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Les crimes de guerre de Poutine renvoient l’Occident face à l’Histoire

Les crimes de guerre de Poutine renvoient l’Occident face à l’Histoire

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Beaucoup l’ont dit et répété à l’envi ces derniers jours : les crimes de guerre, voire contre l’humanité ou de génocide, commis par le régime russe en Ukraine, s’inscrivent dans la lignée de ceux perpétrés en Syrie depuis 2015 et en Tchétchénie en 1999-2000. À Marioupol, Boutcha, Kramatorsk, Borodianka, chaque jour apporte son lot de révélations macabres. Les dirigeants occidentaux ont multiplié les déclarations indignées et sidérées. Mais cet étonnement paraît lui-même presque sidérant tant la « communauté internationale » a détourné le regard des crimes précédents du régime russe. Au vu des agissements de l’armée de Vladimir Poutine en Tchétchénie et en Syrie, mais aussi des déclarations de Poutine sur ses intentions en Ukraine, le sort réservé aux Ukrainiens était prévisible. Et de nouveaux crimes se produiront prochainement, sans que tout soit fait pour les prévenir : de grandes offensives sont, en effet, annoncées dans le Donbass et sans doute ailleurs… Comme en Syrie, tout était prévisible et prévu.

La continuation du crime

Comme en Syrie aussi, les hôpitaux sont délibérément visés, de nombreux civils assassinés et nul ne sait si, demain, le régime russe n’utilisera pas l’arme chimique comme il avait autorisé son allié Bachar Al-Assad à le faire. En Syrie, ne l’oublions pas, les forces russes ont tué à elles seules plus de civils syriens, dont de nombreux enfants, que Daech.

Comme en Syrie, le Kremlin développe à propos de l’Ukraine une propagande débridée et indécente, qui n’a même plus vocation à être crue. L’essentiel est de semer le doute. Ainsi, sur le bombardement de l’hôpital pédiatrique de Marioupol, il n’a pas hésité à présenter au moins trois versions différentes et contradictoires – certes moins que pour la destruction en vol par un missile russe de l’avion MH17 au dessus de l’Ukraine le 17 juillet 2014. Le pouvoir russe a ainsi affirmé successivement : « ce sont les Ukrainiens qui l’ont fait », « les images étaient fausses » et, finalement, « oui, nous l’avons bien détruit, mais il servait de refuge à un bataillon nationaliste ».

Les propagandistes du régime à l’étranger ont volontiers repris son affirmation selon laquelle en Ukraine la Russie serait avant tout confrontée à des néonazis, toujours en citant l’exemple du bataillon Azov, non sans simplifications et mensonges. Ils avaient fait la même chose pour la Syrie en dupliquant le discours du Kremlin sur les djihadistes qui se cacheraient dans les écoles et les hôpitaux. En utilisant les termes « nazis » ou « terroristes », ils désignent en fait des civils à abattre, des personnes qui n’ont pas le droit à la vie.

La permanence de l’inaction

Toutefois, est-ce là la leçon essentielle ? Sont-ce là aussi les points de comparaison uniques ? En réalité, ce en quoi le cas ukrainien rappelle le plus tragiquement le cas syrien, c’est d’abord dans le fait que les gouvernements occidentaux n’osent pas entreprendre d’action susceptible de changer radicalement la donne, autrement dit de sauver l’Ukraine et de faire en sorte que la Russie perde – totalement.

Certes, ces gouvernements aident l’Ukraine par la fourniture d’armes défensives ; de lourdes sanctions ont été adoptées à l’encontre du régime russe ; une conscience plus large s’est fait jour sur sa réalité ; les crimes de guerre ont, non sans hésitation, finalement été nommés comme tels ; et les Européens seraient généralement prêts à accueillir les réfugiés ukrainiens, ce qu’ils n’avaient guère fait, sauf l’Allemagne, pour les Syriens.

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Mais ces progrès réels rendent encore plus accablantes nos insuffisances. Nul ne peut être certain aujourd’hui que le sort de l’Ukraine dans quelques mois ou années ne révèle pas de nouveaux points de comparaison avec la Syrie : de même que le pouvoir criminel d’Assad règne toujours sur la Syrie et multiplie, avec l’aide de la Russie, des attaques meurtrières sur la région d’Idlib, peut-être une partie de l’Ukraine restera-t-elle encore en guerre et occupée, avec son lot de victimes et de désolations. Sommes-nous totalement prêts à éviter un tel scénario ?

D’abord, l’aide militaire est très parcimonieusement accordée, malgré quelques timides progrès récents. Elle permet certes à Kiev de mieux riposter à l’armée de Poutine, mais la lenteur occidentale a un coût terrible en termes de vies humaines et risque d’entraver la possibilité d’une victoire décisive de l’Ukraine.

Ensuite, les sanctions restent encore insuffisantes et il est difficile de comprendre pourquoi elles n’ont pas été, dès le début de la nouvelle offensive russe contre l’Ukraine, totales : embargo absolu sur le gaz et le pétrole russes, déconnexion de toutes les banques russes du système de paiement interbancaire Swift et gel des avoirs et interdiction de voyager d’un plus grand nombre de personnalités russes proches du pouvoir. Cela fait d’ailleurs longtemps, bien avant la guerre, que ces mesures auraient dû être prises et le gazoduc Nord Stream 2 abandonné.

En outre, si conscience plus grande de la réalité du régime de Poutine il y a, certains continuent à pratiquer leur religion poutinienne en silence et n’ont en rien abjuré leur foi ancienne qui redeviendra vivace dès la guerre terminée. Rien, dès lors, ne garantit que, demain, la lassitude aidant, on ne revienne aux mêmes erreurs. Par ailleurs, si les crimes de guerre ont été effectivement nommés, certains hésitent encore à désigner comme criminel de guerre leur principal responsable. On en connaît la raison fallacieuse : une telle assignation publique représenterait une « provocation » qui rendrait Poutine moins enclin au compromis. Comme si, compte tenu de l’immensité de ses crimes, cela devrait changer quoi que ce soit à son comportement futur.

Drone footage shows scale of devastation in Mariupol, Guardian News, 24 mars 2022.

Quant à la remarquable solidarité observée en Europe envers les réfugiés ukrainiens, nul ne sait si elle se maintiendra dans la durée.

Cette solidarité humanitaire peut exercer un puissant effet de distraction de la part de certains gouvernants. Là, l’analogie avec la Syrie est majeure : beaucoup s’étaient déjà concentrés sur la « crise humanitaire », manière commode de s’excuser de l’inaction face à Assad.

Il pourrait en aller de même pour l’Ukraine : comme en Syrie, la prétendue « solution humanitaire » ne fait que cacher le renoncement à la seule solution, qui est d’augmenter considérablement l’aide militaire fournie à Kiev pour lui permettre de repousser l’agresseur en dehors de l’Ukraine. Se focaliser sur les aspects humanitaires, aussi nécessaire que ce soit, ne résoudra ni la question humanitaire ni celle de la guerre russe contre l’Ukraine – on le voit en Syrie où la misère des camps de réfugiés, l’exil forcé de 6 millions de déplacés syriens et la poursuite des massacres par le régime et ses alliés continuent simultanément.

L’emprise persistante de la rhétorique du Kremlin

On retrouve aussi dans le conflit ukrainien les mêmes éléments rhétoriques si doux à l’oreille du Kremlin qu’on entendait déjà en Syrie.

Le premier est le discours sur les prétendues « lignes rouges ». En raison du précédent désastreux de la volte-face de Barack Obama après les attaques chimiques de la Ghouta, nul ne pouvait reprendre ce discours tel quel, mais les avertissements de Joe Biden sur l’emploi d’armes chimiques ou bactériologiques en Ukraine y ressemblent.

En réalité, ce discours est intenable sur les plans juridique et stratégique.

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Juridiquement, les armes chimiques et bactériologiques sont certes prohibées par les conventions internationales, mais il en va de même des armes à sous-munitions, particulièrement destructrices pour les populations civiles, et dont plusieurs enquêtes montrent qu’elles ont été utilisées par la Russie en Ukraine.

Ukraine : usage de bombes à sous-munitions par la Russie, un « crime de guerre » ? • FRANCE 24, 5 mars 2022.

Stratégiquement, donner le sentiment d’une réponse particulière en raison de l’emploi d’armes chimiques ou bactériologiques revient implicitement à minimiser les crimes commis de manière « classique » contre les populations. C’est, d’une certaine manière, se défausser de la nécessité d’agir si des crimes de guerre sont perpétrés autrement ; si ligne rouge il doit y avoir, elle réside dans les crimes de guerre et contre l’humanité. C’est ce qui s’est passé en Syrie dans une guerre qui a causé bien plus d’un million de morts.

Ensuite, on continue d’entendre, fut-il devenu un peu moins explicite, le mantra diplomatique : « La solution à la crise ne peut être que politique. » Outre que ce n’est pas une crise, mais une guerre, on sait à quoi ce langage a conduit en Syrie. Il n’y a pas eu de solution politique parce qu’il ne pouvait tout simplement pas y en avoir tant qu’Assad resterait au pouvoir. Les dirigeants se sont enfermés dans des résolutions inopérantes de l’ONU et la fiction d’un comité constitutionnel qui n’a obtenu de manière prévisible aucun résultat. Cela n’a fait que conforter Assad et ses alliés russe et iranien. Penser qu’il puisse en aller autrement à propos de la guerre russe contre l’Ukraine relève du même déni de responsabilité.

Enfin, l’illusion d’une voie de sortie par le biais de négociations continue d’être promue dans certains cercles. Certains diront que le président Zelensky est ouvert à des négociations ; c’est le cas, mais à deux conditions sine qua non :

  • d’abord, toute solution devra s’accompagner d’une garantie internationale de sécurité en contrepartie de la neutralité de l’Ukraine – neutralité qui, rappelons-le, était le statut de l’Ukraine en 2014 en vertu du mémorandum de Budapest violé par la Russie. Cette garantie devrait être équivalente à celle prodiguée par l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, voire plus, comme l’a dit explicitement le chef des négociateurs ukrainiens, ce qui implique une garantie qui s’appliquerait automatiquement, ce qui n’est pas le cas de celle de l’article 5.

  • ensuite, l’intégrité territoriale de l’Ukraine n’est pas négociable, ce qui signifie qu’il ne saurait être question d’une occupation durable par les Russes du Donbass et de la Crimée.

Ces exigences que nous devons soutenir intégralement vont à l’encontre des projets de Poutine, qui tient à ce que sa mainmise sur le Donbass et la Crimée, et sans doute sur toute la zone qui relie ces deux territoires, soit reconnue par Kiev. Son projet est d’ailleurs la destruction de l’Ukraine en tant que nation libre.

A-t-on appris la leçon syrienne ?

Si certains gouvernements occidentaux cherchaient à pousser Kiev à accepter des concessions sur ces points, ils remettraient en cause la souveraineté de l’Ukraine, mais aussi les fondements du droit international. L’exemple syrien nous avait déjà appris que le fait même d’entrer dans un tel jeu de négociations ne fait que permettre au régime russe de renforcer ses positions et son armée, et qu’elles se traduisent par une déroute du monde libre.

Les leçons de la Syrie doivent s’appliquer à l’Ukraine. Tout recul, tout accommodement, tout apaisement avec le régime de Poutine se traduisent sur le terrain par le renforcement du crime. Si l’Occident tarde à aider de manière décisive l’Ukraine à reconquérir son territoire en lui fournissant tous les armements nécessaires pour ce faire, cela se traduira par des milliers de morts supplémentaires. Toute tentative de négociation ne respectant pas les deux principes clés édictés par Zelensky aura le même résultat. En laissant faire des pouvoirs criminels en Syrie, nous avons affaibli le camp de la liberté. Si nous recommençons la même faute devant l’histoire en Ukraine, son effondrement sera achevé.

Nicolas Tenzer, Chargé d’enseignement International Public Affairs, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.

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