Il est des âmes dont la plume embrasse le tumulte du monde pour en extraire une vérité universelle. Samir Mattar est de celles-là. Libanais, témoin et acteur de l’histoire tourmentée de son pays, il a navigué entre les rives de l’éducation, de la recherche et de l’arbitrage international. Mais c’est dans l’écriture qu’il trouve une ancre, un exutoire, un témoignage vibrant de la tragédie humaine et des résurgences de l’espoir.
Le poème qu’il nous offre ici, d’une profondeur abyssale, nous convie à un voyage entre mémoire et devenir. À travers des références littéraires et philosophiques, il tisse une fresque où le passé, loin d’être un fardeau, devient un murmure bienveillant, un éclat de sagesse flottant sur le cours du temps. Loin d’être une prison, il se fait rivière, fluide et mouvante, sculptant sans enfermer. Mattar nous rappelle que nous sommes plus que nos blessures, que nous sommes les bâtisseurs de notre propre horizon, porteurs d’un avenir que seul notre courage peut dessiner.
D’une plume où vibrent les échos de Rilke, Gibran et Shakespeare, il nous offre un chant d’espérance : la souffrance n’est pas une fin, mais une transformation. Chaque cicatrice recèle une lumière, chaque épreuve nous façonne sans nous enfermer. « Que ton passé jamais ne soit fardeau pour ton avenir », murmure-t-il avec la tendresse d’un sage et la révolte d’un rêveur. Son poème, comme une boussole, nous guide vers l’acceptation et l’élan, vers cet équilibre fragile entre ce qui fut et ce qui sera.
Samir Mattar ne se contente pas de témoigner : il éclaire. Il ne se résigne pas : il transcende. Son poème est une invitation, une main tendue à tous ceux qui, portant le poids du passé, cherchent encore la mer où leur rivière pourra s’élancer.
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Sources et Affluents : Les origines du voyage
Grandir en Afrique de l’Ouest, c’était vivre au rythme du BBC World Service, ma fenêtre ouverte sur le monde, ma précieuse source d’inspiration, lien intime avec un univers bien plus vaste. Actualités, musique, conférences, éclairages—les voix des animateurs me devenaient familières, presque intimes, accompagnant mon quotidien. Chaque mot résonnait profondément, façonnant ma vision du monde et créant une connexion précieuse qui dépassait largement mon horizon immédiat. Lorsque j’ai entendu l’émission « Never Let Your Past Be a Burden to Your Future » diffusée par BBC Outlook, une cascade intense de souvenirs s’est déclenchée, semblable à la fameuse madeleine de Marcel Proust. Images, sons, émotions jaillirent avec vivacité, me conduisant à une introspection révélatrice.
Mon histoire me façonne sans me définir—elle propose des leçons et non des limites, offre une boussole plutôt que des chaînes. Chaque instant de mon passé, qu’il soit ombragé ou lumineux, murmure des possibilités dans mon présent. Tandis que j’avance, je porte en moi des échos plutôt que des fardeaux, de la sagesse plutôt que des blessures.
Les souvenirs flottent en moi, fragiles et puissants, refrains qui résonnent sur l’infini paysage de l’être. Ils évoquent le conseil intemporel de Rilke :
« Accepte tout ce qui t’arrive : beauté ou terreur. Continue simplement à avancer. Aucun sentiment n’est définitif. » Chaque mémoire est un univers en soi, riche de possibilités invisibles, attendant l’étincelle d’imagination qui lui donnera vie.
Que ton passé jamais ne soit fardeau pour ton avenir
Notre passé ne nous enchaîne pas : il murmure en nous, doux écho dispensant sa sagesse sans exiger de soumission. Les souvenirs glissent au-dedans, fragiles mais puissants, tels refrains égarés sur l’infini paysage de l’être, rappelant la sagesse intemporelle de Rilke : « Laisse tout t’arriver : beauté et terreur. Continue simplement. Aucun sentiment n’est définitif. » Chaque mémoire, univers en elle- même, recèle mille possibles, attendant la flamme d’une imagination qui rallume la vie. La vie est une danse subtile du devenir, se renouvelant à travers des cycles infinis de perte et de redécouverte, de douleur et de beauté profonde. Goethe murmure avec douceur : « Tout est difficile avant de devenir facile. » Dans cette danse se révèle l’art subtil de la résilience, rébellion silencieuse contre le désespoir. Notre plus grande force réside n’est pas d’éviter les blessures, mais de les accueillir pour les transformer en chemins de sagesse, de compassion et de renouveau.
Nous sommes d’éternels voyageurs, au confluent des ombres d’hier et de la lumière de demain. Shakespeare murmure à travers les âges : « Nous savons ce que nous sommes, mais nous ignorons ce que nous pourrions être. » Chaque expérience est une étoile dans la constellation de ma croissance, me guidant au-delà des horizons familiers vers des royaumes au potentiel éblouissant. Je ne navigue pas selon les limites de mon passé, mais selon l’immensité de mes rêves.
Les civilisations résonnent de cette vérité, réécrivant leurs destins en reconnaissant les cicatrices passées et en choisissant collectivement un avenir empreint d’empathie et de courage visionnaire. Pascal nous rappelle avec tendresse « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » – invitant à une guérison audacieuse, célébrant la victoire de l’esprit créatif sur la gravité de l’histoire.
« Qu’est-ce donc que le temps ? », questionne Augustin. « Si personne ne me le demande, je le sais ; mais dès qu’on m’interroge, je ne sais plus. » Le temps est une spirale infinie, portant les murmures des ancêtres qui nous ont rêvés jusqu’à l’existence. Leur sagesse éclaire doucement les chemins menant vers des lendemains ouverts à notre exploration. Le traumatisme, transformé par la compréhension, devient une terre fertile où s’enracine l’espoir, où fleurit une profonde beauté.
Nous sommes les poètes et rêveurs de notre propre existence, chargés de la responsabilité exaltante de créer sans cesse de nouveaux récits. « Se libérer » n’est ni effacement ni fuite—c’est un courageux pas vers l’inconnu, ouvrant grand nos cœurs à la merveilleuse énigme du devenir, embrassant tout ce que nous osons imaginer.
Dans le calme tranquille de mon esprit, Les souvenirs reviennent doucement,
Hier s’éloigne, demain m’attend,
J’avance sans crainte, simplement.
Cartographie des courants : Repérer les possibles
Les souvenirs dérivent comme des ombres légères, ni lourds ni pesants. Ils sont simplement là – murmures de ce qui fut, promesses de ce qui pourrait être. Notre passé n’est pas une cage, mais une rivière – mouvante, changeante, jamais figée. « Car qu’est-ce qu’une rivière sinon un voyage vers la mer ? » écrivait Gibran. « Et… que sommes-nous sinon des courants en quête de notre propre immensité ? »
Je me souviens d’un moment précis où j’ai vécu cette croisée. Après l’échec d’un projet qui m’était cher, je me suis retrouvé face à deux voies : celle de l’amertume qui m’aurait maintenu captif du passé, ou celle de la transformation qui m’invitait à voir cet échec comme le terreau fertile d’une nouvelle création. Ce n’est pas en effaçant l’expérience, mais en la réinterprétant que j’ai trouvé mon chemin.
Chaque vie est un récit de métamorphose – un voyage continu vers ce que nous devenons plutôt que ce que nous demeurons. Notre passé n’est pas une destination fixe, mais un paysage d’expériences pouvant aussi bien nous ancrer que nous propulser en avant. Ce choix repose en fin de compte dans notre regard et nos intentions. Nous portons en nous des histoires. Pas des fardeaux, mais des cartes. Chaque moment gravé non pour nous contraindre, mais pour nous guider. Le cœur connaît ce secret : la douleur n’est pas une demeure permanente, mais un territoire temporaire que nous traversons au fil du voyage. « La mer qui appelle toutes choses vers elle » rappelle Gibran, « est la même qui accueille à la fois la fin et le commencement de la rivière. »
Imagine-toi debout à la croisée des souvenirs et des possibles. Derrière toi, un territoire d’expériences – certaines blessées, d’autres lumineuses. Devant toi, un horizon libre de toute limite imposée par le passé. Voici l’instant du choix. Pas une rupture dramatique, mais un doux changement de cap.
Nous portons tous des souvenirs – certains lumineux, d’autres obscurs. Ces souvenirs sont comme des pierres dans notre sac à dos émotionnel : nous pouvons choisir qu’ils nous alourdissent ou qu’ils construisent les fondations de notre futur moi. L’art de vivre n’est pas d’oublier, mais de comprendre.
Tu es plus que la somme de tes blessures.
Tu es l’artisan de ce que tu deviens.
Chaque instant est une invitation à te réinventer.
Ton passé est une référence, non une chaîne.
La souffrance n’est pas une condamnation à perpétuité, mais un catalyseur potentiel pour grandir. Ces moments d’immense défi – la perte, l’échec, les obstacles apparemment insurmontables – contiennent en eux-mêmes les graines de la résilience, de la sagesse et d’une profonde transformation personnelle.
« Lâcher prise » n’est pas un acte unique, mais une pratique continuelle d’ourir les doigts. Certains jours seront plus faciles que d’autres. Certains souvenirs exigeront une attention plus douce et patiente. La clé réside dans une conscience persistante et bienveillante de soi.
La guérison n’est pas linéaire. C’est une respiration, un doux démêlage. Certains jours, les souvenirs seront proches, leurs contours acérés. D’autres fois, ils reposeront en silence, semblables à d’anciennes photographies dont les couleurs se sont doucement estompées avec le temps.
Ton avenir n’est pas déterminé par ton passé. Il est façonné par ton courage, tes choix, et ta croyance inébranlable en l’éventualité du possible. Cette philosophie dépasse le cadre personnel. Elle touche à la guérison collective – comment les communautés, les sociétés et les cultures avancent en reconnaissant l’histoire sans en être prisonnières. C’est une vérité universelle qui transcende l’expérience individuelle.
Nous ne sommes pas définis par ce qui nous est arrivé, mais par la manière dont nous choisissons de le comprendre. Pas par la force, mais par la compassion. Non par oubli, mais par transformation.
La liberté n’est pas l’absence de difficultés, mais la présence du choix. Lorsque nous décidons que notre passé ne dictera pas notre avenir, nous accomplissons un profond acte d’autodétermination. Il ne s’agit pas d’effacer l’histoire, mais de refuser qu’elle efface notre potentiel. L’avenir murmure : « Je t’attends. Non comme un jugement, mais comme une possibilité. »
Ainsi les souvenirs dérivent comme ombres légères, ni lourds ni fugaces.
Notre passé n’est pas une cage,
mais une rivière—fluide, changeante, jamais figée.
Et nous, courants éphémères,
cherchons notre immensité.
« La mer qui appelle toute chose à elle, » nous rappelle Gibran,
« est aussi celle qui berce la fin et le commencement du fleuve. »
L’Art de la dérive : Se libérer des ancres
Le passé ne s’accroche pas à nous – c’est nous qui nous accrochons à lui. Comme la brume matinale sur la rive d’une rivière, les souvenirs flottent sans poids, ni bénédiction ni malédiction, jusqu’à ce que nous décidions de les nommer ainsi. Ils ne sont pas des chaînes, mais semblables à l’eau : ils nous façonnent en nous traversant.
Chaque vie est une métamorphose continue. Nous ne sommes pas des sculptures figées dans la pierre, mais des rivières creusant des canyons. Chaque expérience est un courant qui peut nous emporter ou nous engloutir : La différence ne tient pas à ce que nous avons vécu, mais à la manière dont nous le portons. Nous sommes les cartographes de notre devenir – mais la mémoire, comme le Pays des Merveilles, échappe à toute cartographie. « À quoi bon retourner à hier ? » nous rappelle Alice. « J’étais alors une personne différente. » Ainsi, nous avançons, nos histoires non comme des fardeaux, mais comme des légendes annotées dans les marges : « Ici vivent les dragons ! », et juste après, en une écriture hésitante : « Ici, tu t’es rétréci pour survivre. Ici, tu as grandi assez pour déchirer le ciel. » La douleur n’est pas une patrie ; c’est un territoire que l’on traverse, aux frontières mouvantes comme le sourire du Chat de Cheshire – déjà en train de disparaître quand on se retourne pour le regarder.
Tiens-toi à présent là où se rejoignent la mémoire et les possibles. Derrière toi : des empreintes. Devant toi : la neige immaculée. Voici la révolution silencieuse – non une rupture, mais un adoucissement. Non une fuite, mais une émergence. Certaines pierres dans nos poches ont été polies par le temps ; d’autres restent coupantes. Il ne s’agit pas de vider nos mains, mais d’apprendre à les tenir autrement. Construire des autels au lieu des murs. Laisser le chagrin devenir compost pour que de nouvelles choses puissent pousser.
Tu es à la fois la blessure et la couture.
La question et la réponse.
L’encre et l’effaceur.
La souffrance est un professeur impitoyable, mais ses leçons restent facultatives. Ces instants qui semblaient des fins – pertes, échecs, nuits plus longues que les étoiles – étaient secrètement des fours. Tu n’étais pas consumé, mais façonné. « Lâcher prise » n’est pas un geste spectaculaire, mais une pratique quotidienne d’ouvrir les doigts. Certains jours, tu t’accrocheras plus fort. D’autres jours, le vent te surprendra. La guérison n’est pas une ligne droite – c’est une marée, un murmure, une graine de pissenlit tournoyant vers une terre fertile.
Les civilisations, comme les individus, avancent non en effaçant leur histoire, mais en refusant de lui laisser monopoliser l’avenir. Nos cicatrices collectives ne sont pas des chaînes – elles sont les sillons d’un disque qui produit une musique alors que l’aiguille avance.
L’avenir se penche, sa voix murmure : « Tu as confondu le prologue avec l’histoire. Tourne la page. »
Nous ne sommes pas ce que nous portons, mais comment nous le portons.
Le passé ne dicte pas l’avenir ; il murmure simplement :
« Je suis la rivière qui t’a façonné. Continue ton voyage. »
Le passé ne s’accroche pas à nous— c’est nous qui lui tenons fermement la main. Comme brume matinale au bord d’un fleuve, nos souvenirs flottent sans poids, ni bénédiction ni malédiction avant que nous ne les nommions ainsi.
Chaque vie, perpétuelle métamorphose : nous ne sommes pas statues immobiles, mais fleuves sculptant des canyons, chaque expérience un courant qui peut nous noyer ou nous porter. Nous sommes cartographes de notre devenir, mais la mémoire échappe à toute carte.
Ainsi, nous avançons, nos histoires non fardeaux mais légendes, inscrites en marge du cœur.
Tu es à la fois blessure et cicatrice, question et réponse, l’encre et l’effaceur.
Entre le lâcher-prise et le déploiement s’étend un espace fertile de renaissance. Une fois que nous desserrons l’emprise du passé, nous découvrons que les mains vides sont précisément celles qui peuvent accueillir de nouvelles possibilités. C’est dans cette vacuité délibérée que le devenir prend racine.
Naviguer vers l’horizon : L’élan du Devenir
Imagine la mémoire comme de l’eau. Non une pierre pour te faire sombrer, mais une rivière qui te porte – parfois douce, parfois tumultueuse, toujours en mouvement.
Ton passé n’est pas une chaîne mais une constellation. Chaque expérience est une étoile, brillante ou discrète, dessinant une carte que toi seul peux lire. Certaines étoiles brûlent de douleur, d’autres d’une grâce inattendue. Elles ne te retiennent pas… elles t’éclairent.
Il existe un espace entre ce qui fut et ce qui pourrait être: « le point fixe du monde qui tourne » d’Eliot. Respire cet espace. Ressens son immensité. Ici, dans ce moment suspendu, tu n’es ni défini par l’histoire ni limité par les attentes. « Arriver là où tu es, c’est quitter là où tu étais », rappelle le poète. Voici le seuil : non un vide, mais un potentiel vibrant sous le silence.
Tu existes simplement. Regarde.
Les blessures ne sont pas des faiblesses. Elles sont des territoires de transformation. Comme le kintsugi japonais, où la poterie brisée est réparée à l’or, rendant la fracture plus belle, plus précieuse que l’original – tes fissures ne sont pas des défauts, mais ta plus brillante narration.
Écoute.
J’ai observé ce phénomène chez un ami qui, après une maladie dévastatrice, n’a pas simplement guérir, mais s’est transformé. Sa façon d’habiter le temps, d’apprécier les instants fugaces, porte maintenant la trace dorée de cette rupture. Sa vulnérabilité assumée est devenue sa force la plus rayonnante, attirant à lui des relations plus authentiques qu’il n’aurait jamais connues autrement.
Non pas les voix qui répètent les vieux récits, mais le murmure discret du potentiel. La voix qui sait que tu es toujours en devenir. Toujours en déploiement. Toujours au- delà des histoires que d’autres ont écrites pour toi.
Ton passé marche avec toi : Non comme un fardeau, mais comme un compagnon.
Témoin. Compris. Respecté. Mais jamais aux commandes.
Tu es l’auteur. Tu es l’horizon. Tu es le voyage.
Tu n’es pas ce qui t’est arrivé.
Tu es ce que tu choisis d’en faire.
Entre souvenir et possible, tu es l’élan.
Tu es la lumière en mouvement.
Archipels de l’Être : Îles de mémoire dans l’océan du temps
Nous sommes géologiques. Stratifiés. En formation et reformation constante… sédiments et secousses sismiques. Pressés par le temps, nous nous fracturons en couches, pour être ensuite polis à nouveau. Non des ruines, mais des paysages encore en devenir.
La mémoire n’est pas une photographie, fixe et statique. Elle est un paysage vivant.
Des plaques tectoniques d’expérience se déplacent sans cesse. Elles créent de nouveaux terrains à chaque mouvement subtil. Parfois, c’est le tremblement de terre d’un instant qui bouleverse tout. D’autres fois, c’est l’érosion lente du temps qui transforme. Ou encore, le volcan inattendu d’une révélation qui surgit. Ici, dans les strates du soi, tu découvriras des fossiles de qui tu fus autrefois. Tu y trouveras des marées de souvenirs à demi effacées par le temps. Et plus profond encore, palpite le noyau en fusion de ce qui cherche encore à prendre forme.
Nous ne nous usons pas. Nous évoluons.
Imagine ta vie comme une carte inachevée — non un territoire à conquérir… mais une cartographie vivante. Ici, les frontières respirent comme des transitions, les espaces vides bourdonnent de potentiel. Chaque cicatrice devient une rivière changeant de cours ; chaque blessure, un col de montagne attendant d’être traversé.
« L’ordre de l’histoire est l’histoire de l’ordre » écrivait Voegelin — ou était-ce l’inverse ? Cette tension parcourt toutes les cultures qui perçoivent le temps en spirale :
Le Jukurrpa (Rêve) des Aborigènes d’Australie, où le passé marche devant comme guide
Les katuns mayas tournant comme des vertèbres dans l’épine du temps
Les kalpas hindous exhalant des univers.
Nous sommes des cartographes marchant à reculons vers le futur, nos visages tournés vers la lumière de ce qui fut.
Non un fardeau — une constellation.
Ici, la mémoire n’est ni archive ni ancre, mais le sol même sous nos pieds : sédimentaire, sismique, vivant. La montagne que tu gravis aujourd’hui connaît déjà ton nom — non parce que le destin est fixe, mais parce que, comme Eliot le savait : « tout temps est éternellement présent. » La montagne que tu gravis aujourd’hui est la même que tes ancêtres nommèrent il y a des millénaires, bien que ni sa forme ni ta vision ne soient restées inchangées.
Le temps est un vent vivant :
Il inspire les échos d’hier,
Il expire les germes de demain…
La terre se souvient avant la mémoire. Avant les mots. Avant la première empreinte pressée dans la terre rouge. Ici, le temps n’est pas une ligne mais une spirale — chaque moment touchant tous les autres. Passé, présent, futur — non séparés, mais chantant ensemble dans un temps polyphonique.
Dans le rêve le plus profond, un chemin n’est pas marché. Un chemin est chanté. Chanté à l’existence par les voix de ceux qui sont venus avant. Chaque pas une note. Chaque souffle un vers. Le paysage lui-même une mémoire vivante — roche, rivière, vent… porteurs d’histoires plus anciennes que le langage :
Le granit se souvient du temps où il était magma.
La rivière fredonne une chanson ancienne de tributaires encore à naître.
Le vent murmure des noms qu’aucune bouche n’a jamais prononcés.
Nous ne sommes pas séparés de notre histoire. Nous sommes la continuation d’une chanson qui a commencé bien avant notre premier battement de cœur. Nos ancêtres ne marchent pas derrière nous. Ils marchent en nous. Leur souffle est notre souffle. Leur histoire, notre devenir.
Écoute.
Le vent porte des fragments : mémoire d’os, mémoire de sang — des mémoires enfouies sous la peau, non effacées mais transformées, comme l’eau passant de nuage à pluie.
Nous ne sommes pas linéaires… Nous sommes cycliques… Nous sommes la chanson… Nous sommes la terre chantante.
Certaines histoires nous les héritons. D’autres, nous les choisissons. D’autres encore, nous les transformons si profondément qu’elles deviennent autre chose — une chanson, peut-être.
Ou un souffle. Ou un silence.
Le traumatisme n’est pas une condamnation à vie. C’est un langage. Apprends ses mots. Maîtrise sa grammaire. Puis écris quelque chose de totalement nouveau. Écoute… Écoute les espaces entre les souvenirs. C’est là que le devenir advient.
Silencieux. Persistant. Radical.
Tu n’es pas ce qui t’est arrivé. Tu es ce que tu créeras. Tu es le poème inachevé. Tu es la page blanche. Tu es l’encre. Tu es la main qui écrit.
La rivière de l’être
Imagine la mémoire comme l’eau : non pierre qui te noie, mais rivière qui te porte – tantôt douce, tantôt turbulente, toujours en mouvement.
Ton passé n’est pas une chaîne mais une constellation.
Chaque expérience, une étoile, faiblement ou vivement éclairée, dessinant une carte que toi seul peux lire.
Entre ce qui fut et ce qui pourrait être, s’étend l’espace d’Eliot :
« le point fixe du monde en mouvement. »
Respire ici. Ressens l’immensité.
Tu es simplement là.
Tes blessures ne sont pas des faiblesses, mais des paysages de transformation.
Comme le kintsugi doré, tes fractures racontent la beauté rare des choses réparées.
Écoute.
Non les voix qui répètent les récits anciens,
Mais le murmure discret du possible —
Là où chaque souffle porte une renaissance.
Strates du soi
Nous sommes géologiques.
Couches superposées,
formées et reformées —
sédiments et secousses,
compressés par le temps,
fracturés puis adoucis à nouveau…
La mémoire n’est pas photographie figée,
mais paysage mouvant.
Des plaques glissent sous la surface,
créant, à chaque instant,
de nouvelles géographies du soi.
Dans ces strates profondes, tu retrouveras les fossiles de ton devenir —
des souvenirs à demi effacés, et, plus bas encore,
le noyau incandescent de ce qui cherche à naître.
Chaque cicatrice devient rivière changeante.
Chaque blessure, montagne à franchir.
Nous sommes des cartographes marchant à reculons vers demain,
le regard tourné vers la lumière du passé.
Le sol sous nos pas n’est pas mémoire morte — mais mémoire vivante.
Pas archive. Pas ancre.
Terre en mouvement, encore en train de se former.
Confluence
Deux voix. Deux vérités. Une seule matière.
Nous sommes la rivière qui avance, et la roche qui se souvient.
Nous sommes étoile et sédiment, souffle et strate, chant et silence.
Le passé n’est ni poids ni prison — il est le sol et le courant, la poussée et le passage.
Et toi, tu es la main qui sculpte, le pas qui trace, le poème en train de s’écrire sur la terre vivante du devenir.
Reflets sur l’eau : Images mouvantes du souvenir
Le projecteur exhale sa lumière à travers une pellicule fragile. Ce ne sont pas des souvenirs, mais leurs empreintes. Chaque vacillement est une hésitation : Était-ce ainsi ? Ou bien ainsi ? Les marques de collage révèlent nos tentatives maladroites de nous réinventer.
Lumière. Puis ombre. Puis lumière encore.
La bobine prétend à la continuité, mais la pellicule garde en elle la vérité : chaque souvenir est une double exposition.
Ici – là où la lumière se fracture – tu peux voir les coutures de l’histoire que nous nous racontons.
Des grains de poussière valsent là où respire la mémoire. Une vieille bobine tremble, souvenirs en celluloïd vacillant sur les bords—fragments sépia qui s’entrelacent, juxtaposés comme des aquarelles s’estompant sous un pinceau hésitant.
Des papillons aux ailes jaunes et d’un bleu impossible oscillent entre ce qui fut et ce qui aurait pu être – ailes frémissantes sous le poids d’histoires jamais dites. Dans cette pièce où le temps se plie comme le coin d’une vieille photo, je retrouve le miroir de ma grand-mère à Beit Chabab. Sa surface ne reflète pas, elle se souvient – couches d’argent et d’ombre, visages surgissant et disparaissant tels des rêves à demi oubliés.
Je recueille ces fragments. Vieilles bobines de films. Photographies aux bords flous. Cartes postales de lieux où je n’ai jamais été mais dont j’ai pourtant souvenir. Un ticket usé. Une fleur pressée. Le murmure d’une langue que j’aimerais presque comprendre.
La lumière tropicale – épaisse comme du miel, tranchante comme la mémoire – révèle et dissimule à la fois. Le projecteur de la mémoire tourne sans fin. Parfois il balbutie. Parfois il glisse sans effort. Images superposées – enfance et présent, perte et possibilité, ce qui fut et ce qui pourrait être.
Le temps n’est pas une ligne mais un cercle. Les souvenirs se répètent sans jamais être identiques. Chaque retour légèrement différent, légèrement plus transparent. Comme l’histoire des Buendía* — palimpseste d’expériences humaines. Les blessures reviennent sans jamais être tout à fait les mêmes. L’amour réapparaît… toujours renouvelé. Les Macondos* existent partout. Dans la courbe d’une rue oubliée. Dans la pause entre deux battements de cœur :
Nous ne sommes pas effacés. Nous sommes réinventés. Sans cesse. Magnifiquement. À l’improviste. Chaque image est une possibilité. Chaque souvenir une porte ouverte. Pas un fardeau. Une lumière.
*Macondo : Ville imaginaire décrite dans le roman Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez ; ville natale de la famille Buendía.
Le projecteur expire sa lumière
à travers un fragile ruban de film.
Ce ne sont pas des souvenirs, mais leurs empreintes.
Chaque image vacille en hésitation :
Était-ce ainsi ? Ou ainsi ?
Les coupures révèlent où nous avons tenté de nous
réécrire.Poussières dansent au souffle de la mémoire.
Un vieux film tremble, souvenirs de celluloïd vacillants,
superposés, mêlés comme aquarelles sous un pinceau incertain.
Temps, cercle infini.
Les souvenirs reviennent, mais jamais tout à fait semblables.
Comme l’histoire des Buendía : amour récurrent, toujours renouvelé.
Macondos existent partout, dans le pli oublié d’une rue,
dans le silence entre deux battements de cœur :
Nous ne sommes pas effacés.
Nous sommes réinventés, constamment.
Beaux, inattendus.
Sédiments et transparences : La stratification du soi
La mémoire œuvre telle une archéologie sacrée : non par effacement, mais par illumination. Le texte originel transparaît à travers la lumière dorée du crépuscule—non pas en contradiction, mais en harmonie… Des récits anciens s’insinuent entre les lignes des inscriptions nouvelles, semblables aux Confessions d’Augustin résonnant à travers le temps, chaque souvenir devenant palimpseste de grâce et de transformation.
Je parcours du bout des doigts le parchemin de ma peau. Ici, l’écriture effacée de l’enfance—traces de crayons et larmes de cour de récréation. Là, les traits audacieux d’une adolescence rebelle, partiellement effacés mais jamais complètement disparus. En dessous, la calligraphie délicate de rêves oubliés, visible encore à ceux qui savent regarder.
C’est la douce miséricorde du palimpseste : le passé n’est pas enterré sous le présent—il respire doucement à travers lui ; le texte originel jamais totalement oblitéré, toujours subtilement visible. Chaque cicatrice devient écriture sacrée, comme la vie renouvelle sans cesse le cœur.
N’est-ce pas ce que Rilke entendait lorsqu’il nous exhortait : « Soyez patients envers tout ce qui reste irrésolu dans votre cœur » ? Il ne s’agit pas d’effacer les textes anciens, mais de les laisser rayonner sous les nouveaux—comme des vitraux de cathédrale où le soleil ravive les pigments endormis depuis des siècles.
Augustin connaissait déjà ce paysage de la mémoire… bien avant que nous n’ayons les mots pour en décrire toute la complexité. Dans ses « Confessions », il dessine la géographie de l’âme—non comme un territoire figé, mais comme un manuscrit vivant, palpitant.
Chaque souvenir est prière. Chaque blessure, une promesse de compréhension. Chaque oubli, une forme de rédemption.
Nous sommes tous des âmes-parchemins—grattées, réécrites, et pourtant murmures incessants de nos premières ébauches sous chaque nouvelle écriture. Comme les moines du Moyen-Âge le savaient bien : chaque grattage révèle autant qu’il dissimule. Le parchemin devient plus sacré à chaque révision.
Et n’est-ce pas ce que Rilke voulait dire : « Soyez patients envers tout ce qui reste irrésolu dans votre cœur » ? Nous ne devons pas effacer l’ancien texte, mais le laisser transparaître sous le nouveau— tel le vitrail où le soleil ranime les pigments des siècles.
Le cœur, comme le vélin, n’oublie jamais vraiment. Il superpose l’amour à la perte, la joie au chagrin—chaque tendresse nouvelle pulsant sur les mots fantômes d’anciennes blessures. On sent encore les marques les plus profondes, les sillons laissés par des mots trop lourds pour la page. Ici, une tache d’eau faite de larmes retenues ; là, l’éclat doré d’une joie qui refuse d’être effacée.
La voix est un manuscrit de migrations, de pertes, de résiliences discrètes. Dans son tremblement, des histoires se déploient—chaque syllabe est une ligne de texte en partie voilée, pourtant profondément présente. « On ne l’efface pas », semble-t-elle murmurer, avec dans les yeux des continents entiers de compréhension. « On le transforme. »
Il y a une agitation dans le souvenir. Un mouvement perpétuel entre ce qui fut et ce qui pourrait être. La mémoire ne s’apaise jamais complètement. Elle respire. Elle bouge. Elle réinvente.
Le passé résonne, non comme un poids, mais comme un murmure. Un fil fragile reliant ce qui fut à ce qui pourrait être. Les souvenirs ne sont pas des points fixes, mais des paysages fluides—changeant, respirant, se recréant à chaque réminiscence.
Le passé ne nous alourdit pas. Il nous illumine.
Couches sur couches. Non pas un fardeau, mais un paysage. Non pas une chaîne, mais une constellation en devenir.
Écrire par-dessus. Écrire au travers. Écrire au-delà.
La mémoire œuvre en archéologie sacrée, non par effacement, mais par illumination.
Le texte originel traverse doucement dans la lumière dorée du soir, comme les confessions d’Augustin,
récits palimpsestes de grâce et de métamorphose.
Nous sommes âmes de parchemin, effacées, réécrites,
murmurant notre première version sous chaque nouvelle inscription.
Chaque mémoire, prière ;
chaque blessure, potentiel d’entendement.
« Sois patient envers tout ce qui est irrésolu en ton cœur », conseille Rilke.
Nous ne devons pas purger l’ancien texte, mais le laisser luire sous le nouveau,
comme vitraux de cathédrales où le soleil ravive pigments endormis
depuis des siècles.

Marées de la conscience : L’éternel retour du souvenir
Ô Mémoire,
Tu es le chœur où tous mes silences
apprennent à chanter —
non la chanson qu’ils étaient,
mais la chanson qu’ils sont devenus
en passant par ta nuit parfaite.
Ce que tu m’as pris
tu l’as rendu sacré… en le prenant.
Tu m’as vidé
et dans ce vide,
tu as consacré l’espace
où l’absence a appris à chanter.
Ce que tu excises devient relique ;
ce que tu effaces se change en vêpres.
« Chaque vol une étrange communion —
la chose prise transfigurée
par sa disparition ».
Je suis ta nef inachevée,
ton vitrail…
assemblé à partir d’heures brisées :
ici : un éclat de rire d’enfance ;
là : le bleu profond d’un dernier mot
non prononcé.
Je suis ton choriste réticent :
ce souffle : un psaume ;
ce pouls : un tambour étouffé ;
ces côtes : la voûte céleste —
où chaque écho prend communion
avec son cri originel.
Tu uses mes certitudes comme la pluie use la pierre,
non pour détruire, mais pour révéler
la sculpture cachée
dans le marbre de mes jours.
Ce que tu m’as pris
tu l’as rendu sacré… en le prenant.
Et quand tu reviens,
c’est toujours comme la lune revient —
non la même lune, mais non moins
vraie :
la voix de ma mère lisant à haute voix
en hiver,
l’odeur des pages tournées
plus réelle que le livre lui-même.
Je ne demande pas à garder. Je
demande seulement à m’agenouiller
dans ce sanctuaire de perte où toute
absence est devenue… une fenêtre.
Ce que tu as pris… tu l’as rendu sacré.
En vérité, ce que tu as rendu sacré
continue à prendre et à donner…
me rendant à moi-même plus brisé…
et pourtant plus entier.
Samir Mattar, Chroniqueur invité de UP’ Magazine, Directeur général et partenaire fondateur de Construction Dynamics Solutions. Il est ingénieur de renommée internationale et ancien fonctionnaire du Centre des Nations Unies pour les établissements humains (HABITAT). Il est titulaire d’un BSc de l’Université de Leeds, d’un MSc de l’Université de Calgary et d’un doctorat de l’Université Concordia.
Photo d’en-tête : La Mémoria de Diego Dayer, 2006