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attentats Paris

Comment comprendre la cacophonie du monde?

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La vision d’un monde bipolaire, qu’il soit celui de la Guerre Froide ou celui de la guerre contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001 ne peut, par exemple, être analysée comme un fait mais plutôt comme une représentation du monde, fortement influencée par les USA et leur domination internationale. 
De même l’avènement de l’ONU et d’une gouvernance internationale, ou la vision d’un monde multipolaire venue des pays émergents sont autant de récits, de manière de présenter le monde et ses équilibres. 
Dans le cadre du Cycle Enjeux internationaux de la Bibliothèque du Centre Pompidou en partenariat avec le CERI, UP’ Magazine a choisi de vous présenter la dernière intervention de Karoline Postel-Vinay. Comment comprendre un monde où l’Union européenne est tout sauf une puissance politique et le projet fédéraliste s’est comme évanoui ? La Russie démontre-t-elle une capacité de perturbation plus que de coopération ? La Chine poursuit son ascension économique magistrale, mais n’est en rien une grande puissance politique. Quant aux pays émergents, ils connaissent ou vont connaître des vulnérabilités internes plus ou moins considérables ; la plupart ne formant pas encore de pôles économiques tangeants. Aujourd’hui, les incertitudes et les inquiétudes l’emportent. Celles-ci doivent être résolues dans un monde qui, plus que jamais, se trouve face à des défis majeurs : terrorisme, climat. De « nouveaux récits » plus globaux, plus surplombants, semblent aujourd’hui nécessaires.
Photo : ©Tableau « Cacophonie » de Jean-Marie Jenot
 
Comment se faire entendre dans un monde d’une complexité inouïe, où le nombre d’acteurs autour des tables de négociation va croissant et où la diversité d’intérêts semble infinie ? Comment se rendre audible dans cette nouvelle cacophonie internationale qu’on appelle aussi « gouvernance globale » et dont on attend un minimum de régulation à l’échelle planétaire ?
 
Prenons l’exemple du changement climatique, sujet de la prochaine grande représentation de la scène internationale, qui se jouera à Paris dans quelques jours. Les points de vue défendus autour de cette question seront, on le sait déjà, multiples et généralement divergents. Comme l’a annoncé sobrement Laurent Fabius, la tâche pour parvenir à un accord substantiel sera « considérable ».
Il existe d’abord des différences d’intérêts tangibles, notamment entre les pays dont l’industrie est en plein développement et ceux qui sont des sociétés post-industrielles, entre les gros exportateurs de pétrole et les producteurs d’énergies renouvelables, entre les « pollueurs » à un titre ou un autre et les relais plus ou moins puissants de l’opinion écologique mondiale. Au-delà de ce qui relève de la négociation concrète, en termes économiques et/ou politiques, il existe également des conflits entre les différentes visions du monde qui sont des lectures de la réalité ancrées dans des expériences collectives et des histoires spécifiques.
 
Comme l’expliquait le directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du Quai d’Orsay lors d’une rencontre récente (1), les diplomates français peuvent difficilement engager une négociation sur un objectif tel que l’abaissement de quelques degrés Celsius de la température de la planète, lorsque leurs interlocuteurs leur opposent un discours dans un tout autre registre : celui de l’histoire du colonialisme. En substance, les représentants d’un pays autrefois colonisé par les Européens évoqueront un passé fait d’injustices et présenteront dans cette perspective leur volonté légitime de poursuivre aujourd’hui sans entraves leur développement économique. Se pose alors la question de l’audibilité dans les débats mondiaux, plus précisément, de l’importance croissante des récits et des contre-récits dans la structuration de la coopération internationale.
 
Les puissances occidentales produisent depuis plus d’un siècle des grands récits géopolitiques qui fédèrent l’action des Etats et influencent l’ordre de leurs priorités. Les Etats-Unis sont entrés dans la Grande Guerre avec un récit géopolitique inédit à l’époque par son caractère normatif et son ambition planétaire. Pour Woodrow Wilson, 1914 était un combat mondial du Bien contre le Mal ; pour convaincre une opinion publique américaine isolationniste à verser son sang outre-Atlantique, il fallait au moins un enjeu de cette dimension.
Le même récit, moral et planétaire, mettant en scène le combat entre fascistes et anti-fascistes à une échelle mondiale sera adopté par Franklin Roosevelt en 1941 et dominera longtemps la scène internationale. Au point où l’Organisation des Nations unies, qui en est issue, ne peut, soixante-dix ans après son dénouement, s’en distancier : les cinq vainqueurs de 1945 conservent l’exclusivité du droit de veto en cas de conflit et l’Allemagne et le Japon continuent de figurer en tant qu’ »Etats ennemis » dans la charte de l’ONU. Une permanence narrative d’autant plus remarquable que la réalité « mondiale » de l’époque et la bipolarité de sa morale apparaissent désormais plus relatives : en quoi ce conflit était-il mondial quand tant de nations (d’Afrique, d’Asie), colonisées, n’avaient donc pas leur mot à dire ou n’étaient simplement pas concernées (comme nombre de pays d’Amérique latine) ? L’URSS de Staline est-elle crédible comme grande opposante aux régimes totalitaires ? Sun Yat-sen et Mao Zedong combattaient-ils vraiment le régime politique des militaristes japonais ?
 
D’une certaine manière, le mouvement de décolonisation qui s’est immédiatement déclenché après 1945 constituait en soi un premier contre-récit face à celui d’une « guerre mondiale » qui aura servi de ligne programmatique pour la principale organisation de coopération internationale. Depuis, les pays décolonisés, et aujourd’hui les puissances émergentes comme l’Inde ou le Brésil, ont régulièrement proposé, mais pas vraiment imposé, des narrations alternatives aux grands récits géopolitiques produits par l’Occident.
Lorsque s’est construit le grand récit de la « guerre froide », sur le mode d’une histoire opposant « l’Ouest et l’Est du monde », beaucoup de pays décolonisés se sont fédérés autour d’un autre récit, celui de la domination du Sud par le Nord. Ce contre-récit a eu un certain impact, infléchissant l’agenda de l’ONU dans les années 1970 ; l’omniprésence des questions sécuritaires liées au conflit bipolaire américano-soviétique a commencé à être tempérée par de nouvelles considérations sur le développement économique, ouvrant la voie à une vision beaucoup plus large de l’intérêt général à l’échelle globale. Mais le récit du « Nord/Sud » n’a jamais eu la force, et donc l’efficacité, de l’ »Est/Ouest », dans la mesure où il n’a pas permis un véritable renversement de perspective dans la mise en place de l’agenda international.
 
Aujourd’hui, les puissances occidentales peinent à formuler des grands récits suffisamment prépondérants pour rendre indiscutables les priorités de la coopération internationale. Cette difficulté est de fait inversement proportionnelle à la capacité narrative de l’ancien « Sud », devenue une nébuleuse fortement hétérogène mais dont les éléments les plus puissants – Chine, Inde, Brésil, mais aussi Indonésie, Turquie… – véhiculent des visions fondées sur des trajectoires historiques radicalement différentes de celles des nations européennes et nord-américaines.
 
Karoline Postel-Vinay, Directrice de recherches CERI – Novembre 2015
 
(1) Cycle Enjeux internationaux de la Bibliothèque du Centre Pompidou en partenariat avec le CERI : « Récits globaux et relations internationales au 21e siècle », accessible sur http://dai.ly/x3bi7op et http://webtv.bpi.fr/fr/doc/4226
Conseiller scientifique : Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS 
 

Livre « Comprendre la mondialisation » – Ed. Ellipse

Livre « Lettre ouverte au monde musulman » de Abdennour Bidar, Philosophe

 

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