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Les communs, pour un autre futur du travail

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« Rien ne sera plus comme avant. » Cette phrase, elle résonne dans le web depuis quelques semaines. Avec le confinement, un raz-de-marée d’interrogations sur le monde de demain déferle sur nos écrans. Et le futur du travail occupe une place centrale dans ce questionnement (ex. ici et ). En fait, ce « rien ne sera plus comme avant » n’est pas tant une question qu’une affirmation. Affirmation où l’on perçoit à la fois un profond malaise et le souhait d’un avenir un peu meilleur. Et si on pouvait construire un autre futur du travail, grâce aux communs ?

Un « système travail » trop vulnérable

Passons sur l’absurdité des débats du genre « Est-ce qu’on se fera encore la bise au bureau demain ? » (à quoi l’expert invité sur le plateau télé répond évidemment « Eh bien non, rien ne sera plus comme avant… »). Ce qui est en jeu ici, c’est la vulnérabilité du « système travail » dans son ensemble.
D’abord, vulnérabilité de notre division du travail, dans un système économique mondialisé. L’éclatement des chaînes d’approvisionnement et l’interdépendance généralisée des activités rendent le travail tributaire de chocs lointains. Lorsque le système se grippe, tous les travailleurs en souffrent, alors qu’un système moins interconnecté serait plus résilient à l’échelle locale.
Ensuite, vulnérabilité de l’écosystème dans lequel se déploient les activités humaines. Le danger du virus est une piqûre de rappel sur l’urgence climatique : dans le système Terre, les fruits du travail humain dépendent du monde non-humain. Le modèle d’organisation du travail hérité du passé a comme corollaire la domination de la nature et l’exploitation extensive des ressources énergétiques. Quel corollaire aura celui du futur ?

Last but not least, précarité d’une part croissante des travailleurs qui font fonctionner le système. Santé, production et distribution alimentaire, entretien des infrastructures… Que dire d’un monde où les personnes qui prennent soin de la collectivité sont moins bien rémunérées pour leur travail, tout en mettant davantage leur santé en danger que les autres ?

Ce « rien ne sera plus comme avant » résonne comme un « rien ne doit plus être comme avant ». Et si nous ne nous mettons pas à transformer notre organisation du travail, face aux crises à répétition qu’engendrera le bouleversement climatique, nous devrons nous contenter d’un « rien n’a changé » (qui se marie très bien avec l’amertume d’un petit « c’était mieux avant »).

Quel futur du travail pour répondre au défi climatique ?

C’est donc d’un système plus résilient et plus raisonné dont nous avons besoin. Un monde où le travail sert à réparer et prendre soin du monde plutôt qu’à l’exploiter et le dominer. Où les flux économiques et financiers se reconnectent à la réalité des territoires et des écosystèmes. Et quel que soit le futur qui adviendra, les organisations du travail (entreprises, associations, coopératives, administrations…) auront joué un rôle central. Soit à cause de l’inertie du business as usual, soit grâce à une transformation profonde de leur propre rapport au travail.

Mais par où commencer ? Le point Godwin de toute discussion sur la transformation du monde, c’est le débat « État versus marché ». D’un côté, l’autorité de l’État, qui peut imposer de nouvelles règles du jeu. De l’autre, les mécanismes du marché et de la libre concurrence qui permettraient d’apporter des solutions innovantes. Le problème de cet éternel débat entre socialisme et libéralisme, c’est qu’il reste trop souvent prisonnier d’une perspective productiviste et abstraite. Alors qu’une autre voie s’offre déjà au monde du travail : celle des communs.

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La protection des biens communs, nouvelle raison d’être du travail ?

Si votre travail contribuait à protéger la planète, aurait-il plus de sens à vos yeux ? Les biens communs sont l’objet de recherches qui ont valu à Elinor Ostrom le prix Nobel d’économie en 2009.

Qu’est-ce que les biens communs ?
Deux caractéristiques les distinguent des autres types de biens : 1) il est difficile d’en interdire l’accès (c’est le problème dit « du passager clandestin »), et 2) ils sont exposés à un risque de surexploitation en tant que ressources limitées.

Gouvernance des biens communs : l’échec du marché et de l’État

Or, pour Ostrom, les biens communs peuvent être gérés efficacement grâce à une gouvernance collective des usagers. Son génie fut d’ouvrir une troisième voie dans le débat qui opposait les partisans d’une gestion publique des biens communs par un Etat tout-puissant, et les défenseurs du marché et de la propriété privée comme meilleur moyen de réguler l’usage d’une ressource : la gouvernance locale et collective.

Facteurs clés de succès

Le premier terrain de recherche d’Elinor Ostrom fut le village suisse de Törbel, où l’eau est une ressource rare. Le système d’irrigation y est géré par la communauté locale depuis plus de 500 ans.

Par ailleurs, en étudiant divers exemples de communs comme les forêts ou les réserves d’eau en Amérique, en Asie, en Afrique et en Europe, Ostrom identifie les facteurs clés du succès de la gouvernance des communs. Au premier chef desquels se trouve l’existence d’une communauté d’individus engagés à participer à cette gouvernance. C’est cette participation à la communauté qui crée l’obligation mutuelle nécessaire au respect des règles définies par le collectif : règles d’usage, d’arbitrage des conflits, d’application des sanctions… Ce qui représente beaucoup de travail.

Car enfin, qui niera que cette participation active des individus à la gouvernance des biens communs mérite bien le nom de travail au sens le plus noble du terme ? Il ne s’agit pas ici de dire que la participation à la gouvernance des communs doit se substituer au modèle du salariat grâce à un revenu universel. Mais il s’agit d’envisager cette éventualité : et si nous nous donnions les moyens (le temps) de travailler à la protection des biens communs ?

Le Commun comme futur de l’organisation du travail

Vous aurez peut-être noté que les facteurs clés de succès identifiés par Ostrom sont aussi des principes d’organisation. Ces principes, on les retrouve aux marges du monde du travail : chez les hackers et dans le logiciel libre, dans les tiers-lieux et dans certaines entreprises « horizontales ». Au-delà des biens communs, il y a donc un principe DU Commun qui laisse entrevoir d’autres organisations du travail possibles.

Web et communs, pour un autre futur du travail

Commençons avec le numérique. Au cas où vous ne le sauriez pas, la quasi-totalité du Web fonctionne grâce aux systèmes d’exploitation Linux. Sans ce monument du logiciel libre, notre expérience du web se réduirait à néant, comparé aux possibilités qu’il nous offre aujourd’hui. La plus grande encyclopédie de l’histoire ? Wikipédia, dont le code est libre et les contenus sous licence Creative Commons. WordPress, que nous utilisons pour créer des blogs ? Aussi sous licence libre, et il permet de gérer un tiers des sites web de la planète. Tous ces projets sous licence libre (« Copyleft ») sont des Communs numériques. N’importe qui a le droit de les utiliser, les étudier, les modifier et les distribuer à condition de ne pas dénier ces mêmes droits à ses propres utilisateurs.

Et devinez quoi ? Une immense partie du travail nécessaire à la construction de ces communs n’entre absolument pas dans les cases du monde du travail qu’on connait. Leurs contributeurs sont souvent bénévoles. Ils habitent sur des continents différents. Ils ne sont pas subordonnés à l’autorité d’un patron. Ce n’est pas l’appât du gain qui les amène à contribuer, mais une éthique de la liberté et de l’égalité (ça vous rappelle quelque chose ?), souvent avec un engagement fort pour l’empowerment des utilisateurs et la protection de la vie privée.

Les communs, face cachée de l’iceberg numérique

Territoires et communs, pour un autre futur du travail

Deuxièmement, les tiers-lieux. Fablabs, espaces de coworking ruraux, medialabs, recycleries, repair cafés sont autant de manières alternatives d’organiser le travail sur un territoire.

Les Grands Voisins, le plus grand tiers-lieu parisien – Photo : Fred Romero

Les membres de la communauté sont souvent des freelance, des indépendants, des TPE, des bénévoles et de plus en plus des salariés. Le véhicule juridique du tiers-lieu, lorsqu’il en a un, est l’association, la coopérative, voire la collectivité locale ou même la société anonyme traditionnelle.

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Le Numerifab, un fablab rural à Bras-sur-Meuse – Crédit photo : Numerifab

Mais ce qui est frappant, c’est que les principes de gouvernance des tiers-lieux (définition collective des règles) sont exactement les mêmes que ceux que relève Elinor Ostrom dans ses travaux au sujet des biens communs.   

Entreprise et communs, pour un autre futur du travail

Enfin, l’entreprise. Rappelons d’abord que l’entreprise en elle-même n’a aucune existence juridique, contrairement à la société (anonyme, coopérative, etc.). Une société anonyme est propriétaire de ses actifs. Mais quid de l’organisation du travail ? De la culture d’entreprise ? Quid des relations entre les salariés ? Des règles managériales ? Les entreprises libérées, holacraties, sociocraties, Teal organizations et autres organisations responsabilisantes tentent de prendre acte de l’inappropriabilité de l’entreprise pour mettre en place une gouvernance partagée de l’organisation du travail elle-même. Si la société relève de la propriété privée, l’entreprise en tant que projet collectif et en tant qu’organisation peut, elle, relever du Commun. Notons toutefois que le modèle des SCOP (et autres coopératives) semble plus prometteur que celui des entreprises libérées. Pourquoi ? Parce que le principe de gouvernance partagée est alors inscrit dans l’ADN même de l’entreprise (son statut juridique et sa structure économique). Avec la structure capitalistique de la société anonyme traditionnelle, le risque augmente de voir la gouvernance collective subordonnée au seul impératif du profit.

Conclusion

Le travail joue un rôle hyperstructurant dans notre modèle de société. Notre organisation du travail actuelle est à la fois un moteur de la modernité et une des causes de notre vulnérabilité. La chance qui s’offre à nous, c’est que cette vulnérabilité peut servir de déclic pour trouver l’élan d’humanité qui nous aidera à dépasser ce dilemme. Les communs nous offrent une potentielle voie de sortie. À la fois infrastructure vitale de notre monde et « agir commun », ils nous aident à construire des écosystèmes productifs plus sains. Pour paraphraser deux auteurs emblématiques de la pensée des communs, « le commun, c’est l’inappropriable » (1).

Les communs peuvent nous aider à construire un autre futur du travail, mais il y a encore beaucoup à faire. Quel que soit votre métier et votre niveau de qualification, ce ne sont pas les chantiers qui manquent pour organiser une véritable transition dans le monde du travail.

Grégoire Epitalon, Co-fondateur de libertalia.work

(1) « Le commun, c’est l’inappropriable », de Pierre Dardot et Christian Laval – « Commun, Essai sur la Révolution au XXIe siècle » – Edition La Découverte, 2014

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