Considérés comme un espace de libre expression des internautes, sans être obligés de passer par la médiation des journalistes, les réseaux socionumériques ont été au cœur de cette vague d’attentats à Paris, jouant plusieurs rôles, désormais assez bien identifiés.
Comme cela se fait désormais de façon fréquente face à tout type d’événement, les internautes ont eu le réflexe de sortir leurs téléphones portables pour tourner en direct ce qui se passait sous leurs yeux. Les médias relayant ensuite ces images amateurs dans leurs éditions télévisées ou sur leurs sites.
Vidéos d’amateurs et relais médiatiques
C’est ainsi que les premières images de fusillade filmées depuis un appartement à quelques centaines de mètres du Bataclan, postées très vite sur YouTube et reprises par d’autres comptes, ont cumulé en moins de vingt heures, selon notre décompte, plus de 2,1 millions de vues. Même dynamique donc que celle observée le 7 janvier avec ce film d’un citoyen, pris depuis un appartement et d’abord médiatisé par Reuters, où l’on voit les frères Kouachi revenir de la rédaction de Charlie Hebdo en criant victoire !
Même réflexe pour Steven Costa arrivé sur les lieux de massacre d’un des cafés touchés, qui interroge alors les témoins tout en filmant la scène de crime, ou encore d’un particulier arrivant très vite sur le lieu des explosions au stade de France.
Et en janvier comme en novembre, on retrouve l’influence de ces pratiques amateurs sur les journalistes professionnels, avec cette vidéo prise sur portable par un journaliste du Monde, Daniel Psenny, dont la fenêtre donne sur la sortie de secours du Bataclan. Cette vidéo postée sur la chaîne Dailymotion du Monde a été vue plus de 12 millions de fois, en quelques heures.
Réseaux sociaux, réseaux de solidarité
L’espace public que ces réseaux numériques contribuent à forger, permet aux citoyens de créer des solidarités entre eux, sur un modèle d’auto-organisation. Sur Twitter, des fils d’actu, via un hashtag qui finit par s’imposer, permettent d’organiser un échange d’informations entre les internautes.
On en a vu cette nuit du 13 au 14 novembre, deux cas exemplaires. Le hashtag #porteOuverte s’est par exemple imposé dans la nuit comme un des mots-dièses les plus partagés sur Twitter, suite à la proposition du journaliste indépendant et actif sur les réseaux, Sylvain Lapoix.
Il permit d’exprimer l’élan de solidarité de Parisiens des quartiers touchés par les attentats au profit de ceux que le bouclage des lieux ou l’angoisse laissaient sans abris et dans la rue.
De la même manière, le hashtag #rechercheParis est devenu le moyen que nombre de citoyens ont partagé pour faire circuler des appels à témoin pour retrouver trace d’un être cher dont ils étaient sans nouvelle.
Notons que Facebook a déclenché un dispositif visant à simplifier la vie de ses usagers dont les amis chercheraient à savoir sur leurs comptes Facebook si un proche est toujours en vie ou pas. Ce service appelé Safety check a été inauguré en octobre 2014, et Marc Zuckerberg en justifia ainsi l’existence : « Ces dernières années, il y a eu de nombreuses catastrophes et crises où les gens se sont tournés vers Internet pour aider. Chaque fois, nous avons vu les gens utiliser Facebook pour vérifier que leurs proches étaient en sécurité ».
En conséquence ceux qui étaient géolocalisés sur Paris, ont reçu dans la nuit le message suivant : « Allez-vous bien ? Il semble que vous soyez dans la zone touchée par les attaques terroristes à Paris. Informez vos amis que vous êtes en sécurité ». Il suffisait d’un simple clic, affichant donc un message rassurant automatiquement.
L’expression émotionnelle sur les réseaux
Une des clés du succès des réseaux socionumériques tient à la manière très affective dont ils sont appropriés, pour s’autoriser à rendre public, à partager, ses émotions (indignation, colère, coups de cœur, tristesse, afflictions…). Et dans ces circonstances dramatiques, ce ressort émotionnel joue à plein. Il s’agit de communier avec les victimes et d’afficher son empathie face à la situation.
La créativité graphique est un des outils très prisés sur ces réseaux pour partager en peu de mots (voire aucun) ses affects, surtout dans ces moments de sidération qu’engendre une ultra-violence aussi aveugle que répugnante.
On a donc vu fleurir des représentations graphiques devenues très vite populaires, comme autant de signes d’empathie déposés sur les autels numériques que sont nos comptes devenus. On change l’image de son profil Facebook, Twitter ou Tumblr. On crée un tableau sur son Tumblr, son Pinterest ou son compte Instagram, pour y déposer la collection des images qui nous ont le plus ému, le plus touché, qui résument le mieux notre état d’esprit du moment. Une larme, un symbole suffisent alors à traduire ses émotions.
On a pu découvrir l’influence du célèbre logo « Je suis Charlie », décliné ici en « Je suis Paris » ou « Je suis la France ». On voit aussi l’inventivité de ceux qui utilisent le symbole par excellence de Paris (la Tour Eiffel) pour l’associer à un message de paix et d’hommage aux victimes.
Le #PrayforParis est devenu un topic mondial, avec plus de 7 millions de messages en quelques heures. Découvrons un florilège de ce qui a circulé et qui s’inscrit pour chacun dans un processus de résilience, pour retrouver du sens dans un monde qui apparaît absurde, incompréhensible, incontrôlable.
Et on fait aussi circuler les images symboles valorisant des initiatives positives, celles qui permettent de se dire qu’il y a encore de l’humanité dans ce chaos fait d’absurdité et de brutalité. Les images qui témoignent de la solidarité du reste du monde avec nous, les initiatives culturelles, les moments de recueillement… les slogans qui nous permettent d’afficher notre détermination face à la menace.
Médias sociaux véhicules de toutes les rumeurs
Finissons ce tour d’horizon, en soulignant hélas, que, comme d’habitude, de nombreuses rumeurs ont circulé sur ces réseaux, les partages se faisant sans contrôle et sans retenue.
Une photo du groupe de rock «Eagles of Death Metal» circule sur Twitter et Facebook, présentée comme le groupe en concert dans le Bataclan le soir du drame, alors qu’il s’agit d’une photo de leur tournée, prise en Irlande.
L’annonce de lieux de fusillades nouveaux dans Paris, a rythmé la soirée sur les réseaux. Des coups de feux, des bombes, auraient ainsi été entendus à Beaubourg, aux Halles, au Trocadéro, etc. Dans l’affolement, croyant sans doute bien faire pour prévenir du danger d’autres internautes, des citoyens ont relayé ces rumeurs sans fondement.
Il n’y pas eu de fusillade à Bagnolet, et l’image choc d’une victime présumée s’avéra être une photo prise au Brésil. Une fausse prophétie censée avoir été postée sur le forum jeuxvideo.com le 5 novembre a été fabriquée de toutes pièces pour faire croire que ces attentats avaient été prévus.
Ce ne sont là que quelques exemples de l’ampleur que peut prendre la bêtise humaine sur ces réseaux, entre affolement peu éclairé mais pétri de bonnes intentions et franche malveillance, avec faux messages, détournement d’images, pour ne rien dire des thèses complotistes (et souvent xénophobes) qui apparaissent déjà (mais auxquelles nous refusons de donner de la publicité en les décrivant ici).
Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Panthéon-Assas
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.