Pour changer le monde écoutons notre talent, vivons notre passion et révélons au monde notre véritable nature, alors le changement sera plus profond.
Cyril Dion, acteur, écrivain, directeur du Mouvement Colibris, directeur de collection chez Acte-Sud, co-réalisateur de film, poète et acteur engagé dans des actions citoyennes, nous partage les clés de son engagement et de ses changements de vie.
Serais-tu d’accord pour nous partager des éléments de ton parcours ?
Cyril Dion : « Je ne savais pas très bien quoi faire dans la vie, la seule chose que je savais c’est que je voulais faire des choses qui me passionnent. » Et aller travailler pour gagner un salaire, cela ne me parlait pas. Donc je suis devenu acteur. Pourquoi ? Deux aspirations très fortes : créer et avoir un impact sur le monde.
Je voulais que les choses s’améliorent dans le monde. Etant plutôt quelqu’un qui agit, quand je vois que quelque chose ne va pas, j’ai envie de m’en occuper, mais ne sachant pas très bien par quoi commencer, j’ai d’abord choisi une formation d’acteur.
Tout d’abord le théâtre
Trois ans de théâtre : une école de la vie, cela m’a permis de me découvrir et de rencontrer Fanny, ma femme, avec laquelle je vis depuis 15 ans. Depuis, nous avons eu deux merveilleux enfants, Pablo et Lou.
Grâce à un agent, j’ai fait plusieurs films notamment de publicité et un jour j’ai senti que ce n’était plus possible : passer de Shakespeare à la Française des Jeux ou à Une Femme d’honneur et je me disais que je perdais mon temps.
Alors je me suis arrêté un an pour écrire, car j’écris depuis mes 17 ans, et j’ai rédigé deux romans que j’ai mis finalement à la poubelle. En effet, ma femme en rentrant du travail me trouvait tout gris et me disait : « Combien de temps tu vas encore continuer car on sent que cela t’épanouit vraiment beaucoup ?»
Donc, je me suis qu’il fallait que je ressorte de mon appartement et que je fasse quelque chose qui soit utile et qui me passionne et, qui sait, qui me permette aussi d’écrire et de gagner un peu d’argent.
Fanny tombe malade et en cherchant une solution
A ce moment là, mon épouse, Fanny était très malade et ne trouvant pas de remède satisfaisant, nous nous sommes intéressés à la médecine naturelle. Je me suis formé en réflexologie plantaire et en énergétique chinoise et en micro-ostéopathie. J’ai alors ouvert un cabinet mais surtout je massais les gens dans les entreprises et je découvrais des personnes en souffrance. Je voyais une dizaine de personnes par jour, mais je sentais que ce n’était pas complètement encore ma voie.
Un moment de rupture déterminant
Puis, j’ai rencontré Alain Michel qui avait fondé Hommes de Parole et qui cherchait un coordinateur pour des congrès Israélo-Palestiniens et cela m’a beaucoup enthousiasmé de penser que je pouvais faire quelque chose pour ce conflit. Naïf, que j’étais, j’avais 24 ans et je pensais que je pouvais apporter la paix dans ce conflit !
Grâce à la confiance d’Alain Michel, cela a très bien marché et j’ai organisé avec lui le premier et deuxième congrès mondial des Imams et des Rabbins.
Ce fut une expérience extrêmement forte et bouleversante avec des moments improbables vécus entre les participants, notamment lors du deuxième congrès. Nous avions fait sortir 21 Palestiniens de Gaza pour la première fois de leur vie et on les faisait vivre tous ensemble, Palestiniens et Israéliens. Ce fut un vrai choc pour tous !
C’est à cette occasion que j’ai utilisé le Forum Ouvert comme technique de facilitation en conviant son créateur Harrison Owen. Cela a marché de manière absolument incroyable, les participants ont pu aborder des sujets comme la frontière de 1967 ou la révision des manuels scolaires. Et le plus impressionnant pour moi fut le fait que Harrison Owen qui réalisait des Forums ouverts depuis 25 ans n’a pas pu aller jusqu’au bout de la session car le Comité d’organisation a prit peur, voyant les personnes prendre leur autonomie et se diriger vers une issue, ils ont décidé d’arrêter en plein milieu du processus.
Ce comité étant constitué de politiques, ministres, patrons d’organisations juives et musulmanes internationales qui avaient des motivations politiques. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand ils ont pris cette décision car je voyais combien ce qui se passait de magique était interrompu pour des raisons politiques. Cet événement a constitué un vrai moment de rupture et m’a fait déduire que le changement ne peut pas venir des acteurs politiques ayant des vues politiciennes et qui ne sont pas centrées sur les intérêts des citoyens. Ces personnes qui vont de congrès en congrès et de déclarations finales en déclarations finales ne veulent pas laisser la place aux personnes pour apporter des changements qui remettraient en question leur statut et leur place.
Ma tristesse venait aussi d’avoir été le témoin de la manière dont les personnes, Palestiniens et Israéliens, auxquelles on faisait confiance, fonctionnant en auto-organisation, que l’on laissait autonomes, choisissaient d’aborder les thèmesqui les touchaient profondément. Ils parvenaient à discuter. Le processus marchait !
Quand j’ai compris cela, j’ai alors cherché un autre terrain pour expérimenter ce qui m’animait.
Du conflit Israélo-Palestien au Mouvement Colibris
Plusieurs pistes se sont alors offertes dont créer un mouvement autour de ce qu’avait réalisé Pierre Rabhi et c’est comme cela qu’est né le Mouvement Colibris.
Et ce nouveau projet m’a beaucoup enthousiasmé car cela m’a permis de prendre un projet dès son origine d’autant que je me sentais très en affinité avec les propos de Pierre.
Je voulais créer un mouvement bottom-up (des citoyens vers le haut de la pyramide) et j’ai fait cela pendant sept ans et du coup j’ai pu utiliser le Forum Ouvert a de nombreuses occasions et avec des centaines de citoyens dans des dizaines de villes. En 2012, trente Forums Ouverts ont été organisés dans toute la France pour faire émerger une matière riche des citoyens qui a permis d’élaborer un programme politique à part entière.
Cela m’a permis de réaliser aussi d’autres projets impliquant l’art et l’écriture, notamment la co-production d’un film avec Coline Serreau Solutions locales pour un désordre global, la création d’une collection de livres chez Actes Sud et un magazine Kaizen.
En 2012, le burn-out : deuxième rupture
Et en 2012, j’ai vécu gros burn-out qui m’a laissé deux mois et demi totalement Hors Service. Il s’agissait du deuxième grand moment de remise en cause prise de mon fonctionnement. Ce fut l’occasion de s’interroger sur mes motivations et sur les modalités que je trouvais pour m’impliquer et pour faire changer les choses.
La première prise de conscience fois a eu lieu lorsque mon fils, Pablo, est né. Je travaillais toujours chez Hommes de Parole, j’ai eu une sorte de flash, cela m’a ramené au présent de manière extrêmement puissante. Tout d’abord, voir sortir un être humain d’un autre être humain, ma femme en l’occurrence, m’a produit un choc. Expérimenter dépasse toute connaissance. J’ai eu le sentiment d’être ramené à la condition de mammifère de manière très concrète.
Puis, m’occuper de lui, pendant les trois premières semaines, m’a donné l’impression qu’il n’était pas encore « arrivé » dans notre monde et cela me ramenait dans le présent comme si j’étais allé méditer des années dans un temple. Je le sentais hyperprésent, moi qui me décrit habituellement comme cérébral et projeté dans les projets et le futur. J’étais convoqué à vivre chaque seconde de présence avec mon fils dans les bras.
J’ai alors pris conscience du fait que j’étais dans une sorte de délire de vouloir « changer le monde », une sorte de frénésie de chevalier blanc. Lorsque je tenais mon enfant dans les bas, le plus important était peut-être ailleurs, et que pour changer le monde il existait peut-être une autre voie, plus concrète, plus intime.
Avec ce burn-out, je comprenais davantage pourquoi j’avais cette frénésie à vouloir réparer à l’extérieur quelque chose qui n’était pas réparé en moi.
J’ai alors pris le temps de guérir cette blessure intérieure car si je ne le faisais pas je risquais de continuer à enchaîner les projets à un rythme effréné et que cela pouvait assez mal finir.
Au cœur de soi, il y a un talent à révéler
J’ai pris beaucoup de temps pour approfondir ce que cela voulait dire ; j’ai repris une thérapie pour chercher quel était mon talent et comment j’allais mettre cela au service du monde, ceci à ma modeste mesure, bien entendu. Je conservais en moi une grande frustration, celle d’avoir délaissé ma passion pour l’art que je compensais en faisant projets sur projets.
J’avais donc besoin d’entrer dans plus de profondeur dans ce que je faisais et moins dans cette boulimie d’actions. J’ai pris conscience de mon besoin de relier création, quête des profondeurs et action dans et pour le monde.
J’ai alors demandé à cesser d’être directeur de Colibris et je me suis davantage consacré à la réalisation d’un film avec Mélanie Laurent. Je me suis recentré sur la publication de mes poèmes qui vont bientôt paraître à la Table Ronde, sur la collection chez Actes Sud et le magazine Kaizen.
J’ai alors retrouvé un espace de bonheur, d’énergie. Je ne suis plus enseveli par le fait de gérer une structure et je passe davantage avec mon intériorité. Je peux l’expérimenter au quotidien.
Tu illustres le titre du livre « Se changer pour changer le monde » ? (1)
CD : J’aurais pu d’abord m’écouter, mais nous n’avons pas été éduqués comme cela, et ce poids des conventions nous pèse. J’en suis arrivé à la conclusion que la seule façon de faire bouger le monde c‘est de faire ce qui nous passionne le plus dans la vie et d’aller vers qui nous sommes de la manière la plus profonde possible. Si nous ne le faisons pas nous prenons le risque de voir se reproduire des comportements de compensations de vides intérieurs : boulimie d’actions, consommer, partir en voyage tout le temps, essayer de dominer, volonté d’accaparer, etc.
Agitation à la place d’être ?
CD : Oui et il s’agit aussi de mécanismes de maltraitance à l’égard de soi, des autres ou de la planète. Je pense que nous avons tous cette soif d’absolu et c’est dans la réalisation de nous-même et dans la recherche de notre plénitude que nous apportons le plus au monde.
Je suis content de sortir de la maxime : « Il faut faire des choses pour la planète » et d’avoir compris que l’essentiel réside dans le fait de se réaliser soi-même et c’est alors que l’on est puissamment utile aux autres, en se remettant dans le flot de la vie.
Ce qui est le même principe que la médecine naturelle : il faut que le corps retrouve son équilibre pour être en bonne santé et pour cela il faut le réaligner.
Je reprends conscience que j’ai besoin de trouver ce point d’équilibre et me réaligner avec qui je suis afin ensuite de participer au développement d’une société en bonne santé.
Tes recettes :
Ecouter son talent, manifester sa créativité, écouter le besoin d’intériorité, réconcilier en soi les différentes facettes : pour moi, création et envie de changer le monde.
Tes moments et acteurs-clés :
Des rencontres avec Alain Michel et Pierre Rabhi et aussi ces personnes des deux congrès d’Hommes de Parole, aussi bien le dialogue entre les Palestiniens, les Israéliens que la réaction des politiques. Les moments de rupture : occasion de prise de conscience. L’importance de ta famille pour te relier au présent et te faire évoluer.
Qu’est-ce qui t’a particulièrement marqué ? Qu’as-tu trouvé inspirant ?
CD : Trois évènements. Le premier, c’est à l’occasion de mon départ du Mouvement Colibris, tous les témoignages reçus m’ont beaucoup ému. Toutes ces personnes qui m’ont dit combien cette structure leur avait apportés.
Noyé par l’activité, je n’avais jamais pris le temps de recevoir les feed-back des gens et j’ai été totalement bouleversé par ces témoignages. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps à plusieurs reprises. Bouleversé d’avoir entendu combien cela avait changé fondamentalement de choses dans leur vie, des trajectoires modifiées, les impacts dans la société ou sur leur manière de voir le monde. Ils mont aidé à voir l’ampleur que cela me prenait.
Ce qui faisait écho à ce qui me touche le plus dans les films. Ce qui me tire des larmes ce sont les personnes qui ont de la reconnaissance pour celles qui les ont enrichies, inspirées, touchées, aidées, comme à la fin du Cercle des Poètes disparus et même dans le Seigneur des Anneaux, lorsque toute l’assistance s’incline devant les Hobbits.
Tout d’un coup c’est à moi que cela arrivait.
J’ai pu me nourrir de cette expérience du fait qu’il s’agissait d’une réalisation où je suis parti de zéro. Je me souviens lorsque j’étais tout seul dans un bureau à enlever le faux plancher et à repeindre les murs. Aujourd’hui, c’est une organisation qui compte et fait la différence pour de nombreuses personnes.
Un deuxième moment, c’est lorsqu’un éditeur m’a dit qu’il était prêt à éditer de la poésie. J’écris depuis 17 ans, c’est donc quelque chose de très important pour moi et pour lequel j’avais énormément besoin de reconnaissance, que l’on me dise que mes écrits avaient de la valeur. D’autant plus la Table Ronde est une des maisons de Gallimard. Cela me rassurait dans ma facette d’artistes et du coup, de me sentir le droit de créer et d’être légitime pour le faire. Cela a apaisé quelque chose en moi et m’a permis d’aller vers d’autres projets.
Et le troisième événement c’est le film que nous élaborons avec Mélanie, qui est la réunification de tellement de choses, à la fois la créativité, la possibilité de changer le monde et la mobilisation des citoyens. En effet, nous construisons un dispositif pour changer les choses dans le monde en réalisant un livre, autour du film, en utilisant Internet et les réseaux sociaux par un hub reliant les sites qui rendent compte des initiatives pour montrer à quoi le monde pourrait ressembler demain et aider les communautés à se mobiliser.
De plus, cette aventure permet de matérialiser ce qu’il y a de plus puissant pour participer à changer la société, à savoir raconter une histoire et agir sur notre imaginaire. C’est la thèse de l’essai de Nancy Houston L’espèce fabulatrice (2) . Notre histoire est en fait le fruit de fictions car nous organisons les faits autour de fictions plus ou moins partagées.
C’est la raison pour laquelle si nous voulons changer le monde, nous avons besoin d’écrire des social fictions. Avec le film Demain nous projetons de raconter une nouvelle histoire sur comment le monde pourrait être demain. Et ceci en touchant les spectateurs, en les inspirant, les faire rire et rêver.
Quelle pourrait être la citation qui résumerait ta pensée ou qui est particulièrement importante à tes yeux ?
CD : Je choisis le haïku de Issa (3) :
Ce monde de rosée
Est un monde de rosée
Pourtant et pourtant
Dans « et pourtant », il y a tout, les guerres comme les fleurs et l’amour, tout est contenu dans ce « et pourtant » c’est la raison pour laquelle je l’aime tant.
Christine Marsan, Rédactrice UP’ Magazine
(1) http://www.amazon.fr/Se-changer-monde-Christophe-André/dp/2913366597
(2) http://www.amazon.fr/Lespèce-fabulatrice-Nancy-Huston/dp/2742791094/ref=lh_ni_t?ie=UTF8&psc=1&smid=A1X6FK5RDHNB96
(3) Kobayashi Issa – http://www.editions-verdier.fr/v3/oeuvre-haiku.html