Selon le discours dominant, la productivité, la compétitivité, la valeur ajoutée, etc. sont devenues d’une importance vitale dans notre « nouvelle économie ». Est-ce le nouveau Graal ?! Pour sortir d’une crise déclenchée par la finance, les pistes étaient multiples : brider la spéculation, réglementer les marchés, sanctionner les banquiers… Avec le soutien d’un nombre croissant d’industriels, l’Union européenne a formulé une autre priorité, qu’elle impose déjà aux pays en difficulté : accroître la « compétitivité » du marché du travail. Voici un éclairage à la compréhension des mécanismes du commerce, dans un domaine où le simple bon sens est généralement aveugle.
Dans les années 1970, j’étais cadre, responsable d’un service de production dans la société Saint Gobain à la fin des trente glorieuses. J’ai vu, à partir de 1973, l’industrie française réduire ses frais de personnel. Progressivement, on a d’abord recherché des gains de productivité, puis tout s’est accéléré… ; à partir du traité de Maastricht on a commencé à fermer des usines en France pour produire ailleurs. En 1995, l’OMC et l’Europe ont adhéré à la mondialisation.
Le traité de Lisbonne qui a complété cette libéralisation a été entériné en 2009. On a libéralisé les transferts de capitaux, de produits et aussi de machines de production… Lorsqu’on dit libéralisé ça veut dire qu’on a retiré à l’Etat les moyens qu’il avait pour intervenir. Alors les multinationales ont délocalisé ce qui polluait, le reste aussi d’ailleurs. En fait tout ce qui coûtait cher !
Les gains financiers immédiats sont toujours la raison principale des délocalisations vers les pays les moins contraignants, sans syndicats, sans ONG pour surveiller la pollution. Les multinationales choisissent des pays où les coûts de main-d’œuvre sont très faibles et où, même les enfants travaillent…
L’OMC a permis ce que les colonies permettaient au 19ème siècle aux capitalistes de l’Europe : exploiter les richesses des pays colonisés à leur profit. Actuellement ce sont les multinationales qui les exploitent ! D’ailleurs les multinationales voient le cours de leurs actions s’envoler lorsqu’elles annoncent des licenciements car la bourse sait que c’est une délocalisation qui s’amorce.
Je suis allé au Cambodge l’année dernière. Il y avait des ateliers de confection à Siem Rep (à côté des temples d’Angkor) où les ouvriers gagnaient environ 50 euros par mois… Depuis les trente glorieuses, la France a bien changé. On ne fabrique plus grand-chose, mais on importe. Et on s’appauvrit ; notre balance commerciale est déséquilibrée !
Dans les années 1980, nos industriels fabriquaient en France des machines outils, de l’électroménager, des outillages, des téléviseurs…la main d’œuvre en France, était pourtant chère et ils étaient soumis à des normes souvent contraignantes mais il y avait des droits de douanes pour empêcher l’importation des produits indésirables.
Le laboratoire national d’essais (LNE) avait été créé pour contrôler l’application des normes sur tous les produits vendus. Notre marché intérieur et les consommateurs étaient protégés. Les normes et les frontières ne nous protègent plus. En Europe on ne vérifie plus la durabilité, la sécurité des produits et on n’empêche plus, par des droits de douane, les importations de produits fabriqués et importés qui sont dangereux pour notre santé et ne respectent pas nos normes sociales, notamment en faisant travailler des « enfants esclaves ». Les rares industries qui fabriquent encore en France, avec des adultes au SMIC, sont, de ce fait, dans une sorte de concurrence faussée.
Pourquoi l’Europe laisse-t-elle ces produits voyager librement ? Souvent ils sont dangereux, parfois ils cassent tout de suite. Je suis scandalisé de voir que mon grille-pain (sans doute fabriqué en Chine) vient de casser, et que la durée de vie du système aimanté qui le bloque en position chauffe, est courte. Je dois le remplacer en totalité en jetant l’ensemble en inox qui est pourtant en très bon état et qui va polluer la planète. Il a plus d’un an et il n’est plus sous garantie : on appelle ça l’obsolescence programmée.
Les hommes ne sont pas libres de voyager dans le monde sans passeport…mais les produits et l’argent le peuvent. Comment avons-nous construit un monde aussi aberrant ? Comment a-t-on atteint en France un nombre aussi important de chômeurs ? Quels sont les dysfonctionnements français et mondiaux qui ont amené à cette désindustrialisation et à cette pollution grandissante ?
Edgar Morin nous incite à penser global (1), complexe, et à relier les choses. Nous sommes des hommes dans la société française, qui est en Europe, dans le monde et dans l’univers. Des éléments qui, pris séparément, n’auraient pas de sens mais qui, reliés, montrent l’absurdité de notre course à la consommation et à la mondialisation et le rôle des multinationales de l’oligarchie et du politique.
Depuis que Maastricht, le traité de Lisbonne et l’adhésion à l’OMC ont été adoptés en Europe sans demander l’accord des peuples européens (2) , nos gouvernements n’ont plus beaucoup de moyens d’actions sur l’économie et ils semblent compter sur leur bonne étoile pour résoudre le problème du chômage. Nos gouvernants se heurtent à l’Europe qui interdit beaucoup d’initiatives gouvernementales qui pourraient être favorables.
Je suis et je reste un Européen convaincu car depuis l’Europe du général de Gaulle, les discours politiques ne reflètent plus comme avant 1914 la volonté d’en découdre, mais il faut réformer l’Europe de toute urgence car elle va bientôt regrouper un ensemble de pays nationalistes et d’extrême droite qui peuvent exploser. Le gouvernement Français est le seul avec l’Allemagne a pouvoir amorcer une modification des traités Européens : il suffirait qu’elle menace d’en sortir, mais se hâte à la vitesse d’un glacier vers la sortie. Car l’union européenne est tellement paralysée dans ses décisions qu’il lui faudra bien un an en cas de crise pour se réformer.
Nous pourrions alors nous attaquer à la régulation de la finance, aux transferts de fonds à hautes fréquences qui ne sont pas taxés et aux multinationales qui en profitent pour ne pas payer leurs impôts en France.
Lutter contre la mondialisation à outrance et les multinationales est une proposition pour le gouvernement que nous élirons en 2017, mais notre gouvernement qui a renié ses grandes ambitions sociales, pourrait déjà adapter tout ce qui est dans son pouvoir. C’est-à-dire ce qui marche encore plus mal en France que dans les autres pays européens… les administrations tatillonnes, les impôts élevés, les contrôles fiscaux approfondis qui gaspillent le temps précieux des dirigeants de PME, les charges élevées sur les salaires, trop élevés pour les PME, l’état et les grandes entreprises, très mauvais payeurs qui payent avec des délais inadmissibles pour des PME et des startups.
Faciliter les tâches administratives : simplifier les démarches administratives, simplifier la vie des PME (qui payent leurs impôts en France contrairement aux multinationales). Inciter les administrations à plus de compréhension et à moins de suspicion, moins de contrôles vis à vis des PME et faire payer aux grands groupes un impôt en fonction de ce qui est distribué aux actionnaires et surtout aux PDG.
Il faut ne pas traiter de la même façon les PME et les multinationales…
Les PME doivent être favorisées car elles n’ont pas de moyen d’échapper aux impôts et aux tracasseries administratives. Elles n’ont même pas à leur disposition le chantage de l’emploi.
On parle en France de compétitivité, mais les syndicats veulent conserver en France ce qui a été acquis de haute lutte, ne veulent pas que le smic soit plus bas car de toute manière on ne sera jamais compétitif fasse au Bengladesh et au Cambodge qui ont des salaires à 50 euros par mois. Qui pourrait vivre en France avec ce salaire-là !
Mais si l’Etat dispense de charges toutes les nouvelles embauches de PME, tout va changer car ces chômeurs ne coûteront plus rien à la Nation.
Le gouvernement pourrait chercher à modifier les traités européens, comme veut le faire le Royaume uni. Il pourrait chercher à s’attaquer à la finance, aux transferts de fond à haute fréquence qui ne sont pas taxés, à l’harmonisation fiscale, car a quoi bon afficher des taux d’impositions élevés que nous ne sommes pas capables de percevoir. C’est ce que François Hollande n’a pas osé faire au début de son mandat et qu’il ne fera pas.
Dans certains domaines et notamment la politique industrielle, la France n’a tout simplement plus les manettes.
L’Europe est perçue par les peuples européens comme un « machin » qui prive les Etats (anciennes nations) d’une partie des décisions qui font leur souveraineté. Le référendum de 2005 refusant la constitution a laissé des traces ! Quel que soit notre volonté actuelle de construire l’Europe, les français ont majoritairement voté contre. Or, en 2007, le gouvernement français a ratifié le traité de Lisbonne, qui reprend le texte rejeté. Dès lors, il devient difficile pour la Commission européenne de démontrer ses valeurs démocratiques et humanistes, valeurs qui sont pourtant à la base du projet européen.
Le viol initial du principe démocratique européen est le péché originel de l’Europe vis-à-vis des peuples.
Lorsqu’on comprend que la flexibilité est une idée européenne le peuple est réticent. Nos gouvernants ne font plus grand-chose en matière économique alors pour faire comme s’ils travaillaient, ils agitent des chiffons rouges devant les médias qui mordent ces chiffons pendant des mois pour se partager les morceaux. Le mariage gay, la fin de vie, la lutte contre le terrorisme… la flexibilité !
De toutes manières, ce que le MEDEF appelle la compétitivité des entreprises, qui permet de comparer le prix de revient des produits fabriqués en France par rapport au prix de revient des mêmes produits de l’entreprise délocalisée, est un combat perdu d’avance par les multinationales si la France n’innove pas.
Un ouvrier français gagne, au smic, 30 fois plus qu’un ouvrier cambodgien. Comment pourrait-on lutter, dans le cas d’une industrie manufacturière ? La confection de vêtements par exemple, dans laquelle la main-d’œuvre rentre pour 60% dans le prix du produit, ne reviendra pas en Europe. Sur ces produits complètement banalisés, espérer reprendre pied sur ces marchés déjà délocalisés est à mon avis complètement utopique. On a déjà perdu ce que le MEDEF appelle « la bataille de la compétitivité ». Il s’accroche encore avec le gouvernement de manière un peu dérisoire car pour produire les mêmes produits aux mêmes prix, lorsque la main-d’œuvre représente une part importante du prix de revient, il faudrait payer nos ouvriers 50 euros par mois comme en Asie (3) , et donc on ne pourra jamais lutter a armes égales.
Lorsque les entreprises françaises ont commencé à délocaliser les fabrications de produits, c’était une décision quasi irréversible car les ouvriers qui les fabriquaient n’ont pas pu transmettre leurs tours de main et un ouvrier nouveau n’aurait pas la productivité qu’on ne peut acquérir après quelques mois ou quelques années d’expérience. Abandonner un marché augmente la difficulté de le reconquérir un jour, même si on en a la volonté. La connaissance des clients prend des années et retrouver les tours de main pour fabriquer est aussi très long. Dans les deux cas, les entreprises doivent repayer ce qu’on appelle un « ticket d’entrée » si elle tentent de reconquérir le marché de ces produits qui ont été abandonnés.
Nous sommes donc condamnés à innover pour reprendre l’initiative, pour rechercher la qualité perçue par les clients, la durabilité par l’eco-conception. Il n’y a que ces qualités qui donneront à nos futurs produits et procédés une plus-value d’usage et d’image pour différencier tout ce qu’on créera.
Sur le marché des scooters, la sécurité, les risques de chutes et d’accidents graves ont toujours été des freins à la vente. L’exemple du Piaggo MP3, un scooter à 3 roues qui bénéficie d’une stabilité très améliorée est intéressant… Ce scooter comporte deux roues à l’avant, articulées par un système innovant à parallélogramme. Il peut s’incliner dans les virages comme n’importe quel deux-roues. Un système dénommé Roll-Lock permet de bloquer le parallélogramme à l’arrêt ou au ralenti. Le conducteur peut ainsi ne pas mettre le pied au sol à l’arrêt au feu rouge.
Le modèle haut de gamme de Piaggo vaut tout de même environ 9 500 Euros alors qu’un scooter plus classique, par exemple le Peugeot 250 vaut environ 1 400 Euros. On voit que des ouvriers européens peuvent être bien payés pour fabriquer ce scooter, et que cette innovation mise en valeur par un bon design constitue un grand avantage compétitif (qui permet de multiplier le prix de vente par 7 pour la même fonction : transporter de A à B une personne dans des conditions de confort et de sécurité suffisantes).
Nos entreprises doivent utiliser ce levier de l’innovation pour que l’emploi qualifié reparte en France.
On se dit que ce qu’a fait l’Islande au moment de la crise des subprimes de 2009, laisser les banques faire faillite et favoriser l’innovation, la France peut le faire pour reprendre en main son destin. Parler de la Nation, de notre indépendance dans les décisions et même parler tout simplement de ce qui pourrait faire du bien en France, ne classe pas obligatoirement les questionneurs dans l’extrême droite. Pourquoi ce qui a été possible dans un petit pays comme l’Islande ne serait pas possible en France ? Si ce débat ne peut avoir lieu, alors la France et les pays Européens courent à la catastrophe.
Actuellement, la compétitivité des multinationales européennes est un mirage inaccessible. Les multinationales n’ont aucun intérêt à rester en Europe. Les banques et les multinationales trouvent des pays comme le Vietnam, le Cambodge, le Bengladesh ou le SMIC mensuel est de 50 à 80 Euros par mois, alors pourquoi se priver !
Les coûts de fabrication des produits baissent et les produits voyagent dans d’immenses porte-containers qui ont fait baisser le prix des transports. Pour que les multinationales contribuent aux charges des nations, il faut leur faire payer des impôts, mais actuellement les contraintes ne sont pas suffisantes elles payent trop peu. Il faut que les Etats réagissent notamment en taxant les transactions financières, en demandant la transparence et le reporting, et en luttant contre les paradis fiscaux. Si on laisse une liberté totale aux multinationales comme l’OMC l’a prévu et organisé, on assistera à des délocalisations massives et à la plus belle optimisation fiscale que les multinationales auraient pu imaginer.
Il faut surtout que l’Etat fasse un réel effort pour simplifier la vie des PME qui n’ont pas vraiment besoin de ses aides mais ont besoin de moins de charges.
Les multinationales doivent retrouver le chemin de l’innovation et du développement durable.
Les Etats doivent lutter contre cette mondialisation débridée qui accable les peuples et enrichit les multinationales.
Les citoyens français attendent urgemment autre chose de ce gouvernement qu’une réforme du code du travail, même si elle est nécessaire.
Le gouvernement devrait être renversé sur le problème du chômage, mais le temps passe et il ne se passe rien et les SDF sont de plus en plus nombreux.
Lorsqu’on tire un petit fil dans ce monde complexe où tout est lié, on s’aperçoit que le monde entier est entraîné. Pour changer les choses, pour diminuer la pollution, résorber le chômage. Pour que « la politique » dans toute sa noblesse, reprenne la main, il faut lutter contre la mondialisation débridée et être innovants pour que notre planète puisse continuer sa course en symbiose avec les humains et que nos enfants aient quand même une vie possible et peut-être même, heureuse.
(1) « Penser global – L’humain et son univers » de Edgar Morin – Edition Robert Lafont – septembre 2015
(2) Pour l’adoption de la constitution Européenne (commission Giscard d’Estaing) les référendums qui ont été organisés ont été repoussés en France comme aux Pays Bas et après ce résultat négatif les gouvernements européens se sont bien abstenu de poser d’autres questions aux européens…
(3) 89 Euros est le salaire minimum (SMIC) du Viet Nam, les ouvriers sont payés environ 50 euros au Cambodge
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