C’est fou comme les grandes entreprises aiment les startups et l’innovation ! Depuis quelques années sévit une véritable épidémie d’innovation ouverte dans les grandes entreprises françaises. Elles ont toutes été piquées par ce virus.
Le concept d’open innovation date de plus de 10 ans. Il a été vulgarisé par Henry Chesbrough dans son ouvrage fondateur paru en 2003 “Open Innovation”. La mayonnaise a mis du temps à prendre et à traverser l’Atlantique. Les premiers à s’être lancés sont les sociétés de logiciels qui avaient une forte culture de plateforme (Sun, Oracle, Microsoft, Google, Apple, Facebook, mais aussi Intel et IBM). Chez Microsoft où j’ai officié au marketing entre 1990 et 2005, les notions de plateformes et d’écosystème ont toujours été clés dans la stratégie de l’éditeur. Elles expliquent en grande partie les succès de Windows tant côté client que serveur, un succès qui pour eux n’a pas pu être répliqué côté mobile et Internet. C’est en 2001 qu’y ont démarré les premiers programmes startups aux USA, et en 2004 en France.
En France, les premiers à s’être embarqués à fond dans l’open innovation ont été les opérateurs télécoms, chacun à leur manière : Orange, Bouygues Télécom et SFR ont tous les trois une structure d’incubation et un bras de financement d’amorçage. Chez Free, il n’y a rien du tout ! Toute l’action destinée aux startups est gérée directement par la personne physique Xavier Niel avec notamment son fonds d’investissement Kima Ventures et le méga-projet 1000 Startups (Halle Freyssinet), sans compter les actions dans le domaine de l’éducation (EEMI, 42) qui contribuent à enrichir l’écosystème des startups. Et chez Numericable, il n’y a rien du tout… et rien du tout.
Ces dernières années, toutes les industries et les services s’y sont lancés : les industries manufacturières (Valéo, Renault, groupe Seb, ST-Microelectronics, Schneider Electric, Altstom, JC Decaux), les industries de l’énergie (Total, GDF-Suez), la santé (Sanofi), les banques (BNP-Parisbas, Crédit Agricole, Société Générale, etc), les cabinets de conseil et d’audit (EY, Deloitte), les agences de communication (Publicis, Ogilvy, BETC, Wunderman, TBWA, etc), les médias (Canal+, Express-Roularta, M6, TF1, France Télévisions), les cabinets d’avocats, et même les services publics (SNCF, La Poste, RATP). Dur d’y échapper en ce moment !
Les startups croulent maintenant sous les offres de très nombreux grands comptes qui draguent chacun à leur manière les startups. Dans ce concert, je vais essayer de faire le tri des approches et voir comment s’établit l’équilibre win-win (ou pas) entre les startups et les grandes entreprises.
Les principes de l’innovation ouverte
Les grandes entreprises se sont engouffrées dans la mode de l’innovation ouverte, sentant bien qu’elles avaient du mal à suivre le rythme effréné des innovations dans leur secteur, notamment celles qui sont induites par les vagues technologiques issues du numérique. Face à un écosystème de startups en plein développement, dans l’ensemble des pays développés, elles se sentent un peu larguées et souhaitent profiter du dynamisme entrepreneurial ambiant.
Elles sentent aussi, surtout en France, que leurs organisations traditionnelles sont trop lourdes et lentes pour faire éclore les “innovations” tant attendues qui peuvent au choix, développer le chiffre d’affaire, augmenter la part de marché et aussi permettre résister aux coups de boutoir de ruptures de chaines de valeur. Le graal : déclencher des innovations de rupture. Au mieux, éviter que des innovations de rupture les déboulonnent de leur piédestal (il y a du boulot).
Le principe de l’innovation ouverte consiste à connecter les entreprises à leur environnement pour s’approvisionner en idées, inventions, processus, équipes et aussi validations de marché.
L’innovation ouverte recouvre tout un tas de notions : les partenariats avec des laboratoires de recherche, la conception collaborative de produits ou de standards, y compris avec des concurrents, la création de projets open source, le développement d’un écosystème de startups et l’acquisition de startups. Par extension, on peut aussi intégrer dans l’innovation ouverte le simple processus d’écoute de ses clients pour générer de l’innovation incrémentale permanente. En tirant un peu le bouchon, l’écoute des clients via une présence active dans les réseaux sociaux fait aussi partie d’une démarche d’innovation ouverte.
L’innovation est étroitement associée à la notion de risque, d’expérimentation et de disruption. On n’innove que si l’on teste des choses qui ont de fortes chances de ne pas marcher. Et parfois, on réussi. C’est le propre de l’écosystème des startups de mettre naturellement en concurrence des centaines de sociétés dans chaque secteur d’activité. On ne compte pas les réseaux sociaux qui se sont créés avant, pendant et après la création de Facebook ! Les tentatives de déboulonnage des leaders du marché sont incessantes, avec récemment l’exemple de Ello, le réseau social qui prétend ne pas exploiter les données privées des Internautes (tout en restant gratuit, …).
L’innovation ouverte des grandes entreprises est donc aussi un moyen d’externaliser les risques inhérents à l’innovation. Il vaut mieux aider des laboratoires ou des startups indépendants là où le risque est élevé, pour en tirer les fruits lorsque cela fonctionne et ensuite industrialiser le résultat. Tout est cependant question de timing, car le grand groupe doit arriver à temps au risque de se faire déborder par des disrupteurs plus rapides que lui. On se rend compte d’ailleurs que même lorsque c’est sa force théorique, le grand groupe se heurte aussi à de nombreuses difficultés dans l’industrialisation de ses innovations.
Innovation ouverte et plateforme
Les entreprises qui ont des plateformes ouvertes sont par natures enclines à faire de l’innovation ouverte. Une plateforme ouverte est un produit ou un service qui est extensible par les autres. Dans l’univers du logiciel, cela passe par des API (interfaces de programmation) accessibles d’une manière ou d’une autre selon la technologie et par la fourniture de “SDK” (software development kit) pour documenter l’exploitation de ces APIs. Cette notion d’API est très extensive et se retrouve dans la notion “d’open data” qui concerne aussi bien la puissance publique (cf ETALAB en France) que le secteur privé.
Le principe même d’une plateforme repose sur le postulat que l’entreprise qui l’a créée ne peut pas imaginer et développer l’intégralité des solutions pour ses clients et que des tiers vont y contribuer. Même des entreprises très verticalisées comme Apple ont une logique de plateforme. Avec MacOS et iOS, tout est fait pour encourager les développeurs de tout poil à créer des solutions logicielles (connectées) utilisant ces deux plateformes, et surtout la seconde. La valeur de l’iPhone et de l’iPad serait quasiment nulle sans la richesse de centaines de milliers d’applications qui l’accompagnent.
Les plateformes donnent lieu à une guerre incessante pour gagner la faveur des développeurs. Il faut les convaincre aussi bien des beautés techniques des plateformes que des bénéfices économiques de leur support. C’est surtout lié à leur volume de diffusion et à leur part de marché. Une plateforme mobile qui ne s’appelle par Android ou iOS a ainsi bien du mal à séduire les développeurs qui doivent gérer leurs priorités.
Depuis de nombreuses années, la moindre startup de l’Internet et du logiciel publie maintenant ses APIs. Elles ont presque toutes un site dédié aux développeurs. Toutes veulent gagner une part de leur temps. Parfois, ces acteurs deviennent concurrents de leur écosystème : Oracle concurrence les éditeurs de logiciels d’application qui utilisent ses bases de données, Microsoft fait de même avec Dynamics qui concurrence les éditeurs d’ERP pour PME, Twitter a quasiment fermé le robinet des éditeurs de “clients Twitter” en restreignant l’usage de ses APIs ou en achetant les principaux acteurs de ce marché comme Tweetdeck. C’est un équilibre délicat et un jeu de pouvoir instable.
Ces entreprises de plateformes sont souvent internationales. Elles investissent en général beaucoup en R&D et leur modèle économique comprend des coûts variables plutôt faibles. Leur profitabilité augmente avec le volume d’affaires. Ce sont des rouleaux compresseurs difficiles à concurrencer. Même un acteur vieillissant tel que Microsoft bénéficie de l’inertie apportée par le poids de leur écosystème. Celui-ci ne comprend d’ailleurs pas que des produits mais aussi des compétences, notamment dans les sociétés de services ou les organismes de formation.
Lire la suite : ©Blog Opinions libres / 3 Novembre 2014