La catastrophe du Covid 19, par son ampleur et sa vitesse, doit nous obliger à repenser nos sociétés. Comme après chaque événement bouleversant, une remise en cause profonde de nos fondamentaux sociaux, de nos échelles de valeurs et de notre mode de production se pose. Aujourd’hui, cette crise sanitaire doit nous convaincre qu’un autre monde est possible et que celui-ci devra impérativement être plus écologique, plus démocratique, plus solidaire.
Nous constatons que la comptabilité actuelle est aveugle à la destruction des capitaux naturels et sociaux qui constituent nos conditions d’existence ou biens communs (santé, eau, sols, air…). Pour maintenir l’habitabilité de la terre – non négociable – et la résilience des « facteurs de richesse » que sont les écosystèmes vivants, nous avons besoin d’un cadre comptable nouveau.
Les limites planétaires et biologiques nous obligent à affronter les causes de la destruction des ressources et des conditions d’existence et à y apporter des solutions concrètes et opérationnelles. Pourquoi nos activités humaines en arrivent-elles à hypothéquer l’habitabilité de la Terre ? L’économie est construite sur un ensemble de conventions comptables dont la définition et la négociation restent l’apanage de petits groupes d’experts, éloignés du débat public. Pourtant, ces dernières définissent les catégories, les concepts et les modes d’évaluation par lesquels nous appréhendons le monde et représentons les valeurs que notre société cherche à créer. Or les biens communs (air, eau, sols, biodiversité) et les milieux de vie ne sont pas pris en compte dans nos comptabilités ! Si une entreprise détériore un écosystème, une forêt, une rivière ou si elle participe à leur régénération, rien ne fera la différence dans le bilan comptable. Tout se passe comme si les supports de notre survie étaient négligés, exclus des systèmes d’information chargés de renseigner sur les activités humaines.
Il s’agit d’intégrer dans les comptes des organisations l’amortissement des milieux vivants et des communautés humaines utilisés ou dégradés pour produire.
Cette évolution comptable est nécessaire pour une « prise en compte » véritable par les entreprises des dimensions socio-environnementales de leur production. Elle doit s’articuler avec la comptabilité classique dans une logique de triple bottom line (John Elkington). Ainsi la dernière ligne (bottom line) regardée par les actionnaires ne serait plus seulement celle du compte de résultat économique mais aussi celles des comptes de résultats environnemental et social.
Ce nouveau cadre est à même de revoir les notions de performance (pas de performance financière sans performance écologique et sociale), d’externalités (considérer les coûts de maintien des milieux vivants comme des dettes, intégrées aux charges), de raison d’être (valorisation des contributions de l’entreprise à l’entretien des biens communs).
Ce cadre auquel travaillent nombre d’organisations européennes (dans le contexte du Green Deal, de la taxonomie verte…) mais aussi française (ANC, AMF, le réseau 10% pour tout changer, la Chaire Comptabilité écologique, l’Alliance ComptaRegeneration2020… ) s’impose comme mutation structurante. Il nécessite des évolutions fiscales, une reconsidération de l’extrafinancier et des indicateurs pertinents, normés et fiables.
- LIRE DANS UP’ : Pas de transition écologique sans transformation comptable !
Ce chantier est essentiel pour remettre l’économie sous contrainte politique et sociale, considérant la réalité de nos activités toujours dépendantes de la biosphère, comme l’atteste l’effet d’un simple virus.
Il restitue une cohérence dans la gouvernance des organisations, rendues capables de percevoir les risques de destruction de leurs propres ressources. En conséquence, et cela intéresse le contexte actuel de crise sanitaire, nombre de délocalisations vont s’avérer non rentables.
Source : Contribution au Forum Le Jour d’après, en ligne, par 50 parlementaires le 4 avril