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Le président ne peut plus décider « quoi qu’il nous en coûte »

Le président ne peut plus décider «quoi qu’il nous en coûte»

Renouveler une gouvernance qui a épuisé sa crédibilité

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Quelles que soient les décisions annoncées par le président de la République au cours de son allocution le 24 novembre, à défaut de changer de méthode, il lui faudra renouveler le registre d’une communication qui a épuisé tous les recours possibles. Le discours guerroyer, la posture oratoire du décideur en tout, l’héroïsation des invisibles ou même une certaine compassion obligée ces derniers temps, n’ont plus d’effet sur la réalité vécue de la pandémie. Le confinement a désormais épuisé une société qui ne parvient plus à subir l’enfermement et les fractures socioéconomiques. Le couvre-feu accentue les détresses enfouies dans l’obscurité de l’isolement. Quant aux essentiels, ils ont compris en un mot tueur que leur fonction sociale était sans intérêt et que la cause qu’ils s’évertuaient à défendre apparaissait d’une moindre importance que la pérennité d’activités considérées indispensables.

TRIBUNE EXCLUSIVE

Nous n’avons pas voulu être suffisamment attentifs au processus de triage, à cette hiérarchisation selon des critères inexpliqués de nos urgences, à ce cumul de renoncements qui aboutissent à cette crise morale que le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, analysait le 17 novembre comme une détérioration de la santé mentale des Français. Effectivement, cette logique décisionnelle pour déchetterie est peu compatible avec nos valeurs de démocrates. Toutefois ne médicalisons pas ce mal-être existentiel qui justifie des réponses politiques à hauteur des enjeux, plutôt que le soutien de cellules d’aide psychologique à des fins palliatives.

Comprend-on la signification, au-delà de leurs conséquences, de terminologies infantilisantes, blessantes, culpabilisantes, voire qui meurtrissent ? Évalue-t-on les effets de décisions aléatoires, souvent illisibles car inconsidérées, parfois injustes au point de susciter des controverses menant à des choix qui ne satisfont personne et ruinent des existences ? Le tragique feuilleton de la fermeture des commerces « non essentiels », puis de la suppression dans les grandes surfaces des rayons non essentiels. Les débats relatifs à l’ouverture des fleuristes, puis à la possibilité de vendre ou non des sapins de Noël en disent long sur cette façon de régir et de sélectionner les activités jusque dans le détail, sans considération pour un projet de vie, une compétence professionnelle ou des besoins sociaux conciliables avec les nécessités de la santé publique.

L’a priori d’incompétence est la vulgate des décideurs publics, qui de la sorte s’investissent de l’autorité d’une compétence dont ils seraient détenteurs par nature. J’ai discuté ces dernières semaines avec tant d’acteurs de la vie sociale, humiliés d’avoir à tout justifier de leurs activités, à tout expliquer et prouver de leurs capacités à se responsabiliser, et parfois révoqués dans la revendication de leurs droits, avec de surcroit un propos moralisateur pour stigmatiser leur indifférence à l’intérêt général !

 « Si vous ne voulez pas l’entendre, sortez d’ici ! »

J’estime que les décideurs publics ne peuvent pas s’arroger l’exclusivité du jugement moral, ou du moins si telle est leur prétention qu’ils attestent alors en pratique du bien fondé de leurs décisions.

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Le 4 novembre, le ministre des Solidarités et de la Santé a eu cette étrange et significative réaction alors que sa politique était mise en cause à l’Assemblé nationale : « C’est ça la réalité mesdames et messieurs les députés, si vous ne voulez pas l’entendre, sortez d’ici ! Elle est là la réalité de nos hôpitaux. » Je suis convaincu qu’il est mieux que d’autres en position pour connaître cette réalité qu’il façonne également par ses décisions. Détient-il pour autant un savoir certain dans un contexte si délicat à comprendre et à maîtriser, au point de s’autoriser à chasser de l’enceinte parlementaire des membres de notre représentation nationale ? Indirectement, c’est la société dans son ensemble qui éprouve une telle déconsidération. Cette autre formule de sa part peut également interroger : « Vous êtes en train de débattre de sujets alors que nos soignants se battent pour sauver des vies. » N’est-il pas plus justifié encore de débattre et de chercher à partager des analyses et de proposer des lignes d’action, lorsque les choix ne sont pas évidents et que l’on sait que les arbitrages reposent sur des bases fragiles ? Et d’autres que les soignants « se battent pour sauver des vies » qui devraient être eux aussi reconnus dans leurs urgences autrement qu’en leur consentant quelques subsides. Leur fonction sociale a d’autant plus de sens lorsque les liens se délitent.

Le chef de l’État devrait donc également renouveler ce mardi 23 novembre le registre et les référentiels de sa gouvernance de la pandémie. Car ne parviennent plus à y consentir que ceux qui estiment qu’accepter cet exercice de l’autorité est le coût à payer pour atténuer leurs risques personnels. Une assurance en quelque sorte qui explique cette attitude paradoxale, bien représentative de l’état d’esprit de notre société, entre l’aspiration à une protection tutélaire et la revendication à préserver ses libertés fondamentales, une faculté d’agir selon son libre choix.

Depuis les premières décisions prises par les instances publiques, j’oscille entre une position responsable, prudente, conscience d’enjeux complexes dans un contexte à tant d’égards inédits, et une attitude critique à l’égard d’une gouvernance hostile à toute autre conception contradictoire que celle qui détermine son action. Je ne parviens pas à saisir l’intelligence de cet enfermement dans un système de convictions et de certitudes que défie la nature même d’un phénomène épidémique. J’y descelle à la fois une extrême fragilité et une insuffisance qui inquiètent, quelle que soit la qualité des mesures adoptées pour atténuer d’un point de vue économique les conséquences les plus immédiates du confinement.

Mais aujourd’hui, le désastre humain et social, fait de maltraitances cumulées, de sentiments mêlés d’incompréhension, d’effroi, de consternation, d’injustice dans ce qui se vit en l’instant présent, sans autre espérance qu’un vaccin qui au mieux atténuera la tension épidémique, doit être compris comme un moment politique d’une gravité particulière dont on ignore l’issue.

Dernière tentative d’ajustement entre l’encore possible et ce que la société ne supportera pas

Nous ne pourrons ni nous résoudre à un troisième confinement, ni accepter des mesures arbitraires dont les conséquences ont atteint les limites de l’acceptable. Le gouvernement est limité dans ses marges de manœuvres au point de ne plus être que dans la dernière tentative d’ajustement entre l’encore possible et ce que la société ne supportera pas.

À cet égard également, la rhétorique est confrontée à ses limites. Aura-t-on l’intelligence d’inventer un mode d’approche de choix plus délicats encore demain, mais désormais dans le cadre d’une démocratie délibérative ? Préfèrera-t-on les promesses incantatoires, ces résolutions fugaces si peu consistantes, alors que l’on a durement compris depuis dix mois la nature même des défis auxquels nous sommes confrontés et que rien ne sera plus comme avant ?

Face à la pression de l’opinion publique et à l’obsession plus économique que morale d’envisager des fêtes de fin d’année qui nous consoleraient provisoirement de ce que nous avons perdu en ces temps de pandémie, le président pourrait estimer judicieux de privilégier la trêve considérée, à juste titre, comme celle des confiseurs… Une trêve avant de reprendre quels engagements, à quelles conditions et avec quelle visée constructive ?

La sagesse de la décision aurait justifié une réflexion à la suite du premier confinement et au cours de cet étrange deuxième confinement. Elle n’a pas été voulue par les pouvoirs publics, de telle sorte qu’ils sont démunis du seul savoir indispensable qui importerait aujourd’hui. Car comment décider du futur sans associer ceux qui en assumeront les défis parce qu’il détermine leur vie future ?

Nous voilà plus vulnérables face à la pandémie, parce qu’appauvris de ce que nous n’avons pas pu mettre en commun afin de construire ensemble un devenir possible, digne de notre démocratie. Nombre d’entre nous en éprouvent une souffrance morale qui n’a rien à voir avec une pathologie mentale. Ce serait peut-être l’expression même d’une conscience politique.

Demain, le chef de l’État pourrait avoir l’idée d’y accorder une attention afin de nous proposer un projet politique qu’il ne peut plus se permettre de nous refuser. Il ne me semble plus en mesure de décider « quoi qu’il en coûte », je veux dire que nous n’accepterons plus ses décisions « quoi qu’il nous en coûte ».

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Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay. Coordonnateur de l’ouvrage collectif Pandémie 2020 – Éthique, société, politique, Éditions du Cerf.

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bgeoffray06***
4 années

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