Le monde regarde les réfugiés affluer dans une Europe qui n’est pas préparée à ces nouvelles arrivées. Les guerres et les troubles sociaux dus pour partie aux changements climatiques – entraînant conflits et pénuries alimentaires – ont poussé les migrants hors de chez eux à la recherche d’abris et d’une nouvelle vie. Pour les écologues, cependant, cela ne constitue pas une surprise.
Quand nous nous penchons sur l’histoire de la vie sur Terre, nous distinguons un motif qui se répète, dans la façon dont le vivant s’adapte aux changements de l’environnement. Les plantes, comme les animaux, possèdent la faculté remarquable de migrer en réponse à de tels événements. Sur des générations et des milliers d’années, ce facteur a entraîné des évolutions majeures dans la distribution géographique des espèces et la composition des écosystèmes dans le monde. Les espèces peuvent s’adapter au changement climatique, parfois disparaître, mais le mouvement constitue une réponse quasi unanime.
Ainsi, l’observation des migrations du passé nous permet d’envisager le futur : comment la vie – y compris humaine – peut-elle se dérouler sous un régime moderne de changement climatique ? Plus précisément, étant donné l’échelle des bouleversements climatique et environnemental touchant aujourd’hui la planète, nous pourrions bien être confrontés à une ère sans précédent de migrations humaines.
Le rythme s’accélère
En tant qu’écologues, nous somme sûrs d’une chose : quand le climat change, les organismes migrent. Durant le dernier épisode glaciaire, une époque ou la Terre était plus froide d’environ 12,2 degrés Celsius, les forêts avaient envahi la Vallée de la mort, en Californie, un endroit qui est aujourd’hui un désert brûlant. Qu’est-il arrivé aux arbres ? Ils ont bougé. Sur des générations, leurs rejetons ont été dispersés sur de nouveaux territoires et ont survécu quand les conditions en étaient favorables. Il y a des millions d’années, à une époque où la Terre était bien plus chaude, il y avait des cousins des alligators qui vivaient aux pôles. Pourquoi étaient-ils là ? Parce que le climat était bien adapté aux crocodiles et à leur progéniture.
En migrant, une espèce réduit efficacement son exposition aux changements : si chaque génération est en mesure de trouver le climat qui lui convient, alors, au fil du temps, l’espèce dans son ensemble finira par vivre de la même façon.
Les archives fossiles révèlent, vague après vague, les migrations des espèces. Ce processus de reconfiguration géographique est désorganisé et confus, avec d’étranges combinaisons d’organismes vivant ensemble au fil des temps géologiques. Il est intéressant de constater que l’une des conséquences biologiques des mouvements d’espèces est que l’on repère, dans le registre fossile, de longues périodes de temps avec relativement peu de changements évolutifs : les migrations réduisent la pression adaptative subie par les espèces pour se conformer à des conditions de vie qui changent.
Aussi impressionnants qu’aient été les épisodes climatiques dans le passé, ils se sont généralement déroulés sur de très longues périodes. Ainsi, le taux moyen des migrations était plutôt bas. La situation aujourd’hui est quelque peu différente, puisque le taux de changement pour le siècle prochain est estimé à au moins 10 fois celui observé à la fin de la dernière période glaciaire.
Les écologues estiment que certaines espèces, confrontées au changement climatique d’aujourd’hui, auront besoin de bouger sur un grand nombre de kilomètres pour pouvoir faire avec le réchauffement attendu dans le cadre du scénario dit « business as usual » pour les émissions de gaz à effet de serre (soit une température moyenne en hausse de 4 à 8 degrés Celsius au cours du siècle). Pour d’autres, cependant, les migrations pourraient être différentes : elles pourraient se limiter à des courtes distances mais évoluer, par exemple, du pied au sommet des montages ou bien de la côte à l’intérieur des terres.
Dépendance humaine
Est ce que les populations devront, elles aussi, migrer sur de longues distances pendant une période de temps court ? Les innovations sociales et technologiques des sociétés humaines ont, par bien des aspects, libérées nos vies d’une dépendance directe envers le climat local, au moins pour les sociétés développées. Nous régulons notre environnement, nous habitons des maisons et roulons en voiture, nous importons de l’eau et de la nourriture sur de vastes distances, de l’endroit où elles sont disponibles ou où l’on peut les produire en abondance, jusqu’à là où elles sont demandées.
Cependant, les espèces dont nous dépendons, en particulier pour notre nourriture et nos vêtements, ont leurs propres besoins vis-à-vis du climat. Les changements en cours sont en train de pousser les fermiers et les forestiers à planter d’autres espèces, à changer le lieu de production de récoltes vers des lieux plus frais ou plus humides et à s’adapter à une limitation toujours plus forte des quantités d’eau pour l’irrigation. Quand la pratique agricole devient difficile, ou même impossible, ou que d’autres facteurs climatiques deviennent une limite, alors les humains, eux aussi, peuvent se retrouver sur les routes.
Dans le registre fossile, la migration est un signal fort en réponse à une évolution du climat mais aujourd’hui, la technologie et les innovations socio-économiques nous offrent d’autres moyens d’adaptation en ayant la possibilité de rester sur place. Et, dans le même temps, le commerce mondial nous libère, d’une certaine façon, de notre dépendance aux conditions locales.
D’un autre côté, les technologies et les marchés mondiaux qui nous permettent de nous adapter aux conditions nouvelles facilitent également les déplacements, et lient nos économies entre elles, nous rendant ainsi tous vulnérables aux impacts climatiques ressentis de par la planète. A cet effet, il n’y a aucun doute sur le fait que les changements climatiques sont un facteur d’exacerbation des tourmentes sociales et politiques dans le monde, et que cela pourrait s’intensifier rapidement dans les prochaines années et décennies. Les migrations humaines, tout comme ce que l’on observe chez les autres espèces, seront difficiles à prédire, hasardeuses et chaotiques. Cependant, si nous tenons compte des leçons de la science écologique et des registres fossiles, nous ferions bien de nous préparer à voir arriver un nombre croissant de réfugiés climatiques avec leurs besoins, quel qu’en soient les causes : montée du niveau des eaux, vagues de chaleur, sécheresse et famine ou encore conflits sociaux.
Faire avec les changements géographiques
Les écologues en charge de l’étude et du management des ressources naturelles anticipent les migrations d’espèces de plusieurs manières. Notamment en identifiant les régions avec les variations climatiques les plus rapides, là où l’on peut penser que se déroulera la plus grande migration; en prévoyant des parcs naturels et des réserves pour accueillir les espèces migrantes et en préservant des corridors qui permettent aux plantes et aux animaux de se déplacer à travers des environnements urbains très fragmentés et des terrains agricoles; en repérant des régions aux climats plus stables, refuges où les communautés d’espèces et les écosystèmes seraient naturellement résilients. Dans certains cas, les écologues cherchent à faciliter la migration parce que nous savons que bouger permet aux espèces de ne pas se retrouver piégées dans un climat dégradé.
L’analogie n’est pas parfaite mais nous devons organiser de la même manière les migrations humaines. Cela signifie chercher à identifier et à aider des communautés résilientes qui peuvent soutenir des collectivités dynamiques confrontées à des changements sociaux et environnementaux rapides. Et nous devons accueillir les personnes mieux qu’aujourd’hui et de manière plus appropriée à l’avenir.
Si le passé biologique est en mesure de prédire l’avenir, les leaders politiques doivent se préparer à une époque de profonds changements géographiques, une ère moderne pour les migrations.
Jessica Hellmann, Professor of Ecology, Evolution, and Behavior; Director, Institute on the Environment, University of Minnesota
David Ackerly, Professor of Integrative Biology and Co-Director, Berkeley Initiative on Global Change Biology, University of California, Berkeley
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.