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L’épargne contribue-t-elle à la restauration de la biodiversité ?

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De nombreux rapports scientifiques alertent sur la perte vertigineuse de biodiversité que connait la planète depuis plusieurs décennies. La diversité de mammifères, oiseaux, reptiles, ou amphibiens a par exemple baissé de 60% au cours des quarante dernières années. Pour tenter d’enrayer l’érosion de la biodiversité, en 2021, plus de cent pays ont adopté la Déclaration de Kunming pendant la COP15. Cette déclaration appelle notamment à mobiliser des ressources et à aligner les flux financiers pour la préservation de la biodiversité. Le monde de la finance a, semble-t-il, répondu à cet appel et de plus en plus de fonds « biodiversité » ont été lancés au cours des dernières années. Alors que ces fonds disent prendre en considération la biodiversité, il reste à savoir, pour un épargnant, si investir dans ces fonds contribue réellement à la restauration et préservation de la biodiversité.

La perte de biodiversité met en péril de nombreux écosystèmes qui fournissent des biens et services cruciaux aux populations (apports de fibres, nutriments, eau et protéines, chauffage, protection contre les inondations et sécheresses, médecine naturelle, molécules pour la fabrication de médicaments). D’après la Banque Mondiale, plus de 50 % du PIB mondial dépend des ressources naturelles.

Cette tribune propose quelques éléments de réflexion sur le sujet. Pour analyser la contribution de différentes stratégies d’investissement à la préservation de la biodiversité, il convient de se poser une double question : 1) Ont-elles des effets réels sur les entreprises et leurs activités ? 2) Comment mesurer la restauration ou la préservation de biodiversité permise par l’investissement ?

Avant d’approfondir notre propos, notons que la thématique biodiversité peut recouvrir des fonds bien différents. Un fond cherchant à maximiser le couple rendement-risque de son portefeuille traitera la biodiversité principalement comme un risque (physique ou de transition) auquel ses titres sont exposés. Un fond prétendant avoir un impact réel sur la biodiversité devrait, de son côté, cherchera à activement contribuer à sa restauration, possiblement au détriment du couple rendement-risque. La notion d’impact est un élément de différenciation important entre les fonds, et devrait être une boussole pour des épargnants désireux de voir leurs placements jouer un rôle actif dans la préservation de la biodiversité.

Une stratégie d’investissement commune consiste à exclure les entreprises à forte empreinte sur la biodiversité des portefeuilles actions/obligations. Cette approche a le mérite d’assurer à l’épargnant que son argent est investi dans des entreprises davantage respectueuses de la biodiversité. Cependant, cela ne signifie pas que l’épargnant contribue, à travers son investissement, à limiter l’érosion de la biodiversité. Il s’agit simplement d’un effet de sélection : lors de la formation du portefeuille, le fond sélectionne des entreprises vertueuses mais ne cherche pas activement à améliorer l’état de la biodiversité dans le monde. La littérature académique montre que les fonds ESG sélectionnent des entreprises vertueuses mais n’ont en moyenne pas d’influence sur le comportement de ces entreprises et ne contribuent ainsi donc pas à améliorer leur impact environnemental et social [1].

Il n’est pas non plus évident que cette stratégie d’investissement permette de diminuer l’empreinte sur la biodiversité des entreprises exclues. Les titres des entreprises exclues sont simplement détenus par d’autres investisseurs, moins soucieux de la préservation de la biodiversité. Les entreprises exclues existent toujours et leurs activités continuent de peser négativement sur la biodiversité. A noter que revendre des actions sur le marché secondaire ne revient pas à priver son émetteur de financement puisque l’émetteur, lors de l’émission des actions/obligations sur le marché primaire, a déjà reçu du financement qui a pu être utilisé pour investir dans des activités (potentiellement nocives pour la biodiversité).

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Les stratégies d’exclusion pourraient, en théorie, produire des effets bénéfiques sur la biodiversité mais sous plusieurs conditions. Si de plus en plus d’investisseurs refusent d’investir dans les actions des entreprises à forte empreinte sur la biodiversité, leur coût du capital peut augmenter, et le financement de leurs projets futurs deviendra alors plus coûteux, ce qui restreindra leurs activités (et donc leur impact sur la biodiversité). Ce mécanisme suppose néanmoins qu’une masse critique d’investisseurs soient prêts à « boycotter » les entreprises ayant une forte empreinte sur la biodiversité. Dans le cas du changement climatique, pour lequel la prise de conscience des investisseurs est plus ancienne et davantage développée, il n’est pas établi empiriquement que l’exclusion ait contribué à renchérir le coût du capital des entreprises les moins vertes [2]. La réussite du mécanisme d’exclusion suppose également que les entreprises ne puissent pas trouver des sources de financement alternatif, notamment des financements bancaires. Or, de nombreuses banques continuent à financer les entreprises pétrolières et celles avec de fortes émissions de gaz à effet de serre [3].

Une autre option consiste à ne pas discriminer les entreprises détenues en portefeuille mais à mettre en place des stratégies d’engagement auprès des entreprises à forte empreinte sur la biodiversité afin de réduire cette dernière. L’engagement peut prendre différentes formes : discuter avec les dirigeants d’entreprises, soutenir des résolutions pour la préservation de la biodiversité, initier ou participer à des coalitions d’investisseurs soumettant de telles résolutions ou poussant les entreprises à limiter leur impact sur la biodiversité. En ce sens, plusieurs investisseurs ont pris part à Action Nature 100, une initiative mondiale cherchant à répondre à la perte de biodiversité dans le monde. S’il est facile d’observer les fonds engagés pour la préservation de la biodiversité à travers le comportement de votes, le soutien à des propositions « biodiversité » n’offre pas de garantie d’impact, d’autant que ces propositions restent assez rares pour le moment. De manière plus générale, la réussite de stratégies d’engagement et les effets réels qu’elles pourraient produire pour la biodiversité ne peuvent être observés que sur le moyen ou long terme.

Pour les fonds cherchant à générer un effet réel sur la biodiversité, les financements fléchés présentent des avantages certains. Cela peut se traduire par le financement direct de projets d’entreprises ayant pour but de réduire leur empreinte sur la biodiversité (ex. réduction des pollutions des eaux et de l’air, de l’intensité d’utilisation des sols, minimiser les changements provoqués par les processus de production sur les milieux naturels environnants). Théoriquement, les obligations vertes fléchées vers des projets de préservation/restauration de la biodiversité permettent cela. Si la demande est forte pour de telles obligations, elles peuvent même financer, à de meilleures conditions, des projets favorisant la biodiversité, les rendant ainsi plus viables économiquement. Cependant, le marché pour de telles obligations peine à se développer, notamment du fait du manque de projets spécifiques à la nature, de savoir-faire, et d’indicateurs pertinents de restauration/préservation de la biodiversité à l’échelle d’un projet.
Il est aussi possible, via le capital investissement, de financer directement des jeunes pousses non cotées, qui développent des solutions technologiques (ex. amélioration de la gestion des ressources naturelles, technologies agro-agricoles, modèles de croissance alternatifs). Ce type d’investissement est plus risqué et moins liquide qu’un portefeuille d’actions/obligations mais apporte plus directement des financements à des pourvoyeurs de solutions vertes.

Quelle que soit la stratégie retenue, la question de la mesure est centrale pour déterminer la réduction de l’empreinte sur la biodiversité des entreprises en portefeuille. Ici, la notion d’effort nous semble importante pour garantir un impact sur la biodiversité. L’idée est de parvenir à chiffrer l’amélioration de la biodiversité qui découle de la mise en place de plans d’actions de la part des entreprises. Alors que l’empreinte totale d’une entreprise sur la biodiversité dépend pour partie de sa taille et de ses secteurs d’activités, dont elle hérite passivement, l’effort de transformation des processus industriels et des technologies utilisées est à sa discrétion et demande une politique active.

Pour garantir un impact réel sur la biodiversité, résultant d’un effort de la part des entreprises en portefeuille pour améliorer leur empreinte, nous formulons les recommandations suivantes :
1) Se concentrer sur l’impact local des activités des entreprises sur la perte la biodiversité car les causes et conséquences, notamment pour les populations dépendant des écosystèmes, sont locales. Cela encourage une réduction de l’empreinte des activités directes, dont l’entreprise a le contrôle (Scope 1).
2) Mesurer spécifiquement la contribution d’une activité à un écosystème donné (température de l’eau, % espèces restaurées, changement du taux de pesticides), sur site, avant et après la mise en place d’un plan d’actions pour améliorer l’empreinte de cette activité sur la biodiversité.
3) Pour qu’il y ait impact, la notion d’effort est importante. Si les activités de l’entreprise demeurent dans le business as usual une fois la biodiversité prise en compte, notamment pour une entreprise à forte empreinte, cela signifie que le changement est cosmétique.
4) La réduction de l’empreinte par compensation n’est pas souhaitable notamment lorsqu’un dégât local sur un écosystème donné est compensé par la restauration de la biodiversité dans un autre pays et pour un autre écosystème. Par exemple, il n’est pas possible de compenser l’extinction d’une espèce animale ou végétale donnée.
5) Démontrer que la réduction de l’empreinte est bien causée par le financement et donc par le choix du véhicule d’investissement choisi par l’épargnant. L’idée est d’éviter qu’un fond s’attribue une amélioration de la biodiversité qui serait advenue sans sa participation.

A l’échelle de leur portefeuille, les fonds font face à un besoin d’agrégation des impacts sur la biodiversité qui découlent des mesures prises par les entreprises. L’agrégation peut se faire par écosystème, ce qui permet de garder une information compréhensible et comparable. Les fonds thématiques (eau, océan, utilisations des sols, lutte contre la désertisation, agriculture durable) peuvent typiquement utiliser ce genre de métrique. Pour les autres fonds, lorsque l’agrégation peut se faire via l’utilisation d’une métrique commune convertissant les effets sur les différents écosystèmes en pourcentage de biodiversité restaurée (par exemple MSA ou PDF), l’information devient moins lisible mais permet d’avoir une idée de la magnitude de la contribution au changement d’état général de la biodiversité.

Des épargnants désireux d’améliorer l’état de la planète, qui sont informés des stratégies d’investissement des fonds et au fait de la nécessité d’examiner leurs effets réels sur la biodiversité, réduiront le champ des possibles pour les fonds qui disent prendre en compte la biodiversité.

Alexandre Garel, Finance Researcher chez Audencia Business School – Corporate Finance / ESG / Climate Finance / Biodiversity

[1] Voir les articles : Heath et al. (2023) et Atta-Darkua et al. (2023)
[2] Voir par exemple : Eskildsen et al. (2024), Berk et Van Binsbergen (2024)
[3]Voir par exemple : Giannetti et al. (2024), Sastry et al. (2024), Benincasa et al. (2024), ou encore https://www.bankingonclimatechaos.org/

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