Un constat frappant : selon l’OMS, la solitude tue plus que le tabac (1). À l’inverse, des liens sociaux solides peuvent augmenter l’espérance de vie de dix ans (2). Pourtant, en France, 55 % des individus ont peur d’entrer en contact avec un inconnu (3), et ce chiffre atteint 68 % chez les moins de 25 ans, dont 71 % déclarent se sentir seuls (4). Les liens sociaux ne sont pas seulement une quête personnelle : ils sont le premier facteur de bonheur d’une vie (5) et répondent à 97 % des attentes des travailleurs (6). La nouvelle étude de la Fabrique Spinoza, “La société des liens”, montre que les liens sociaux vont bien au-delà du bien-être individuel. Ils sont au cœur des solutions aux multicrises que nous traversons.
Chiffres et exemples concrets à l’appui, la nouvelle étude de la Fabrique Spinoza “La société des liens » montre que les liens sociaux vont bien au-delà de notre bien-être individuel : ils constituent aussi une des réponses essentielles aux multicrises de notre société : détresse croissante des jeunes, isolement des personnes âgées, mal-être au travail, tensions sécuritaires, fractures territoriales, crises écologique et démocratique… Comme l’explique Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza, “Depuis quelque temps, on voit apparaître des signaux faibles qui montrent que les liens sociaux sont essentiels à une société en bonne santé, mais surtout, qu’ils représentent un principe d’action politique capable de bâtir une société plus fonctionnelle, fraternelle et heureuse. De plus, ils conduisent à des gains financiers dans tous les champs et propulsent de nouveaux modèles économiques. »
Fragilisation, délitement, ou déclin du lien social ; société fragmentée, ultra-digitalisée, et à la violence surmédiatisée ; climat de méfiance et épidémie de solitude… Que reste-t-il au projet de société et du vivre ensemble ? Comment dépasser la vulnérabilité de la rencontre et rejoindre un projet commun pour refaire société ? Comment restaurer ou renforcer le lien social pour une société plus harmonieuse ? Et qui fonctionne mieux ! Alors, dans quelle mesure activer le pouvoir des relations contribue-t-il à bâtir une société plus harmonieuse, prospère et résiliente ?
Dans un secteur de la santé en crise, par exemple, les liens sociaux dessinent une autre approche du soin, capable de recréer confiance et espoir, aussi bien chez les jeunes que chez nos aînés.
Au travail, face à l’appauvrissement des relations humaines, exacerbé par le télétravail, ils esquissent une nouvelle vision de l’entreprise : plus horizontale, plus collaborative et où les émotions positives ont une vraie place. Dans les territoires et l’espace public, les liens sociaux revitalisent villes et villages en impulsant de nouveaux modèles économiques et solidaires ; ils apportent également sécurité, protection et résilience dans une société sous tension tout en générant de l’action collective au service du bien commun. En outre, les liens sociaux encouragent des comportements plus écologiques et participent à reconstruire le tissu démocratique.
Que dirait Spinoza de la « Société des liens » ?
« L’humain n’est pas un empire dans un empire
Dans la préface de la partie III de l’Ethique, Spinoza suggère que la plupart des gens “conçoivent l’homme dans la nature comme un empire dans un empire, car ils croient que l’homme perturbe l’ordre de la nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses actions une absolue puissance et n’est déterminé que par lui-même”. En imaginant les humains “hors” ou “au-dessus” des lois naturelles, on le détache des liens de la causalité, qui relient pourtant l’ensemble de la nature.
La société est faite d’interdépendances
Au premier chapitre du Traité Politique, il écrit que “tous les hommes, barbares ou cultivés, tissent partout des liens coutumiers et partout organisent quelque société civile”. Plutôt que de croire que l’humain a une “emprise” sur ce qui l’entoure, il est nécessaire de comprendre et nourrir les liens, les relations, et les interdépendances entre les choses. Rien ne sert de vouloir sortir de la société, car elle existe partout où se trouve les humains.
Nous tissons des liens partout et avec toutes les formes de vivants ou non-vivants, et il est fondamental de prendre conscience de ces interdépendances.
La raison nous relie
Pour Spinoza, la plupart des affects divisent et délient les individus, car personne n’est certain d’éprouver la même chose que son semblable. La musique peut être bonne pour le mélancolique, mais ni bonne ni mauvaise pour le sourd. Et tout langage possède le risque de ne pas être compris, ou compris de travers. C’est pour cette raison que la philosophie est si importante : elle permet de nous relier, et de comprendre les relations entre les mots et les idées. Penser, somme toute, ce n’est rien d’autre que faire des liens.
Dans la partie III de l’Ethique, Spinoza définit la “Générosité” comme “le désir par lequel chacun, sous la seule dictée de la raison, s’efforce d’aider les autres hommes et de se les lier d’amitié”. C’est par le soin de l’autre et l’effort de lier des amitiés intellectuelles que l’on peut se grandir en tant qu’individu, mais également en tant que société tout entière.
Les liens forts sont des liens qui libèrent
Tout le projet éthique de Spinoza, visant à rendre l’homme heureux, pourrait être envisagé comme une manière de distinguer entre les liens qui nous asservissent et nous enchaînent et les liens qui nous libèrent. Spinoza ne considère pas que la liberté réside dans le choix ou la possibilité de décider de faire une chose ou non, mais au contraire dans notre puissance à comprendre ce qui nous relie et nous détermine à agir. Ce n’est que de cette manière que nous augmentons notre compréhension et notre conscience de la nature, et que nous pouvons accéder, les uns reliés aux autres, à l’état de béatitude spinoziste de la partie V de l’Ethique. »
Nicolas Bouteloup, Enseignant – Conférencier Président de Faire Philo – Auteur de Quand les liens nous libèrent. Les déclinaisons de l’ordre chez Spinoza, (Éditions Hermann, 2024)
LES GRANDS MESSAGES
Le lien social mis à mal peut être ré-expérimenté et la peur de l’autre dépassée en ignorant ses “prédictions affectives” erronées
La prévalence de l’amitié au travail accuse une baisse de 50 à 30% en 20 ans. La confiance aussi : 79% des Français pensent que vis-à-vis d’un inconnu, on n’est jamais trop prudent. Et 55% ont peur de rentrer en contact avec un inconnu. 68% pour les moins de 25 ans, qui sont 71% à se sentir seuls. Sans compter les 500 000 personnes en situation de “mort sociale”. La volonté d’interagir avec l’autre souffre d’une “prédiction affective erronée” : dans une expérience, les passagers de trains de banlieue préfèrent ne pas s’adresser à leur voisin alors que ceux le faisant déclarent a posteriori une satisfaction plus élevée. Le lien social subit cette limite que, pour en tirer les vertus, il faut l’expérimenter. Une simple expérience de salutation comme GenWell suffit d’ailleurs à retrouver la curiosité de l’autre (à 75%) et l’optimisme de la rencontre. La Fraternité demande donc à être vécue de nouveau. Des dizaines d’initiatives le visent : Faut qu’on parle, Kif kif – Vivre ensemble, Braver Angels, Maison de la conversation, Destin commun, etc.
Le lien social est le chaînon manquant entre individus, société civile et Etat, pour une société fonctionnelle et solidaire. Le “citoyen en lien” devient un coproducteur de services pour la Cité
Si la solidarité est clé, pour Etienne Pinte, “la fraternité est plus engageante, elle rend chacun co-responsable de la construction de la solidarité”. La Fraternité est la valeur républicaine équilibrant le couple bancal Liberté-Egalité. Vu ainsi, la solidarité doit être désinstitionnalisée. En effet, la Fraternité est à la fois la source et le prolongement nécessaire à l’Etat-Providence. Les liens sociaux, une des incarnations de la Fraternité, permettent de réduire l’écart entre les institutions (ou associations) et les individus (surtout les vulnérables). Les “collectifs” (y compris spontanés, comme ceux rassemblés par les inondations du Nord-Pas-de-Calais) unis par des liens pourraient alors être ce maillon manquant pour agir. Armelle Carminati rappelle ainsi l’importance d’adosser les relations fonctionnelles aux relations interpersonnelles. A cette condition, les élans citoyens de la crise sanitaire, les élans démocratiques des gilets jaunes, les élans solidaires de la guerre, etc. pourront se péréniser pour une société fraternelle et efficace.
Le lien social peut alors devenir un domaine légitime d’action de l’Etat. Le citoyen en lien devient alors un coproducteur de services pour la cité.
Les liens sociaux sont bénéfiques et opérants, voire fondateurs de l’action dans toutes les sphères de la société, répondants aux multi-crises : sanitaire, de la jeunesse, du travail, urbaine, démocratique et écologique.
D’après l’étude Grant, ils sont le 1er facteur d’épanouissement d’une vie. Mais aussi de santé. La solitude tue plus que le tabac (OMS). Inversement, ils dessinent une nouvelle approche, voire un nouveau système de soin tels ces médecins qui prescrivent du lien social. Science à l’appui, les liens sociaux sont à même de soulager la détresse de la jeunesse, lui redonner confiance ou estime et l’aider à se construire.
Malmenés par l’hybride, les liens sociaux sont la 1ère demande à 97% au travail, et dessinent un nouveau modèle d’entreprise, jusqu’à esquisser une économie de la relation. Localement, des projets retissent la confiance, font dialoguer (Faut qu’on parle), pour refaire démocratie. Le lien social est aussi co-producteur de sécurité (71% des interrogés) à l’image des Voisins vigilants (Lyon), et des polices d’engagement communautaire (Canada). Enfin, le lien social favorise les comportements écologiques, donne confiance pour agir pour la planète, comme l’illustrent les programmes collectifs (programmes citoyens d’énergie renouvelable), bâtissant une “empathie élargie” au vivant (ADEME).
Les mécanismes par lesquels les liens sociaux sont bénéfiques sont multiples.
Ils génèrent de l’activité physique, mais aussi des activités diverses. Ils sont corrélés aux émotions. Ils jouent un rôle de contrôle social, mais aussi de filet de protection. Ils développent les compétences, en particulier les psychosocio-émotionnelles, comme l’empathie. Ils génèrent des émotions positives aux multiples bienfaits. Ils diversifient les types de relations et favorisent l’inclusion, l’appartenance, et le sentiment d’utilité.
Les liens sociaux tendent à s’horizontaliser induisant des mutations sociétales profondes, au travail, dans la ville, à l’école.
La France est le pays le plus vertical de l’OCDE et le vit mal. Pourtant les entreprises voient les relations s’horizontaliser, notamment via l’hybride. Celles à “haute fiabilité” prônent même l’effacement hiérarchique, d’autres le mentorat inversé, les évaluations à 360°(des Préfets), ou le codéveloppement. Dans la vie de la cité, la frontière aidant-aidé disparaît comme chez Entourage où certains bénévoles sont sans-abris. Certains EHPAD cuisinent les repas avec les résidents. A l’école afin de promouvoir la coopération, et “que le modèle fonctionne, il faut qu’à un certain moment, tous les élèves d’une classe occupent les deux rôles de tuteur et tutoré”. Une telle Société des Liens est plus qu’horizontale, c’est une société d’émancipation, de co-responsabilité, voire de co-production de valeur ajoutée, donc d’interdépendance.
Les métiers du lien, un maillage essentiel de la société. De nouveaux métiers du lien apparaissent ex-nihilo ou à partir de métiers existants, dans le soin et plus largement.
Parmi les nombreux métiers de liens, on peut distinguer les suivants : animateur en gérontologie à domicile, facteur (“la visite du facteur”), “social prescriber” ou “link worker” anglais (remboursé par la sécurité sociale), médiateur social (qui fait la passerelle entre les personnes vulnérables et les institutions), ambassadeur de communauté (ou community organizers), médecin de liens (La Traverse), tuteur de résilience (citoyen sentinelle, cf Boris Cyrulnik), Chief Happiness Officer (voir “CHO, réalités derrière les fantasmes”), Barista (un dirigeant de l’assurance rapporte que c’est le recrutement le plus important de l’entreprise), responsable convivialité (Social Bar), “commerçant accompagnant” (étude “le commerce idéal de demain”), ou auxiliaire d’envie (Alenvi). On citera avec plaisir le cas inspirant de Pierre Caro : autonommé “retraité professionnel”, “citoyen-acteur-retraité” ou “artisan du bien vieillir”, mais aussi “parlementaire de territoire” (faisant le lien entre son quartier et sa députée avec 80 autres citoyens), et sa “maison ouverte à tous”, y compris pour les mariages. Chacun de ces métiers magnifie l’impact via une mise à profit du lien social.
Dans une Société des Liens, le repas occupe une place centrale, comme point ultime de rassemblement, par delà les frontières des mondes.
Les points de départ du lien social sont extrêmement variés : les “give box” du Rouret, l’art (les Jeudis au Musée de Montréal), la nature (activation de parcs urbains via l’aménagement de friches urbaines en pleine terre comme à Vive Les Groues, Foresta ou Bercy Beaucoup), la caisse de supermarché (BlaBlaCaisse), etc. En haut du podium, les repas sont un motif 1er de rassemblement. L’UNESCO considère les cafés “essentiels pour la socialisation”.
L’association des Bistrots de pays cherche à faire inscrire ces derniers au patrimoine universel, alors que le “Repas à la française” l’est déjà. L’EHPAD Les Lilas Jamy fait cuisiner les résidents et le personnel. Le Food Truck de celui de Parmelan rassemble. Certains EHPAD créent un bistrot interne ouvert sur la commune. Quelques autres exemples : la Baraque à Frat, le Four itinérant de Torcy, les Petites Cantines, les “Dîners de pont” imaginés par Delphine Horvilleur, la Table d’Aude (800 personnes). Le monde de l’entreprise cherche à capitaliser sur ce moment clé du repas : Never Eat Alone apparie des collaborateurs, Factory paie le déjeuner de tous les employés au restaurant, sur place. Les repas rassemblent par delà les frontières : Entourage inclut des sans-abris dans des déjeuners-séminaires en entreprise, et La Salle à Manger de la Défense rassemble cadres, employés, étudiants et grands précaires (1€ le repas). La Cantine des Policiers fait manger ensemble élèves et policiers à Beauvais. Pour Yes We Camp, la cantine est le centre vivant de tout lieu, et l’endroit où et à investir.
Les liens sociaux conduisent à des bénéfices financiers pour la société dans tous les champs (santé, travail, etc.), voire propulsent de nouveaux modèles économiques.
Après un AVC et 2 ans d’hospitalisation, l’initiative des voisins “Hubert go home” adapte le logement d’Hubert à son handicap et lui permet de rentrer chez lui, induisant des économies pour la société. 39% des jobs seraient trouvés par les demandeurs d’emploi via les liens faibles. Le maintien du lien social pour les jeunes éviterait les “hikimori” ou retraits complets de jeunes de la vie sociale et le décrochage étudiant ou professionnel qui va avec. Le modèle de soins de proximité fondé sur le lien de Buurtzorg en Hollande ferait économiser 40 Mds d’€ s’il était généralisé aux Pays-Bas. Le “travailleur du lien” anglais générerait entre £2.14 et £8.56 en valeur économique et sociale pour chaque £1 dépensée. Alors que les économistes rappellent le coût élevé de la non-confiance, des modèles économiques fondés sur le lien y répondent : l’économie collaborative (88% des membres BlaBlaCar font confiance à leur communauté), le digital local avec des acteurs comme HelloAsso ou la plateforme leboncoin (67% font confiance aux autres après utilisation). On parle même de “économie de la relation” théorisé par Obadia, où la richesse d’une organisation dépend de son écosystème et de l’ensemble de ses relations. Pour Officience, cette économie prend en compte les flux d’émotions, de reconnaissance et de confiance. Cette hypothèse est corroborée par une demande croissante de commerces avec une expérience affective (cf Le Commerce idéal de demain). Pour les économistes, la valeur économique générée dans une ville dépend des relations et des flux présents. Esther Duflo démontre que les programmes d’aide au développement financiers ne sont pas plus efficaces qu’un accompagnement psychologique et relationnel.
Enfin, une entreprise ne saurait aujourd’hui générer de la valeur économique sans des managers “garants des relations” : 85% de leurs compétences seraient émotionnelles selon Hayes.
Il existe une véritable ingénierie du lien social qui met à profit des grands principes de la création de lien, autant de briques pour bâtir un protocole de lien.
La traversée des univers de la santé, ville, travail, etc. a permis d’identifier de grandes briques des liens sociaux : l’expérience, le récit, l’indéterminé, le désaccord, l’agilité, la régularité, le rituel, l’occasion, les moteurs, les facilitateurs, les valeurs, le nom, le prétexte, la transmission, le faire, la logistique, le chez soi, l’espace, la co-construction, la prédiction affective, l’anticipation, la qualité sonore, la commensalité, l’altérité, le genre apaisé, l’interdépendance, la connexion au vivant, la température, l’activité physique, le corps, la proximité, la résonance émotionnelle, l’effort, la confiance, la gratuité, l’horizontalité, la simplicité, la vérité, la vulnérabilité, le temps, la présence, l’écoute, l’amour, la diversité.
Les relations, source de santé
Les liens sociaux ont un impact fort sur la santé via les émotions.
‘‘On ne peut pas séparer la cause des émotions du monde des relations. Les interactions sociales sont ce qui conduit nos émotions’’ (Richard Davidson). Ces dernières, si positives, impactent l’espérance de vie (9,4 ans), l’immunité (résistance au rhume), et diminuent le stress (récupération plus rapide). Elles fabriquent même des ressources et des compétences. Différentes émotions, sentiments, ou comportements induisent différents bénéfices : gratitude (inflammation), pardon (risques cardiovasculaire), optimisme (observance thérapeutique), rire (risques ischémiques), amour (immunité).
Toutes les formes de liens et leurs déclinaisons sont bénéfiques pour la santé.
‘‘Si la solitude tue, et est plus nocive que l’inactivité physique ou l’obésité, et comparable au tabagisme et l’alcool, inversement, les relations sont prodigues de bénéfices de santé selon leurs formes : amitié (moindre probabilité de mort prématurée dans l’année de 50%), amitié adolescente (tonalité émotionnelle, dépression, anxiété), groupes spirituels (9 ans de plus d’espérance de vie), nombre de relations (plus important pour les jeunes et seniors que les autres), appartenance (2 x plus à se sentir en bonne santé), micro-relations de voisinage (67% moins de risques cardiaques), altruisme (43% à avoir plus d’énergie), engagement (1,8 x plus à se sentir en bonne santé), diversité (plus d’activités), soutien social (47% de diminution anxiété sévère chez les jeunes), bonjours (bien-être social, communautaire, professionnel et physique élevé), utilité sociale (invalidité et mortalité, seniors), liens faibles (émancipation, empuissancement des seniors), écoute (4 ans de vie cognitive chez les seniors), toucher (95% de taux de survie de prématurés).
Ces bénéfices des liens sont opérationnalisables pour la santé par des initiatives concrètes.
De nombreux dispositifs s’appuient sur les bénéfices décrits des liens sociaux pour les mettre à profit. À UC San Diego, des patients ont rempli des “journaux de gratitude” et vu en 8 semaines, une baisse de leurs biomarqueurs inflammatoires cardiaques. En 4 semaines, des appels “Sunshine calls” de profanes formés à la conversation empathique ont permis une réduction de la solitude, de la dépression et de l’anxiété. Les “Kits de premiers secours psychologiques” équipent professionnels et citoyens à soutenir une personne en détresse. Le groupe ADEF pratique l’écoute existentielle dans ses EHPAD. La République des Hypervoisins encourage à dire bonjour 50 fois par jour, et fait émerger une maison de santé citoyenne suite à un repas géant de quartier. Dans les Pyrénées Orientales, les “Initiatives des citoyens volontaires” sont nées en 2021 car 70% des usagers pourraient être pris en charge par un tiers, et de manière comparable les Pompiers de Paris ont un programme Vivre ensemble.
Les bienfaits des liens dessinent une toute autre approche de soin et de la relation dans le soin.
Tout d’abord, les lieux de santé peuvent être réinventés, à l’image de maisons de santé d’inspiration citoyenne par les Hypervoisins, de La générale qui combine café associatif et consultations de médecins, ou de La Traverse à Bergerac où les médecins déprescrivent “pour prescrire du lien social”. Les “social prescribers” anglais cherchent toutes les ressources sociales autour de la personne pour oeuvrer à sa santé globale et sont financés par la sécurité sociale. Buurtzorg mise sur des soins infirmiers de proximité axés sur le lien humain et diminuent ainsi de 30% des hospitalisations d’urgence. Plus largement, les alliances thérapeutiques, ou les patients partenaires suggèrent une évolution de la relation soignant-patient. La non observance étant le plus gros enjeu de santé mondial pour l’OMS, cette relation génère des comportements pro-sanitaires. Selon Abramovici, 30% des consultations généralistes sont pour des problèmes d’être, rendant pertinent une approche de soin prenant en compte le lien.
D’ailleurs, un nombre croissant de médecins sont maintenant formés à la pleine conscience, ou développent leur intelligence émotionnelle via le théâtre-forum. Enfin, les labels d’EHPAD comme Humanitude mettent l’accent sur une certaine qualité de relation. Même l’analyse de la place des individus dans leur réseau permettrait de comprendre les mécanismes de contagion virale ou d’information.
Le pouvoir éducatif et développemental des relations
Une école de lien peut être dessinée, plus flexible, collaborative, affective et bienveillante.
1,6 million de jeunes français souffriraient de trouble psychique. L’école peut contribuer à l’atténuer. Pour commencer, les bâtiments scolaires peuvent être repensés, d’abord en les renaturant, comme à Boulogne où 345 espèces dont 138 espèces animales sont réapparues. En effet, la nature est bénéfique pour les problèmes de comportement, l’activité physique, la régulation émotionnelle, la curiosité et la sensibilité des enfants, et nombre de jeux. Ensuite, les “flex-classes” comme à Tilloy-les-Mofflaines, en s’appuyant sur l’ergonomie sociale, favorisent l’apprentissage et l’épanouissement des élèves.
Au-delà du bâti, les relations enseignants-élèves sont plus distantes en France comparées à l’Angleterre et à d’autres pays (Osborn), et mériteraient d’être rendues plus affectives, par-delà l’inquiétude identitaire d’être assimilés à des “travailleurs sociaux” des professeurs (Anne Barrère). Plus largement, les relations comptent particulièrement pour les jeunes générant un cercle vertueux avec l’estime de soi. Les approches “Teaching Through Interactions” ou “Apprentissage social” (les interactions représentant 20% de cet apprentissage pour Hamre et Pianta) sont prometteuses car elles sont riches en relations. Faire des élèves des co-enseignants est pour Sylvain Connac vecteur de lien et de meilleurs résultats (en particulier en calcul). Des outils existent : le kit Covid’ailes de Shankland (98% de satisfaction), le cercle de confiance du programme suisse BALE (environ zéro exclusions d’élèves par leurs pairs), Astrée (écoute active de bénévoles), les partenariats inter-élèves sur les forces (Seligman) pour découvrir l’interdépendance.
Également, les seniors méritent de trouver une place dans l’accompagnement de la jeunesse à l’image des programmes ShareAmi (autour de la langue française), les Talents d’alphonse (autour de la transmission), Lire et faire lire, Raconte moi une histoire, Les objets de la vie (Récits de vie), Duo for a job. Enfin, n’oublions pas la fonction sociale de la fête pour les jeunes, en particulier la constitution d’un “soutien social perçu”, qui réduit l’anxiété et la dépression, pour une meilleure santé mentale en général.
Les relations au coeur d’une entreprise relationnalle
Les liens sont une écrasante attente n°1 (97%) des collaborateurs dans un contexte d’appauvrissement des relations au travail, en partie lié à l’hybride.
Les relations se délitent au travail. En 1985, 50% des Américains déclaraient avoir un “work bestie”, ou “super pote-collègue”, contre 30% en 2019, ce chiffre ayant certainement décru post Covid. Avec la pandémie, 69% des salariés n’ont pas réussi à maintenir des interactions qualitatives avec leurs collègues lorsqu’ils travaillaient à distance. Pourtant, la demande de liens est unanime : pour 97%, avoir de bonnes relations avec leurs collègues (et leur supérieur hiérarchique) est essentiel, y compris pour leur performance (71%). Ce lien impacte au travail : le plaisir (75%), le stress (1er bouclier), la santé (1er déterminant, OCDE), le bien-être (idem), la satisfaction (82%). Pour la CFDT, “la crise du sens au travail tire son origine d’une dimension relationnelle trop souvent négligée”.
Les liens impactent l’engagement et la performance pour 67% des interrogés, mais aussi la qualité de décision. L’amitié est particulièrement impactante, et deux fois plus pour les femmes. La distanciation sociale est aggravée par le fantasme d’un télétravail très productif, alors que les gains estimés sont entre -20% et + 30% (Fabrique de l’Industrie). Pour le pallier, Autissier a dessiné un “processus de réingénierie distancielle” qui organise l’équipe en fonction des activités télérobustes ou téléfragiles. En complément, il est impératif de former les managers aux organisations relationnelles du travail hybrides, et de sanctuariser les rituels conviviaux.
Le travail gagnerait à donner une place centrale aux émotions, à l’intégrité, et la communication.
Les émotions doivent gagner leur place au travail, puisque 85% des compétences de demain sont émotionnelles (Harvard Business Review). 63% seraient même prêts à une mesure automatique des émotions (Comarketing, 2017). Malgré tout, la France y est culturellement averse, étant le pays où sourire est considéré comme le plus bête (Gaël Brulé). Gollac parle même de “l’exigence émotionnelle” comme l’une des 6 grandes causes de stress. A l’inverse, l’expression de la vulnérabilité au travail trouve son chemin, et favorise l’épanouissement et la performance (Brene Browne). La MAIF et les Black elephants l’encouragent. Vu ainsi, la communication est une compétence clé. Elle serait la première des compétences psychosociales selon les dirigeants d’entreprise, plus importantes que les compétences techniques. Elle peut être développée via des outils tels : le DISC, le MBTI, l’Intelligence Emotionnelle, la Communication Non Violente, ou Bienveillante, l’assertivité, l’écoute active, ou les réponses actives-constructives. En parallèle, les managements émotionnels sont favorisés : management par l’amour de l’Amiral Lajous, bienveillant, altruiste de Getz/Marbacher, humaniste de Lecomte, positif d’Attali, etc.
Des pratiques digitales accompagnent ce mouvement : les 12 principes d’une visioconférence vertueuse (“Vers un digital vertueux”), l’utilisation d’émojis (relations plus positives avérées), ou les bureaux virtuels en télétravail (plateforme GatherTown propice aux échanges et à la sérendipité). Les célébrations sont essentielles car les relations sont plus affectées par l’accueil de bonnes nouvelles que de problèmes. Les fêtes tissent des liens : on observe une recrudescence positive des séminaires d’entreprises, des rituels de danse matinaux (Capgemini Bombay), et même des organisations qui créent une discothèque dans leurs bureaux. Enfin, certains hôpitaux vont même jusqu’à adopter des règles de sourire – à 10 pas, je souris, à 5 pas je salue ! – pour des résultats étonnants sur le bonheur au travail et la satisfaction des patients.
En complément, les entreprises relationnelles bénéficieraient de déployer une gouvernance de communauté, de valeur et d’appartenance.
Les valeurs créent du lien : 88% des jeunes collaborateurs jugent important de partager les mêmes valeurs que leur entreprise. Les valeurs génèrent aussi de la valeur (entreprises plus performantes et durables, Collins & Porras). Elles favorisent l’appartenance, qui renforce les liens, l’engagement (gain de 56% ), et la performance (93% d’accord ). Pour cela, connaître sa place est clé : la Marine fait visiter un vaisseau en entier au nouveau marin ; Suresnes organise des vis-ma-vie, et le Morbihan a dessiné un jeu de l’oie pour l’intégration. D’ailleurs, les jeux contribuent au lien, tels les escape games de la ville d’Orléans. Le collaboratif est aussi plébiscité et impacte la productivité des équipes (65% d’accord), et la motivation des salariés (60% d’accord). Ainsi, ATOS supprime 70% de ses mails pour basculer vers une plateforme digitale, générant 40% de plus de collaboration. La reconnaissance est enfin clé. 44% des interrogés avaient déjà démissionné en son absence. Ce serait le premier levier de QVT pour 76% des interrogés. Elle consacre un lien de qualité.
En résumé, les nouvelles formes de gouvernance s’appuient sur le lien. Par exemple, l’adhocratie vise une organisation en tribus, avec circulation fluide voire informelle de l’information entre des cercles. Exemples : Laloux conceptualise des entreprises devenues des communautés auto-organisées ; le “reciprocity ring” inspiré de la Kula, le système d’échange de cadeaux des indigènes de Nouvelle-Guinée, rassemble 18 000 salariés inter-organisations qui s’entraident. Pour HappyTime, les communautés internes, par leur lien, motivent, donnent du sens, développent l’intelligence collective et sont adaptées aux jeunes générations.
Les espaces de travail sont déterminants à transformer en faveur des relations.
La littérature montre l’importance de l’espace de travail, au point de parler d’un “fait social total”. Pour Goffman, l’espace physique peut être à la fois “un cadre, un conditionnement, un signe et un idiome d’interaction sociale”. L’attente première et unanime des bureaux est le lien : coin café / thé 54%, jardin, terrasse ou espace vert 48%, espace convivial de détente et de partage informel 43%, cuisine en libre accès 40%, cafétéria 30%, restaurant d’entreprise 25% (vs. salle de réunion 23%, ou salle de visio. 17%).
Le télétravail nécessite de repenser les bureaux pour 87% des salariés, contre 47% des dirigeants. Quelques clés d’ergonomie sociale : d’après les déterminants biologiques, les unités opérationnelles peuvent être repensées en groupes de 150 personnes maximum (nombre de Dunbar), les équipes en îlots de 12 personnes maximum. Des totems favorisent l’appartenance, comme le design en arbre de Vyv, la place du village chez Hopscotch ou le terrain de foot symbolique de SoRare.
Enfin, les espaces oubliés (coin photocopieuse, escaliers, autres circulations) sont des trésors pour susciter du lien, à l’image du Conseil Régional d’Ile-de-France où les agents font du sport (du “fractionné”) dans les escaliers.
L’inclusion est une approche bénéfique pour les relations et génère une grande performance.
Les français ont envie de travailler dans des entreprises de la diversité. Les entreprises affichant un équilibre entre les sexes ont enregistré un rendement annuel moyen supérieur de 2 points de % (Blackrock, 2013-2022). Les entreprises les plus diversifiées sont 70% plus susceptibles de conquérir de nouveaux marchés (Harvard Business Review, 2013). Pour 2/3 des salariés, la présence d’un collègue en situation de handicap offre l’opportunité d’adopter de nouvelles manières de faire, devenant parfois “l’âme de l’équipe” (AGEFIPH). Également, la qualité relationnelle est supérieure dans les Entreprises Adaptées (Fabrique Spinoza). 86% des travailleurs interrogés déclarent aimer travailler avec des personnes plus âgées qu’eux. Ils rassemblent des compétences précieuses : savoirs-êtres (47%), gestion de la complexité (45%), etc. au point que certaines en font des task-forces comme les “Space Cowboys” d’Assystem.
Les liens au coeur de la vie dans la cité et des territoires
La ville doit être repensée comme une somme d’accidents relationnels.
La ville doit s’autoriser à être moins planifiée, au bénéfice d’émergence, d’accidents, afin que les citoyens s’en saisissent, telle une “flex-city”. Par exemple, comme analogie humaine des sentiers animaux, les “lignes de désir”, ces chemins empruntés et non planifiés dessinent la ville vécue et non prescrite. Les “jardiniers pirates” de Nancy plantent où bon leur semble. Les conversations feutrées par les fontaines, les pauses fruitières de Nantes, les mobiliers urbains de la rue de la Conversation, ou les chaises mobiles du Bryant Park à New York offrent des possibilités multiples
aux relations pour se créer.
Pour une émergence propice aux liens, la ville doit être démassifiée et ciselée. Les RDC jouent un rôle clé alors qu’ils sont déconsidérés par les promoteurs (qui ne peuvent passer à l’échelle). Des acteurs du lien doivent s’en saisir (ex : les foncières solidaires), afin d’évaluer la ville au “% de linéaire créateur de lien”. Le PLU pourrait d’ailleurs être transformé afin d’ajouter une catégorie “mixte” ou “créateur de lien”. Enfin, la déprivatisation des RDC est clé, afin d’éviter le phénomène La Défense où les halls des tours ne sont pensés que pour les déchets, les livraisons, ou le personnel, et pourraient à l’inverse être dessinés pour une variété élargie d’usages et de publics, ou pour le bien commun. Enfin, des expérimentations de “Managers de rue” comme sur “Main Street America” visent à développer les multi-activités, le lien et l’économie locale.
Les commerces, cafés, lieux, événements, cœurs vibrants de la société se réinventent en lien.
Les commerces et cafés disparaissent. 62% des communes en zones rurales ne disposaient d’aucun commerce en 2023 (contre 25% en 1980). Les cafés sont passés de 200 000 en 1960 à 38 000 aujourd’hui.
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Pourtant, pour 93% des seniors, c’est l’enjeu numéro 1 contre la solitude. Comme vu plus haut, les Bistrots de Pays veulent les faire inscrire au patrimoine universel de l’Unesco. Heureusement, le nombre de tiers-lieux se développe de 20% par an et ils offrent un nouveau modèle d’espace de lien et de mixité.
Plus largement, l’hybridation présente un espoir en mixant les usages : EHPAD et co-working, école et jardin, garage et centre de santé, café et lieu de soin, bureau et accueil de grands précaires, résidence et incubateur, camion-pizza et intergénérationnel. Ces lieux multi-fonctions développent de nouveaux modèles économiques, et de nouveaux liens. D’après l’étude “commerce idéal de demain”, ils concourent au désir d’activités plus expérientielle, affective et relationnelle. Des dispositifs aident au redéveloppement de ces activités comme les associations spontanées d’habitant (Bas-Rhin), les soutiens de MonEpi (épiciers), ou “Mon centre bourg a un incroyable commerce” (un hackathon de 24h pour designer un commerce autour d’un entrepreneur).
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Les liens sociaux produisent sécurité, protection et résilience.
Pour 71% des Français, la Fraternité est utile à la sécurité. Pour Fabienne Brugère, le lien rend la ville plus sécurisée, concourant avec 49% des Français pour qui le lien social produit un effet positif sur le niveau de violence dans la société. Yes We Camp constate que des personnes (a fortiori en lien) marchant dans la rue co-fabriquent un service de sécurité. Autre illustration, le quartier de l’entrepôt BETC à Pantin devient secure via grâce à 240 000 visiteurs et ses 336 artistes. Les citoyens peuvent aussi s’organiser, à l’instar de Voisins vigilants rassemblés sur un fil Whatsapp à Lyon-Confluence, ou des femmes qui mènent des marches exploratoires à Marseille pour se réapproprier la ville et faire des recommandations de sécurité, ou des habitants de Christiania au Danemark qui font du “social hacking” en descellant les pavés afin de chasser les dealers. Les forces de l’ordre pourraient s’en inspirer, à l’image des cafés policiers de Beauvais, des formations à l’empathie des policiers de Suisse Romande, ou des préconisations du Centre international pour la prévention de la criminalité qui recommande de favoriser “l’engagement communautaire”. La protection résultant du lien social intervient aussi dans le champ de l’urgence, lorsque Berti, 15 ans, prévenu par l’appli SAUV Life, peut relayer le massage cardiaque auprès d’un malade. Cette app est utilisée par le SAMU car “une minute c’est 10% de survie en moins”. Enfin, la résilience est meilleure grâce au lien : les villages avec le plus de liens faibles comptent le moins de victimes lors de tsunamis au Japon.
Les liens (et médias de liens) soignent la crise de la confiance, donc la démocratie.
79% des Français pensent que vis-à-vis d’un inconnu, on n’est jamais trop prudent. Cette crise de la confiance affecte la démocratie dans son ensemble. Les Français sont aussi 54% à ne pas faire confiance aux médias. Cette défiance s’incarne dans le rapport à l’altérité. 31% préfèrent s’abstenir d’échanger avec un autre s’il y a désaccord sur un sujet primordial, empêchant la délibération citoyenne, déboutant jusqu’au café, ce “parlement du peuple” (Balzac). D’ailleurs, pour le CESE en 2017, la montée des populismes s’expliquerait : “la pauvreté relationnelle est à la racine du sentiment de ne pas compter, de ne pas peser dans le cours des choses”. Pourtant, les interactions sociales développent l’empathie, nécessaire au “faire démocratie” ensemble. Structurés, les liens sociaux cultivent la confiance. Les Hypervoisins (qui se disent bonjour 50 fois par jour) atteignent un niveau de confiance de 5 (sur 7) contre 4 dans le quartier et 3 dans la ville en général. Les utilisateurs de BlaBlaCar se font confiance à 88%. De même, les écolieux fabriquent une confiance à 85% contre 30% au niveau européen. En effet, les liens faibles permettent de comprendre des gens différents de nous (Granovetter), ou d’autres points de vue (94% des connecteurs de Coexister se sentent capables de créer des espaces de confiance). Les initiatives de dialogue sont donc essentielles pour la démocratie : Casa de Massilia, Faut qu’on parle, Coexister, Le commun des mortels, etc.
Les liens sociaux ont un impact sur les institutions, comme, lorsqu’à Autun, grâce sa politique culturelle inclusive, les gilets jaunes délibèrent sans violence en comparaison des 2 communes avoisinantes. L’approche empathique des dialogues de Talanoa encourage la création de liens entre délégations lors des négociations de la Cop 23. L’initiative du Parlement des liens dessine une démocratie de préoccupation des intérêts de l’autre, et Pierre Caro est un des bâtisseur du Parlement des territoire avec 80 autres citoyens qui tissent des liens de voisinage pour remonter la température à leur députée. Bancale sur ses deux pieds Liberté et Égalité, la Démocratie a besoin de Fraternité pour tenir debout. Les médias, en particulier la presse régionale, contribuent à resserrer le lien entre démocratie et citoyens.
Les relations, au coeur d’une vision écosystémique
Une forme de liens est particulièrement bénéfique à l’être humain, ceux à la nature.
La biophilie répertorie les bénéfices du vivant : mortalité réduite (8 à 12% si présence de nature à moins de 250-500 mètres), espérance de vie (7 ans de plus si 10 arbres par pâté de maison), immunité (pendant 1 mois après une balade en forêt), stress (après quelques minutes en nature), santé mentale (+55% de risque en ville), cognition (décision, résolution, créativité). La moitié du PIB mondial résulterait de la nature (Davos). Enfin, la présence animale stimule la production d’ocytocine, qui apaise, attache, et booste l’immunité.
Recréer lien avec / se connecter à la nature favorise la transition écologique.
La distance moyenne d’un être humain de la nature est de 9,7 kilomètres soit 7% de plus qu’en 2000. On parle même de “extinction d’expérience de la nature”. Or, justement, la proximité à la nature génère de l’engagement environnemental : dès l’enfance, et même si la nature est virtuelle. L’expérience particulière de “Awe” ou émerveillement en nature provoque même, en plus d’un engagement écologique, une diminution de la préoccupation de soi, et une reconfiguration de sa consommation. Gérard Bos, directeur de la biodiversité de l’UICN, rapporte que des dirigeants faisant de l’escalade en montagne reviennent “reconnectés” et engagés écologiquement dans leur entreprise. Renaturer est donc un impératif de transition écologique.
Le développement de lien social est un levier essentiel de la transition écologique.
Le développement de liens sociaux atténue le sentiment d’injustice sociale éventuel de la transition. “Les êtres humains ont besoin de coopérer et de faire confiance aux autres afin d’agir de façon à préserver l’environnement.”
Les liens sociaux permettent de converger. La maire de Vorey a recréé des liens conviviaux entre les “agris intensifs” et les “néo-ruraux” aboutissant à un projet “Verger de mes rêves” en agriculture raisonnée. Les dynamiques de groupe nourrissent de nombreux progrès écologiques : programmes de compostage à jour fixe (propices aux rencontres) de l’ADEME, coopérative de production d’électricité, “Energy Neighbourhood” (et ses 46 millions de kWh économisés), My Little Planet (challenges par groupes), les Incroyables comestibles (potagers urbains), ou même la convention citoyenne pour le climat. De nombreux dispositifs écologiques s’appuient sur le lien : habitats participatifs, repairs cafés, jardins partagés, plateformes d’échange (90% de la communauté des utilisateurs de leboncoin déclarent redonner du sens à leur consommation), écolieux (leurs habitants émettent 2 fois moins de CO2 par an que la moyenne).
L’impact pourrait être systémique car le projet Transphère de Labbouz montre que les comportements environnementaux sont transférables d’une sphère à une autre (exemple : du travail au foyer). Enfin, les liens sociaux conjugués aux liens avec la nature dessinent un autre paradigme : “une empathie élargie, collective. Le ressort environnemental c’est un ressort de la connexion à la nature et à l’autre. A partir du moment où l’on se reconnecte, la protection de l’environnement devrait être automatique, c’est naturellement que l’on se préoccupe de l’autre et de la planète. » (ADEME).
Les sciences du bonheur (sciences cognitives, comportementales, économiques…) démontrent toutes l’avantage significatif des relations. Les initiatives territoriales essaiment pour donner à voir la puissance des relations en action. Il est temps de replacer les relations au cœur du projet de société et de bâtir les fondements et potentiels d’une société des liens et l’actualité le confirme : l’Institution d’un ministre chargé des mesures contre la solitude et l’isolement existe au Japon depuis février 2021, qui suit le Royaume Uni (2018) ; création d’une commission internationale de l’OMS pour favoriser le lien social (OMS, Novembre 2023), légifération en faveur d’un Bureau du lien social à la Maison blanche (The National Strategy for Social Connection Act, en mai 2023), programmation d’un parti politique français concentré sur le lien social, appel à une Fédération française pour le lien social pour lutter contre les méfaits de la solitude sur la santé publique en janvier 2024) ; institution d’une Chaire “Social care – Lien social et santé” à l’EHESP…
Que ce soit dans le domaine de la santé, de l’éducation et de la formation, du travail, de la vie de la cité et des territoires ou de l’écologie, il existe de nombreuses orientations de transformation sociétale vertueuses et souhaitables dessinant les fondements d’une société des liens.
(1) OMS Commission on social connection, créée le 15 novembre 2023
(2) Étude des nonnes, Snowdon. 2001
(3) Baromètre de l’Engagement Citoyen et Solidaire, HelloAsso et OpinionWay, 2023
(4) Une « épidémie de solitude » se répand chez les jeunes, Le Monde / IFOP 2023
(5) Grant Study of Adult Development, 19382000. Harvard Dataverse.
(6) Michael Page France. Étude Blurring : quand les collègues deviennent des amis.
Photo d’en-tête : Réunion de village aux Adrets de l’Esterel ( 83)