Il est temps de refuser l’enfermement mortifère du « Tous unis contre le RN ». Il nie la priorité à donner à la crise du Vivant. Quand la politique n’est plus réductible à deux camps, avec trois pôles clairement distincts, la victoire du pôle social-écologiste est envisageable. Pour cela il faut de l’enthousiasme POUR, pas seulement un réflexe de peur CONTRE.
Et si le film n’était pas écrit ? Et si d’autres histoires, vivantes, créatives, dynamisantes surgissaient au sein de la société pour donner un nouveau cours à la vie politique ? Tout ne tourne pas autour de l’immigration et du sentiment de déclassement ! Et d’abord, ne négligeons pas une donnée fondamentale, un peu oubliée depuis que les législatives suivent systématiquement les présidentielles : les législatives, ce sont 577 élections simultanées avec leur contexte local … et ce sera d’autant plus vrai qu’il n’y aura pas de campagne ou presque pour uniformiser le vote. Les trois pôles – libéral, identitaire, social-écologiste – vont se maintenir avec plus ou moins de capacité à agréger une majorité selon ce qui va se jouer dans les prochains jours.
Quoi après le « moment Macron » ?
Il y a bien eu un « moment Macron » mais celui-ci n’avait de sens que dans l’hypothèse où la modernisation du pays était dynamisante et bénéfique à tous. Macron c’était en quelque sorte une résurgence du Giscardisme nourrie du fantasme que nous n’avions pas su nous défaire des vieilles pesanteurs d’un pays trop habitué à tout attendre de l’Etat-providence. On sait maintenant que la start-up nation était un rêve périmé, incapable de répondre aux défis actuels : crise écologique, crise sanitaire, crise géostratégique.
Le fantasme identitaire pas plus que le rêve macronien ne sont en phase avec l’époque. L’aspiration au repli, la peur de l’autre existent bien sûr mais ce sont des passions tristes qui ne créent aucun élan, aucun désir. Si Macron a pu donner envie de le rejoindre, si son pôle a su être un temps rayonnant et attractif pour une frange des deux autres pôles, j’ai l’intime conviction que Le Pen et Bardella ne réussiraient pas à avoir cet effet d’entraînement. Notre société est beaucoup plus rétive à l’embrigadement que ne l’imaginent les républicains inquiets. Sans certitude ni naïveté, je persiste à m’inscrire dans la filiation d’Alain de Vulpian, ô combien socio-perceptif, et je veux croire à la vitalité d’une société profondément démocratique malgré tout.
Emergence du pôle social-écologiste aux Législatives ?
Revenons un instant à l’intuition féconde de Bruno Latour. Dans « Où atterrir ? », il disait que la ligne de front entre Global et Local qui avait caractérisé la modernité ne tenait plus et qu’il fallait la remplacer par Terrestre et Hors-sol. Le Terrestre c’est cette nouvelle composition entre du global nécessaire pour éviter l’enfermement identitaire et du local pour éviter l’hubris de la croissance infinie. Quand le clivage gauche-droite mettait le pôle libéral au centre du jeu, le clivage Terrestre-Hors-sol met désormais le pôle écologiste en avant, en charge de l’articulation du global et du local.
Ce pôle possiblement attractif est toujours handicapé par notre système politique centré sur la flamboyance présidentielle (qui convient très bien aux deux autres pôles). Il y a une forme d’humilité consubstantielle au pôle social-écologique. Les législatives pourraient donc être une chance pour ce pôle, puisqu’elles se joueront sur des alliances locales. Ni le PS, ni les Verts, ni la France insoumise ne peuvent dicter la loi. S’il sait dépasser ses divisions multiples, le troisième pôle est en mesure de se retrouver au centre du jeu.
Les élections législatives pourraient donc se jouer non pas sur le soutien à un sauveur mais sur la fidélité à une promesse, celle de 2015, celle de maintenir l’habitabilité de la Terre. Pas besoin d’un programme détaillé en mesures sectorielles pour réunir une telle majorité. Sortons aussi de l’illusion de l’efficacité des majorités sans faille. Ce qu’il faut c’est une direction claire et une capacité à négocier forte.
Un tel retournement reste improbable mais je suis un incorrigible explorateur de possibles même les plus improbables. Et admettez que n’avoir comme seul horizon le refus du pire stérilise la politique… au moment où nous avons l’impératif d’être immensément créatifs. Alors, cette alternative à la fois au pire et au moindre mal, il nous appartient de l’imaginer et de la construire.
Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY, Chroniqueur invité de UP’ Magazine – Essayiste – Consultant développement durable et dialogue parties prenantes. Auteur de « Citoyen pour quoi faire ? Construire une démocratie sociétale », éditions Chronique sociale.
L’original de ce texte est paru sur le blog de M. Chayneaud-Dupuy, persopolitique.fr
Avec nos chaleureux remerciements à l’auteur.