié des espèces de la Terre aura disparu avant la fin du 21e siècle, si on continue la destruction actuelle » selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Ne nous lassons donc pas de garder trace de ces constats en visitant le site où de nombreux « Cinq scenarios interactifs » sont accessibles.
 
Du 2 juillet 2016 au 8 janvier 2017 à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris
A réserver quatre soirées nomades, une nuit de l’incertitude le 20 octobre 2016 en lien avec l’exposition.
 
 
Photo loups : Hiroshi Sugimoto
Alaskan Wolves, 1994
Tirage gélatino-argentique,120 × 210 cm
Collection de l’artiste © Hiroshi Sugimoto
 
 

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