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La crise du Covid-19 a-t-elle modifié la vision du monde et les aspirations des Français ?

La crise du Covid-19 a-t-elle modifié la vision du monde et les aspirations des Français ?

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L’épreuve du Covid-19, marquée par le confinement de la moitié de la population mondiale et l’arrêt de l’économie, n’a pas été seulement inédite dans l’histoire. Elle a été brutale et a fortement impacté tous nos modes de vie, y compris nos libertés les plus élémentaires. Que restera-t-il de cette période ? Aura-t-elle influencé notre vision du monde, nos aspirations et nos idéaux ? A-t-elle créé de nouveaux clivages dans nos sociétés mais aussi, peut-être de nouvelles utopies ? Pour y répondre, une grande enquête menée par l’Obsoco vient de rendre ses premiers résultats et dresse un tableau des Français en forme de triptyque.

Le cœur du dispositif de cette enquête, menée par l’Obsoco avec l’Ademe, a été de faire réagir les Français à trois modèles de société idéale, trois « systèmes utopiques » :  l’utopie écologique, l’utopie sécuritaire et l’utopie techno-libérale.
L’utopie écologique évoque une organisation de l’économie et de la société tendue vers l’équilibre et la sobriété. Répondant en premier lieu à l’impératif écologique, elle s’accompagne de modes de vie et de consommation que l’on pourrait résumer par la formule « moins mais mieux ».
L’utopie sécuritaire campe une société nostalgique d’un passé révolu, soucieuse de préserver son identité et sa singularité face aux influences étrangères, qu’elles viennent d’une mondialisation économique et institutionnelle ou de l’arrivée de nouvelles populations. Ici, clairement, la difficulté à se projeter dans l’avenir favorise la recherche d’idéaux dans un passé réinventé, un supposé âge d’or qui prend alors les traits d’une utopie.
L’utopie techno-libérale, enfin, qui, s’inscrivant dans une trajectoire hypermoderne, décrit une société dans laquelle prime les valeurs individualistes et la reconnaissance des droits individuels, bénéficiant d’une croissance forte (mais génératrice d’inégalités) grâce à la vigueur d’un progrès technique allant jusqu’à augmenter l’humain, dans une perspective transhumaniste.

Trois France pour trois utopies

Cette étude est une deuxième vague qui vient après une enquête menée en 2019. D’une année sur l’autre, les préférences des Français à l’égard des trois systèmes utopiques semblent à première vue remarquablement stables : 55% privilégient l’utopie écologique, 31% l’utopie sécuritaire et 14% l’utopie techno-libérale (pour respectivement 55%, 30% et 15% en 2019).

Pour autant, derrière cette apparente stabilité, l’analyse approfondie des résultats révèle des évolutions significatives et riches d’enseignements sur la façon dont les Français vivent, interprètent et s’approprient l’épisode sans précédent qu’est la crise sanitaire du COVID-19.

Au-delà des moyennes, si l’utopie écologique continue d’être le système utopique le mieux évalué par les Français, il bénéficie d’une progression de cinq points chez ceux qui l’évaluent « très favorablement », à 25%. Parallèlement, l’utopie sécuritaire gagne 3 points de supporters, avec 18% d’opinions très favorables.

Figure 1 : Répartition des détracteurs et des supporteurs des trois systèmes utopiques

Des évolutions significatives apparaissent également en termes de structure. La comparaison des profils des partisans de chacun des trois systèmes utopiques des deux vagues de l’enquête révèle que, sur de nombreux thèmes, la stabilité relative des moyennes dissimule des évolutions divergentes selon les différentes composantes de la population. Sur plusieurs thèmes, l’écart se creuse entre le haut de l’échelle sociale, et le bas ou le niveau intermédiaire.

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Par exemple, l’attraction pour l’utopie écologique progresse fortement parmi les catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+), passant de 57 % à 68 %, alors que celle des CSP intermédiaires a reculé de 61 % à 52 %, au profit principalement de l’utopie sécuritaire.

De même, l’attraction exercée par l’utopie écologique sur les plus jeunes, déjà forte, s’est encore renforcée : désormais, 72 % des 18-24 ans ont marqué leur préférence pour ce système utopique (61 % en 2019), au détriment de l’utopie sécuritaire (16 %, contre 22 % en 2019). Ce mouvement est partiellement contrebalancé par un certain recul de l’utopie écologique parmi les 65-70 ans, qui ne sont plus que 40 % à la désigner comme leur système utopique préféré (51 % en 2019), au profit des deux autres utopies.

Figure 2 : Répartition des systèmes utopiques préférés par tranches d’âge

Alors que l’aspiration à consommer moins mais mieux progresse chez les CSP+, elle diminue fortement chez les CSP-. De même, la progression de l’aspiration à travailler moins se concentre sur les répondants situés en haut de l’échelle sociale, alors que le mouvement inverse est observé parmi les CSP- et intermédiaires.

Une critique de la mondialisation

Le vécu de la crise sanitaire a renforcé la posture critique à l’égard de la mondialisation, très présente avant le confinement. Les orientations cosmopolites, déjà minoritaires, sont en recul et le rapport à « l’étranger » est empreint d’importantes réserves (y compris de la part de partisans de l’utopie écologique), l’aspiration à voir se réduire le flux d’entrée des immigrés progressant entre les deux vagues.

En 2019, 36 % des répondants acquiesçaient à la proposition « je suis favorable à l’établissement d’un gouvernement mondial associé à une citoyenneté planétaire ». Cette part s’établit désormais à 27 %, alors que celle des répondants en désaccord est passée de 42 % à 50 %. Ce mouvement se retrouve dans l’ensemble des tranches d’âge. Il est particulièrement sensible parmi les 18-24 ans où l’on passe d’un taux d’adhésion à l’idée d’une citoyenneté planétaire de 52 % à 40 %. Ce taux d’adhésion continue de reculer de manière monotone avec l’âge (10 % parmi les 65-70 ans). Le recul est également particulièrement marqué parmi les CSP-.

La vision d’une économie protégée de la concurrence internationale, qui se relocalise, est très largement partagée et enregistre une progression. L’approfondissement de cette logique de fermeture (qui fait d’ailleurs directement écho à la façon dont la crise sanitaire a été gérée en France comme ailleurs par la fermeture des frontières) trouve en outre son pendant dans l’appétence pour le local et la proximité, elle aussi déjà présente mais qui en sort renforcée.

Un rapport ambigu à la science et la technologie

La crise a, semble-t-il, exercé un effet ambigu sur le rapport des Français à la science et la technologie, et par là, aux experts. Le rejet, déjà très fort, de la rencontre de la technologie et du vivant, des perspectives transhumanistes relatives à « l’homme augmenté », s’est encore accentué et constitue un élément de consensus au sein de la société française. Mais parallèlement, l’idée de l’importance du soutien qu’il convient d’apporter au développement de la science et de la technologie, notamment afin d’assurer une plus grande indépendance au pays par rapport à l’étranger, réunit une part importante et croissante des personnes interrogées. Il y a là probablement les conséquences à la fois de la prise de conscience de l’importance de la recherche face au risque majeur que constitue une pandémie et de la dépendance du pays sur ce plan à l’égard de l’étranger.

La part des Français se disant confiants dans la capacité de la science et de la technologie à faire face aux problèmes environnementaux progresse de 6 points et devient ainsi majoritaire. L’exposition médiatique dont ont bénéficié les chercheurs durant la crise, le rôle que le conseil scientifique a joué dans les décisions prises par le Gouvernement contribuent très probablement à la progression des aspirations à voir la compétence et l’expertise jouer un rôle plus important dans l’organisation de la vie politique.

A contrario, on observe un net recul des visions d’un système politique idéal reposant sur des élus non professionnels de la politique ou sur des citoyens tirés au sort. Pour autant, l’aspiration à voir les citoyens davantage impliqués dans la prise de décision, via le recours au référendum, demeure très forte.

Une prise de recul sur le travail

La situation de confinement dans laquelle s’est retrouvée une large fraction des actifs a pu constituer une période propice à une réflexion sur sa situation professionnelle, à la place qu’occupe le travail dans l’existence.

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Les écarts relatifs à la durée hebdomadaire du travail idéale se sont creusés, alors que progressent la part des actifs désireux de travailler plus mais aussi celle de ceux qui aspirent à travailler moins de 35 heures. Ces derniers sont aujourd’hui plus nombreux (un sur deux) à déclarer être prêts à accepter une baisse de revenu en contrepartie.

Le temps passé avec ses proches et la pratique du faire soi-même demeurent des aspirations fortes en matière d’usage du temps libéré, avant les vacances et l’exercice de ses passions. Cette appétence pour l’intensification des relations avec ses proches est confirmée par la priorité qui est donnée à la proximité de la famille et des amis dans la définition du cadre de vie idéal, qui marque une progression par rapport à la situation avant crise.

Une vie en harmonie avec la nature

Le niveau de préoccupation à l’égard des enjeux environnementaux, initialement déjà très élevé, n’a pas progressé significativement à la faveur de la crise sanitaire. On observe même une baisse importante, parmi les personnes déclarant vouloir consommer mieux, de la modalité consistant à acheter des produits respectueux de l’environnement, au profit de bénéfices plus directement autocentrés (des produits utiles, des produits qui durent), et de la consommation de produits locaux.

Toutefois, le rapport à la nature a marqué des points pendant cette période de confinement.

Figure 3 : « Pour vous personnellement, qu’est-ce qui résume le mieux une vie réussie ? »

Les enquêteurs ont posé une question sur la « conception d’une vie réussie ». Les choix des répondants parmi les items qui leur étaient proposés demeurent plutôt dispersés. « L’épanouissement personnel, la réalisation de soi » se classe toujours en première position, mais perd 3 points sur le cumul du premier et du second choix. « L’aisance financière, le confort matériel » conserve sa deuxième, mais perd également 2 points.

Si la préférence pour l’aisance financière semble indépendante de l’âge, celle relative à l’épanouissement est particulièrement marquée parmi les moins de 35 ans (autour de 45 %, et seulement 22 % chez les 65-70 ans). La combinaison de ces facteurs sociodémographiques explique sans doute pourquoi l’épanouissement personnel est davantage mis en avant (à près de 45 %) par les habitants des centres villes des 12 plus grandes métropoles. Sur le plan politique, l’épanouissement personnel est valorisé par près d’un répondant sur deux se disant proche des mouvements écologistes, contre, par exemple 31 % pour ceux qui se classent « très à droite ». L’inverse est observé concernant l’aisance matérielle.

« La réussite sociétale » est elle aussi en recul de 2 points. Ce sont donc les approches matérialistes de la vie qui semblent avoir légèrement marqué le pas à l’occasion de la crise sanitaire.

La plus forte progression porte sur « une vie en harmonie avec la nature », qui gagne 5 points, à 20 % en cumul des deux choix. Cette progression se concentre dans les tranches d’âge intermédiaires, alors que la part des 18-25 ans ayant retenu cet item est tombée de 9 % à 7 %. La progression est également très marquée parmi les habitants des communes rurales et des communes très peu denses. On retiendra également une légère progression de « l’engagement pour une cause » et de « la multiplication des rencontres, l’enrichissement des relations aux autres ».

Ce qui est indispensable et ce qui ne l’est pas

Pour compléter leur approche, les enquêteurs ont également introduit dans leur questionnaire deux questions ouvertes, directement – mais librement – inspirées des pistes de réflexion lancées par Bruno Latour dans un article paru le 30 mars dernier dans la revue en ligne AOC, invitant les lecteurs à dresser un petit inventaire des activités qu’ils aimeraient voir reprendre à l’identique, se développer ou au contraire ralenties ou stoppées.

En tête des activités qui ne leur semblent pas indispensables pour le pays et la société : les industries et mobilités polluantes – notamment le transport aérien – puis les délocalisations. Une part importante de répondants remet également en cause notre modèle de développement avec l’appel à diminuer fortement, voire à arrêter la production de masse/intensive et la consommation de masse.

Figure 4 : Quelles sont les activités (économiques, de service public, associatives…) qu’il faudrait cesser ou ralentir considérablement, qui ne vous semblent pas indispensables pour le pays et la société, voire qui sont nuisibles ?

S’agissant des activités dont ils souhaiteraient qu’elles reprennent, se développent ou qui devraient être inventées dans un « monde d’après », les suggestions qui reviennent le plus fréquemment renvoient à la relocalisation des activités économiques, au renforcement des services publics et à la solidarité et l’entraide. Sur ce dernier point, à la lecture des contributions, ce sont surtout les solidarités à destination des plus proches (ses voisins), des plus diminués, âgés ou encore des personnels hospitaliers qui s’expriment. On trouve également une déclinaison économique de cette dimension autour du soutien aux petits commerces, aux circuits courts et au bio.

Figure 5 : Quelles sont les activités (économiques, de service public, associatives…) dont vous souhaiteriez qu’elles reprennent / se développent ou qui devraient être inventées dans ce « monde d’après » ?

En conclusion, l’épisode que nous traversons semble avoir consolidé un socle consensuel autour du désir de nous diriger vers une société associée à une organisation de la vie économique et à des modes de vie et de consommation plus compatibles avec les défis environnementaux, reposant sur une plus grande maîtrise des relations avec l’étranger et la valorisation du local et de la proximité.
Un des résultats forts de la vague de 2019 de l’enquête demeure d’actualité : au-delà de la prise de conscience de la nécessité de réagir à l’urgence climatique, c’est bien une volonté de refonte en profondeur des bases de l’organisation économique et politique de la société qui est attendue et, sans doute plus encore, un désir de tendre vers des modes de vie qui, par l’intensification des relations sociales, l’ancrage territorial, la réalisation personnelle et la conquête d’une plus grande autonomie notamment au moyen du « faire », contribuent à une nouvelle définition du bien-être. Il n’en demeure pas moins que des lignes de fracture perdurent, voire s’amplifient dans les aspirations des Français (notamment dans le rapport à l’altérité ou à la consommation) et que, au-delà des idéaux, les différentes composantes de la société se trouvent exposées à des systèmes de contraintes différenciés. Dépasser ces aspirations divergentes représente de véritables défis à relever tant dans l’hypothèse d’un maintien du statu quo que dans celle de l’amorce de trajectoires de transformation conformes aux aspirations exprimées.

 

Méthodologie. L’Observatoire des perspectives utopiques s’appuie sur une enquête en ligne conduite sur le panel de Respondi, entre le 6 et le 13 mai 2020, auprès d’un échantillon de 1888 personnes représentatif de la population de France métropolitaine âgée de 18 à 70 ans. Cette étude est une reconduction partielle de l’Observatoire des perspectives utopiques publié en 2019 avec le soutien de l’ADEME, de BPI-France et de la Chaire ESCP-E.Leclerc – BearingPoint. Afin de faciliter les comparaisons, les questions, leur présentation dans le questionnaire et l’échantillonnage ont été reproduits à l’identique. Ainsi, dans l’objectif de garantir une représentativité fine, les données ont été redressées à partir de l’ensemble des critères ayant servi de quotas.

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