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Une réponse au Brexit : organiser l’Assemblée instituante européenne

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Le Brexit suscite une avalanche de réactions. Si toutes reconnaissent que « rien ne peut plus continuer comme avant », et que la construction européenne fondée presque exclusivement sur l’unification du marché et la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux, s’est maintenant plutôt retournée contre l’Europe, en la qualifiant de ventre mou de la mondialisation, les conclusions qui en sont tirées par les uns et les autres et les propositions pour en sortir couvrent un large spectre.
 
Il y a ceux qui voient dans la crise l’occasion de faire avancer l’agenda d’un renforcement de l’Europe, et en particulier de l’Euroland, avec une harmonisation fiscale, un programme commun d’investissement, un renforcement de la gouvernance économique. Leur solution a l’inconvénient de partir de l’hypothèse que les sociétés et les dirigeants politiques nationaux sont prêts à de nouveaux abandons de souveraineté, ce qui n’est pas dans l’air du temps. Et il y a ceux qui estiment que le projet européen doit être refondé, avec le concours actif des citoyens européens. Nous sommes de ceux-là. Encore faut-il dire comment le faire. S’en tenir à l’idée vague de rendre la parole au peuple, dans un contexte de discrédit général des dirigeants politiques et de crise de la démocratie représentative traditionnelle, conduit à la perspective d’un référendum, national ou européen, réclamé partout par l’extrême droite.

Comment associer les citoyens européens à l’élaboration d’un projet d’avenir ?

Ce n’est pas en demandant aux citoyens européens de répondre par oui ou par non à une question, que l’on bâtit un projet d’avenir face à la complexité du monde ! D’où la question : comment associer les citoyens européens à l’élaboration d’un projet d’avenir ? Réponse : en organisant un processus que l’on pourrait appeler une Assemblée instituante. Après le Brexit, c’est ce qui s’impose. Une Assemblée instituante n’est pas une Assemblée constituante. Même si l’exemple de l’Islande, qui a confié l’élaboration de sa nouvelle constitution à 25 citoyens « ordinaires », montre qu’un processus citoyen délibératif peut aboutir à des propositions de qualité, l’objectif n’est pas aujourd’hui de charger un panel de citoyens européens d’écrire un nouveau traité ! L’expression d’Assemblée instituante découle d’un constat :  la gouvernance, telle que nous la pratiquons quotidiennement, concerne les modes de   régulation de communauté existantes. Ce qui laisse de côté un préalable essentiel : comment une communauté s’institue-t-elle ? Comment émerge l’idée d’une communauté de destin dont les membres se sentent redevables les uns vis-à-vis des autres ? y-a-t-il d’autres moyens pour l’instituer que le fer et le sang, pour reprendre le mot de Bismarck ?
 
C’est le premier défi du XXIe siècle, au niveau européen comme au niveau planétaire. Les bouleversements de la technique et de l’économie, la prise de conscience d’interdépendances devenues irréversibles, à l’image du changement climatique, créent une réalité anthropologique nouvelle, mettant en cause la construction idéologique héritée des siècles précédents qui prétendait faire des États-nations les seules communautés authentiques durables : le défi du XXIe siècle est au contraire de faire émerger des communautés de destin correspondant à la réalité des interdépendances. Comme l’a montré la construction européenne, la mise en place d’institutions communes est nécessaire à la pérennité d’une communauté mais ne suffit pas pour la créer.
 
Il est exact de dire que l’Union Européenne s’est construite sans les peuples. Certes, l’adhésion de chaque communauté nationale au projet européen a été volontaire, mais le souci de s’arrimer à la démocratie, dans le cas des pays du sud de l’Europe qui sortaient de régimes autoritaires, ou à un espace de prospérité économique, dans le cas des nouveaux membres d’Europe centrale et orientale, ne constitue pas un véritable processus instituant conduisant des peuples longtemps rivaux à se reconnaitre des valeurs et un destin commun. C’est ce manque qu’il faut aujourd’hui combler.
 
La démocratie délibérative repose sur l’idée qu’avant d’être une confrontation entre des programmes, la politique est une éthique et une méthode. Une éthique de transparence et de recherche de ce qui unit plutôt que ce qui divise (à l’opposé du jeu politique actuel…). Une méthode par laquelle des citoyens « ordinaires » se construisent une opinion sur des sujets     complexes puis, par la délibération, dégagent des convictions et des perspectives communes. Elle requiert pour réussir six conditions :  l’engagement  des  institutions  et  des  responsables  politiques  que  les  propositions citoyennes seront prises en considération ; un mode de sélection des participants incontestable ;  des questions aussi larges que possibles, pour ne pas enfermer les citoyens dans une problématique imposée  par  les  institutions ;  un  processus  construit  dans  la  durée ;  des  moyens  financiers  et humains significatifs ; des méthodes rigoureuses pour dégager des éléments de synthèse et  dégager les points communs et les divergences irréductibles.

Une Assemblée instituante, composée de citoyens tirés au sort

Une Assemblée instituante, composée de citoyens tirés au sort, découle de ces principes. Les questions qui lui seront posées dessinent les contours d’un projet pour l’Europe et de construction d’une véritable communauté : comment assumer ensemble l’héritage du passé, ce qui depuis des siècles fait de l’Europe une civilisation et ce qui l’a si souvent divisée ? Voulons-nous former une communauté de destin et sur quelles valeurs communes fonder une identité européenne ? Quelle place doit occuper l’Europe dans le monde et quel monde veut-elle contribuer à construire pour relever les défis planétaires ? Que penser de la gouvernance actuelle de l’Union Européenne et quelle gouvernance serait dans l’avenir de nature à conjuguer au mieux la diversité qui nous enrichit et l’unité qui nous réunit ? Quel modèle économique pour l’Europe et quelle place du marché dans ce modèle ?
 
Nous proposons un processus en deux étapes : la première au niveau de villes ou de régions ; la seconde au niveau européen.
 
Première étape, des Assemblées de citoyens à l’échelle de villes ou de régions qui se porteront candidates. Pourquoi villes et régions ? D’abord pour rompre résolument avec l’idée « d’intérêts nationaux » ; ils n’existent, en vérité, que parce qu’il y a des Nations et des États pour les inventer et les représenter, mais ils réduisent les dialogues internationaux ou européens à une confrontation entre eux. Ensuite, parce qu’à l’échelle d’une ville ou d’une région, la diversité des sociétés et des défis est beaucoup plus concrète. Dans chaque ville ou région candidate, un processus de tirage au sort entre des citoyens   appartenant à toutes les couches de la société permettra de construire un échantillon d’une soixantaine de personnes de tous âges, origines et milieux socio-professionnels prêtes à s’engager dans l’aventure. Cette assemblée locale travaillera pendant un an, en suivant pour aborder les différentes questions une progression rigoureuse
 
La démocratie délibérative est tout le contraire d’un sondage d’opinion. Comme dans un procès de cours d’assises, les membres du panel de citoyens que constitue l’assemblée doivent pouvoir, au fur et à mesure que le processus se déroule, poser toutes les questions qu’ils souhaitent et obtenir pour chacune une réponse circonstanciée, interroger les experts en bénéficiant de points de vue contradictoires pour se forger leur propre opinion. L’expérience prouve que ça marche, y compris quand il s’agit de questions scientifiques complexes dont on pourrait penser qu’elles sont inaccessibles au profane. Cette capacité de jugement n’est-elle pas l’essence même de l’espérance démocratique ?
 
Seconde étape, une Assemblée citoyenne européenne réunissant en concile, pour une durée significative, de dix jours à un mois, mille citoyens délégués par les Assemblées locales. Le travail de l’Assemblée aura été préparé par des cahiers de propositions issus des assemblées locales et du dialogue entre elles. Ce ne sera pas une assemblée plénière permanente, propice aux prises de pouvoir par des leaders d’opinion, mais un aller et retour entre des groupes de travail interactifs de quelques dizaines de personnes et la confrontation de leurs conclusions. La traçabilité des débats et les méthodes de construction progressive des synthèses est une condition essentielle de la crédibilité des conclusions : l’art de la démocratie et de la gouvernance, aujourd’hui, c’est l’art d’appréhender la complexité et de la gérer.
 
Aux deux étapes des Assemblées locales et de l’Assemblée Européenne, il est essentiel qu’à travers les réseaux sociaux et internet l’ensemble de la société puisse bénéficier des informations fournies aux membres des Assemblées et puisse mener les mêmes réflexions et les mêmes débats, faute de quoi on construirait, même à partir de citoyens ordinaires, une nouvelle caste de notables. L’exemple de simulations des négociations sur le climat, menées dans différents pays dans des établissements scolaires montre aussi tout le profit que l’on peut tirer de démarches citoyennes au niveau des lycées ou des universités, pouvant aller jusqu’au projet d’avenir des jeunes européens, pour le continent et pour la planète.
 
Cette Assemblée instituante ne pourra se tenir qu’à l’appel des dirigeants européens et avec leur soutien,  qui est indispensable sur trois  points : appeler  régions  et villes à s’impliquer  dans  le processus ; fournir les moyens humains et matériels, tant pour la construction d’une base solide d’informations  en  réponse aux  questions  des  citoyens  que  pour  la traduction  et l’interprétariat nécessaires pour rendre ces informations accessibles à tous et permettre les dialogues entre assemblées locales puis au sein de l’Assemblée européenne ; organiser une session spéciale de chaque institution européenne -Conseil, Parlement, Commission, Comité des Régions et CESE- pour examiner de façon approfondie les propositions issues du travail des citoyens. C’est seulement à cette dernière étape, quand un nouveau projet européen, une nouvelle gouvernance européenne, une nouvelle place de l’Europe dans le monde auront fait l’objet d’un consensus que l’on pourra envisager, si nécessaire, de les soumettre à l’ensemble des citoyens européens sous forme d’un référendum organisé simultanément dans tous les États membres.
 

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