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La démocratie suppose la diversité des options à discuter

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Les sujets techniques et l’innovation sont de plus en plus difficiles à « mettre en démocratie ».  Plusieurs rencontres récentes témoignent d’une effervescence en France pour sortir des écueils qui paralysent les débats, notamment sur les nanotechnologies, les déchets nucléaires et engendrer des contestations vives (Notre Dame des Landes, Barrage de Sivens…). Si l’Alliance Sciences société (AlliISS) porte le sésame d’un tel défi, par le pluralisme indispensable qu’elle incarne, des personnalités tracent la voie de nouvelles pratiques dont les enjeux ne sont plus guère solubles dans la notion de débat. Diversification et coexistence des options sociotechniques, expérimentations… exigent de nouvelles institutions.

« Il ne peut y avoir de débat, s’il n’y a pas diversité des options à discuter, lance Michel Callon, professeur à Mines ParisTech et ancien directeur du Centre de sociologie de l’innovation de l’Ecole des Mines de Paris.
Nous sommes le 15 décembre 2014 au Palais du Luxembourg au sein du 4ecolloque des Sciences de la vie en société. Face aux experts en ingénierie de débats, aux praticiens et analystes des interactions entre sciences et société, l’auteur de Agir dans un monde incertain [1] prend acte, dans son propos, d’une inadéquation du dialogue sur les projets techniques.

Réversibilité, coexistence, modélisation

Les dispositifs de concertation rencontrent trois problèmes, explique-t-il. Le premier c’est la réversibilité des choix, qui est pourtant essentielle : on ne peut pas débattre, si on s’engage dans des filières qui excluent toutes les autres alternatives. « Il y a quantité de forces qui concourent à un verrouillage technique : quand on investit, il est clair que l’option choisie devient la meilleure et élimine les autres, souligne Michel Callon. Le dossier nucléaire affronte justement cette question puisqu’il est désormais admis que l’on veut permettre aux générations futures de revenir en arrière, de disposer de toute la palette de choix que nous avons ».

Le second défi à relever concerne la coexistence. Il s’agit de laisser à l’usager la liberté de choisir son type d’agriculture, d’alimentation, son mode de vie ou les développements industriels qui lui conviennent. « La démocratie suppose qu’on maintient les options ouvertes », insiste le chercheur. Or on assiste à une raréfaction de la diversité des propositions techniques. Car le plus souvent, une filière élimine les autres. « Pour éviter cela, il faut trouver une ingénierie politique des agencements marchands, estime Michel Callon. Depuis vingt ans, nous tâtonnons pour intégrer les évaluations techniques, environnementales, sociales, éthiques et économiques. Le Haut conseil aux biotechnologies (HCB), en séparant les expertises ne fonctionne pas bien ». Néanmoins le HCB a produit un rapport sur les conditions de la coexistence (des cultures conventionnelles et biologiques) qui souligne combien la propriété intellectuelle joue un rôle dans la prise en compte de toutes les valeurs (sociales, territoriales, culturelles…). Fait troublant, le député Jean-Yves Le Déaut a reconnu récemment que le sujet central du conflit sur les OGM était bien cette coexistence, que les responsables de la Confédération paysanne appelaient de leurs vœux dans leur lettre à Lionel Jospin en 2001 (suite à un des premiers fauchages d’essai OGM).

Le troisième problème est la complexité des situations à investiguer. Nous n’avons plus des connaissances précises, des faits solides, nous ne pouvons appréhender complètement les conséquences d’un choix : il faut donc agir par séquences.  La modélisation s’impose ainsi et devient omniprésente. Il faut procéder par évaluation multicritères et considérer toute décision comme intermédiaire. Dans le domaine de la santé par exemple, les essais cliniques sont comme des compromis et les traitements comme des expériences qui ne finissent pas. Dans l’exemple du climat, on est aussi au chevet de la Terre et on procède par essais-erreurs. Ce qui est essentiel, c’est de miser sur les groupes concernés par un projet et qui ont déjà investi une situation…

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Images et responsabilités

Face à cette approche subtile, Alexei Grinbaum, philosophe au laboratoire Larsim du CEA de Saclay, confirme l’absence de résultats des divers espaces de dialogues créés depuis dix ans notamment sur les nanotechnologies. « Il faut un autre instrument, choisir une autre manière de faire, considère-t-il, en pointant deux sujets majeurs : la question des images et celle des responsabilités. »

Le processus de création de sens passe par les images, comme le soulignait Gilbert Simondon qui s’attachait à repérer les associations. « Le sens d’un message procède par le halo de significations qui lui est attaché, indique Alexei Grinbaum. Second point-clé, mis en exergue par le philosophe : la responsabilité dont nous héritons par notre appartenance. Il nous faut « répondre d’une communauté », dès lors que l’on fait partie de celle-ci (locale, spirituelle, écologique…). On pense à la réflexion de Roland Schaer dans son livre Répondre du vivant. « Le scientifique est responsable de ses créations comme s’il mettait au monde un enfant, estime le chercheur du CEA. Les grands historiens du droit considèrent qu’il faut observer les rituels d’interaction entre droit, éthique et société, pour comprendre le droit de demain.

Un livre blanc pour réformer les institutions ?

Dans la foulée de cette rencontre où l’essentiel des échanges est resté centré sur le sujet éculé des OGM – sans évocation de la biologie de synthèse autrement plus complexe – s’est tenu les 7-8- 9 janvier 2015, le Colloque Réinventer l’alliance sciences sociétés porté par un Consortium de près de cinquante organisations de la société civile et instituts de recherche.

Six séminaires préparatoires, 8 000 inscrits, 4 axes exploratoires, création du portail Sciences-sociétés sur wikipédia (edidathon), implication du « monde du libre » mais aussi du Groupement d’intérêt scientifique Participation et démocratie, venu présenter son dictionnaire de la participation, ce marché de l’interaction centré sur l’innovation, la recherche, les transitions, les médiations a produit une mine de matériaux et d’innombrables rapprochements. Il a aussi vocation à produire un livre blanc à double objectif : élargir la base des acteurs impliqués et formuler des propositions concrètes de changements institutionnels souhaitables.

Le chantier est immense, si l’on veut bien se plonger dans l’ouvrage Nos institutions publiques à bout de souffle, publié par le polytechnicien Olivier Frérot, vice-recteur de l’Université catholique de Lyon. Mais ici, le constat est sans appel : « Nos institutions se fissurent sous l’effet des contradictions dynamiques de nos sociétés et elles ne sont pas réformables », estime l’auteur. Ce dernier évoque l’égarement d’une vision exclusivement scientifique et objectivante de la réalité, de la disparition du sens public des institutions. Il parie sur les forces agiles, discrètes, généreuses des mouvements citoyens.

Cela semble en effet plus sage que d’attendre des impulsions européennes. Nombreux sont ceux (responsables académiques et associatifs) qui sont revenus déçus de Rome, fin novembre, où le service Sciences dans la Societé  de la Commission européenne faisait un bilan convenu de ses actions en matière de recherche et innovation responsables. Claudia Neubauer de la Fondation pour le progrès de l’homme (FPH) a pu constater que les programmes menés sont du « business as usual ». Pourtant, nous avons besoin de rendre lisibles les projets d’innovation, de politiser leurs enjeux et de responsabiliser l’ensemble des acteurs vis-à-vis des intérêts communs. Comme le souligne le président du Conseil économique, social et environnemental, Jean Paul Delevoye.

Dans ce contexte, les propos de la physicienne indienne Vandana Shiva qui s’est exprimée en introduction du Colloque de l’AlliSS, sonne comme une mis en garde : « Sur une planète morte, on ne fait plus d’affaires ».

Dorothée Browaeys, Rédactrice en chef adjointe UP’ Magazine

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