La saison 2026 au Frac Sud est placée sous le signe d’une écologie des relations renouvelée, reposant sur une attention renforcée au vivant et à notre environnement, avec deux expositions qui invitent à se décentrer pour mieux se reconnecter au monde. Depuis plus de vingt ans, les deux artistes développent une recherche singulière sur les formes de représentation du monde, mêlant langage, science et poésie. Leur travail repose sur la création d’alphabets visuels et de systèmes d’écriture qui réinventent notre perception du temps, de l’espace et des phénomènes naturels. « Champ étoilé » se donne à voir sous la forme d’une grande installation prolongeant le projet «La Floraison de la lumière » imaginé dans le cadre du Prix Marcel Duchamp 2024 au Centre Pompidou.
Avec « Champ étoilé », le duo franco-brésilien Angela Detanico et Rafael Lain nous invite à parcourir un ciel de signes et à plonger dans le mystère de l’origine de l’univers. Les œuvres se redéploient ici dans l’espace du Frac Sud, dialoguant avec d’autres ensembles de pièces prenant pour sujets les astres et la création de l’univers. À travers la linguistique et la plastique, ils proposent une cosmologie sensible, où les astres deviennent des récits et les constellations des partitions graphiques.
Présentée sur le plateau Explorations du Frac Sud, l’exposition « Champ étoilé » s’inscrit dans la saison 2026 comme une invitation à contempler, à décoder et à rêver.
La Floraison de la lumière, 2024
Installation vidéo N/B, 2024 – Durée 26 min 45 secondes
L’installation vidéo La Floraison de la lumière convoque l’histoire des origines de l’univers né du big bang il y a 13,8 milliards d’années. À travers l’apparition il y a 380 000 ans de la lumière qui a continué de voyager jusqu’à nous, reliant les étoiles aux fleurs, le rayonnement persistant de ces astres permet à la nature de s’épanouir.
Dans cette double projection, des images de galaxies lointaines prises par le télescope spatial Hubble et des photographies récentes de champs de fleurs printaniers apparaissent. Alors qu’un fond noir envahit l’écran blanc. À l’inverse, des fleurs blanches et des étoiles émergent du noir à mesure qu’un nouveau cycle commence. Le fond noir petit à petit forme un paysage cosmique : les fleurs qui s’évanouissent ressemblent à des étoiles. Ici et là, la lumière émerge, des fleurs lumineuses illuminent alors le ciel, de nouvelles galaxies parsèment les champs.
Cette œuvre nous invite à un formidable voyage dans le temps où le rayonnement fossile des étoiles perce les mystères de l’univers. Cette lumière originelle agit sur nos environnements naturels et nous rappelle la connexion profonde de notre biosphère au ciel et aux astres.

Vidéo, projection N/B, 26 min 45 s – Installation avec projection zénithale N/B, son et graviers blancs
Courtesy des artistes et de la Galerie Martine Aboucaya, Paris
Les Mers de lune, 2024
Installation projection zénithale
Images, son et graviers blancs
Les Mers de lune met en scène les noms des régions lunaires sous la forme d’une composition visuelle et sonore où des gouttes de lumière tombent sur une surface minérale. Cette pièce imaginée par le duo d’artistes à l’occasion d’une résidence au Japon, s’inspire des jardins secs de ce pays, très dépouillés, faits de sable, de gravier ou de pierres blanches.
Chacune de ces gouttes projette un halo lumineux en expansion correspondant à une lettre, ensemble elles énoncent les noms des mers de la Lune : mer de la Fécondité, mer de la Tranquillité, mer de la Sérénité, mer des Nuées, ou encore mer des Îles. Les noms évoquent les anciennes croyances selon lesquelles ces zones sombres visibles depuis la Terre étaient des étendues d’eau. Ce n’est qu’avec l’observation de Galilée en 1609 qu’on découvrit qu’il s’agissait en réalité de plaines basaltiques, traces de l’histoire volcanique de la Lune.
Ces points de lumière par leur position figurent une lettre selon un alphabet de formes que les artistes ont inventé pour cette œuvre prolongeant leur recherche sur la création de nouveaux systèmes linguistiques pour dire le visible et l’invisible. Chaque mer est également associée à un son propre : une fréquence, une résonance, une vibration.
Nous sommes alors plongés dans un état méditatif à la contemplation de cette œuvre similaire à l’expérience que nous pourrions faire dans un jardin zen.

Rivières d’étoiles, 2024. Mobiles en inox poli miroir et inox. Crédit photographique : Detanico Lain
Courtesy des artistes et de la Galerie Martine Aboucaya, Paris
Quelques questions à Angela Detanico et Rafael Lain

Crédit photographique Şimal Bilgin, 2024
En vue de leur exposition au Frac Sud en février 2026, les artistes Angela Detanico et Rafael Lain se sont entretenus avec l’équipe des publics.
Vous avez développé votre propre alphabet à partir d’un principe de concentration de la matière d’une lettre dans une forme circulaire. Pouvez-vous revenir sur la naissance de ce système ? Comment ce passage de la typographie traditionnelle à une écriture abstraite a-t-il transformé votre manière de penser le langage et l’image ?
C’est une de nos premières œuvres. Nous l’avons créé en 2003 pendant notre résidence au Palais de Tokyo, en collaboration avec l’artiste tchèque Jiří Skála. L’idée était de réduire l’alphabet à un état d’information pure, juste la quantité de matière de chaque caractère concentré en points de tailles différentes, à l’image des trous noirs où tout l’espace vide entre les atomes disparait. Une fois l’alphabet complet nous l’avons utilisé comme matière pour plusieurs pièces. En 2007, en lisant l’Almageste, le catalogue d’étoiles de Ptolémée, nous est venue l’idée de transcrire les noms
des étoiles en points lumineux.
Vos pièces traduisent souvent les mots : les noms d’étoiles, du Soleil, ou même les mers de la Lune, en formes lumineuses. Comment percevez-vous le lien entre l’écriture et le cosmos ? Peut-on dire que votre alphabet cherche à créer une nouvelle manière de lire le monde céleste ?
Le ciel a été le premier livre. Un livre de lumière. Bien avant l’invention de l’écriture les gens « lisaient » les étoiles. Pour l’agriculture, ainsi que pour se repérer sur mer ou dans le désert, il fallait savoir lire le ciel. L’écriture vient après, elle fixe la connaissance, et sera même critiquée par le roi Thamus quand le dieu Thot lui présentera sa création, l’écriture, comme un outil pour la mémoire, Thamus craignant que l’écriture rende les gens paresseux et trop dépendants d’un outil extérieur. Pour nous l’histoire de l’écriture a toujours été une source d’inspiration. La création de formes simples interchangeables qui produisent des résultats visuels complexes, a été depuis le début la base de notre production artistique. Pour nous la création d’un système a toujours un rapport strict avec les noms que l’on écrira : les noms des étoiles sont écrits à partir de points concentrés, les noms du Soleil avec des rayons et les noms des mers de la Lune avec une pluie de lumière.
Dans plusieurs de vos pièces, le texte peut être lu en boucle, comme un cycle sans début ni fin. Est-ce que pour vous, lire devient une expérience temporelle autant que visuelle ? Comment cette dimension du temps s’inscrit-elle dans votre conception de l’écriture ?
La lecture crée ses propres temporalités. Dans Analemme, la mise en forme du texte reprend les mouvements astronomiques de notre planète : nous pouvons entrer et sortir dans la lecture de cette ligne en forme d’infini où nous le désirons. Le temps qui passe n’est plus qu’un support pour raconter des histoires, une base pour une structure narrative. Il devient le protagoniste du texte. La lecture devient l’expérience même de cette temporalité, en échelle réduite, chacun des 365 caractères du texte correspondant à un jour de l’année.
Votre travail s’appuie sur des principes scientifiques précis : astronomie, lumière, mouvement des astres, mais en les traduisant dans une forme poétique et sensible. Comment parvenez-vous à faire dialoguer la rigueur scientifique et la dimension émotionnelle ou symbolique de vos œuvres ?
Il y a de la beauté dans la science, il y a de la rigueur dans l’art. L’art et la science sont comme des points de vue, des systèmes de transcription de la réalité, certes avec des approches différentes, mais animés par la curiosité et la créativité. Créer des points d’intersection entre ces deux champs nous semble un exercice heuristique très productif. Dans La Floraison de la lumière, cette rencontre est très claire. Nous avons utilisé comme point de départ les images de télescopes montrant l’état de l’univers il y a 13 milliards d’années pour arriver à des images de champs de fleurs que nous avons réalisées avec nos téléphones portables le printemps dernier. La pièce parle de cela, de l’histoire de l’univers du big bang jusqu’à nous, à travers la lumière qui est la structure même de ces images. Depuis l’origine, toute la matière qui compose aujourd’hui l’univers est concentrée en un seul point plus petit qu’un atome, qui a subi un dérèglement quelconque et donné origine à tout ce que l’on peut voir, toucher, sentir ou entendre aujourd’hui.
Angela Detanico & Rafael Lain
Nés en 1974 et 1973 à Caxias do Sul (Brésil), vivent et travaillent à Caxias do Sul (Brésil). Angela Detanico et Rafael Lain travaillent ensemble depuis plus de vingt ans. Ils se sont rapidement imposés sur la scène artistique internationale grâce à une réflexion subtile menée sur les modes de représentations conventionnelles qui nous entourent.
Fascinés par ce qui dépasse l’homme et la compréhension du monde, Angela Detanico et Rafael Lain tirent d’une recherche scientifique, mathématique et littéraire des systèmes de représentation et d’écriture du temps, de l’espace et de l’infini. Héritée du statement conceptuel et ancrée dans l’usage de nouveaux moyens de création sonore, graphique et plastique, leur démarche s’exprime dans un formalisme rigoureux et épuré d’une grande poésie.
Respectivement linguiste-sémiologue et graphiste de formation, les artistes mènent ensemble une réflexion sur l’utilisation des signes graphiques dans la société. Ils s’intéressent particulièrement à la notion du temps et des formes qu’il peut revêtir et créent ainsi de nouveaux systèmes d’écriture en substituant aux lettres des alphabets traditionnels, des formes issues du quotidien.
Ces formes sont ensuite mises en scène dans des espaces d’exposition donnant à cette écriture une matérialité inédite.
Oscillant entre technique rudimentaire et technologie de pointe, leurs pièces prennent des formes aussi diverses que la lettre, le mot, l’image fixe, l’animation, le son et l’installation.
Qu’il s’agisse d’alphabets, de cartographies ou de calendriers, ils s’attaquent aux fondements mêmes de ces codes qui régissent notre quotidien, persuadés du croisement qui s’opère entre le signe et le sens.
Les visions qu’ils proposent sont la plupart du temps codifiées, parcellaires ou transitoires. Angela Detanico et Rafael Lain poursuivent une réflexion sur le rôle du langage et sur sa place symbolique et physique au sein de nos sociétés. Le langage révèle ainsi sa double fonction, outil de communication mais également instrument de lecture et reflet de différentes cultures.
Commissaire de l’exposition : Muriel Enjalran
Exposition « Champ étoilé » , du 7 février au 15 novembre 2026 – FRAC Sud Cité de l’art contemporain – Plateau exploration – 20 Boulevard de Dunkerque – 13002 – Marseille
Photo d’en-tête : Angela Detanico et Rafael Lain, vue de l’installation La Floraison de la lumière, 2024 – Vidéo, projection N/B, 26 min 45 s
Detanico Lain, Courtesy des artistes et de la Galerie Martine Aboucaya, Paris






