Nous commençons à le comprendre de plus en plus : les algorithmes envahissent par pans entiers notre vie quotidienne. Le scandale qui agite l’industrie automobile à travers l’affaire Volkswagen est un des symptômes de cette invasion des boîtes noires dans notre environnement. L’affaire VW met crûment en lumière les mutations auxquelles obéit l’un des objets industriels les plus répandus : l’automobile.
Savez-vous qu’une voiture moderne est pilotée par un ensemble de logiciels et d’applications représentant plusieurs centaines de milliers de lignes de code. A titre de comparaison, une berline de moyenne gamme comporte un volume de lignes de codes informatiques représentant la moitié des lignes de codes que l’on retrouve sur des avions comme le Boeing 787, soit environ 10 millions de lignes. Les prochains modèles de voitures autonomes devaient, selon Jacques Aschenbroich, le patron de Valeo interrogé par le Figaro, en posséder plus de 300 millions. Pour rappel, votre smartphone dernier cri Android en contient au maximum 12 millions. La voiture est donc devenue un méga ordinateur roulant.
Des boîtes noires inviolables
D’ailleurs, aujourd’hui, inutile d’essayer de réparer soi-même son bolide et de mettre les mains dans le moteur. La prédominance de l’électronique sous les capots impose de passer par des réparateurs agréés de la marque, devenus plus ingénieurs électroniciens que mécanos. Pis, si armé d’une clé de 12 vous tentez de le faire, vous risquez de vous voir condamner pour atteinte au copyright et à la propriété intellectuelle des codes ! C’est ce qui est arrivé récemment aux Etats-Unis selon les révélations du magazine Wired. La pénétration des algorithmes dans les moteurs de nos chères bagnoles s’accompagne d’enjeux commerciaux, stratégiques et financiers colossaux. Leur dénominateur commun : rendre le consommateur toujours plus dépendant de la marque.
Soit, c’est la rançon du progrès dira-t-on. Nous voulons des voitures plus performantes, plus économes, plus sûres ; toutes ces contraintes vont de pair avec une sophistication de plus en plus grande de la technologie. Phénomène banal et caractéristique de notre monde actuel. Néanmoins, il y a un problème. C’est qu’il est impossible de connaître le contenu de ces algorithmes. Impossible de savoir ce qui se passe dans les boîtes noires de ma voiture. Et pourtant, elles contrôlent quasiment tout. En effet, il n’est pas une automobile moderne qui ne soit pilotée par des logiciels qui mesurent et analysent en temps réel et même plusieurs milliers de fois par seconde des milliers de paramètres (température du moteur, des gaz d’échappement, poids de la voiture…) afin d’adapter le comportement du moteur. Le journaliste du Monde, Martin Untersinger, explique que « c’est ce calculateur qui, en quelques millisecondes, ordonne par exemple au moteur d’augmenter légèrement sa puissance pour contrebalancer le démarrage de la climatisation, gourmande en énergie ».
En contrôlant tout, ces boîtes noires deviennent particulièrement sensibles aux risques et notamment ceux qui pourraient être du domaine de la cybercriminalité. Nous ne sommes pas dans le domaine de spéculation intellectuelle ou de la science-fiction car le constructeur Fiat-Chrysler en a fait les frais en juillet dernier. Victime d’une attaque (à titre de test) de hackers qui avaient carrément pris le contrôle d’un de ses modèles, la Jeep Cherokee, le constructeur a dû rapatrier 1.4 millions de véhicules pour réparer les failles de leur sécurité.
Ces boîtes noires qui excitent la curiosité ont montré avec l’affaire VW un côté encore plus sombre : un aspect délictuel voire criminel. Elles peuvent en effet aussi servir à nous tromper. Que s’est-il donc passé avec Volkswagen, le fleuron de l’industrie germanique ?
Ni vu ni connu
Pour commercialiser un véhicule, le constructeur doit se soumettre à une batterie de tests destinés notamment à mesurer les niveaux d’émission de particules et gaz polluants. C’est la loi. Si le niveau de pollution n’est pas conforme, le modèle ne peut être commercialisé. Qu’a fait VW ? Les ingénieurs ont tout simplement glissé quelques lignes de codes supplémentaires dans la fameuse boîte noire. Impossible de les repérer, noyées sous une avalanche de formules informatiques. Leur fonction ? Repérer automatiquement une situation de test pour mettre en route un fonctionnement du moteur permettant de réduire les émissions polluantes et obtenir son brevet. Hors situation de test, le moteur se remet à fonctionner normalement et à polluer allègrement. Comment l’algorithme distingue-t-il une situation de test ? Pas difficile. En effet, les normes imposées fixent très précisément les situations de tests : position du violant, vitesse du véhicule, durée d’utilisation du moteur et pression atmosphérique. Quand ces conditions de test étaient détectées, l’algorithme ordonnait au véhicule de se comporter en bon élève. Ni vu ni connu.
L’affaire est survenue aux USA où l’organisme de certification, l’EPA, n’avait rien vu passer. Il a fallu qu’une ONG spécialisée dans les transports propres, l’International Council for Clean Transportation (ICCT), mette son nez dans les gaz d’échappement pour que le pot aux roses soit découvert. Les émissions réelles des véhicules VW testés étaient 15 à 35 fois supérieures aux normes ! Une arnaque qui ne pouvait laisser indifférent l’ONG qui est financée par une autre organisation très puissante aux Etats-Unis, la ClimateWorks Foundation qui travaille avec les gouvernements régionaux et nationaux pour favoriser des politiques publiques en faveur de transports propres ; aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi en Chine, en Inde et en Amérique latine. L’affaire VW devenait nécessairement planétaire.
Quelle mouche a piqué Volkswagen ?
Pourquoi VW s’est-elle livrée à cette tricherie ? Les observateurs du monde entier sont stupéfiés, les politiques condamnent, les cours de l’action de la firme s’effondrent, le patron mythique Martin Winterkorn, est démissionné, les clients de la marque sont déçus et parlent de rupture de confiance. Que s’est-il donc passé ? Pourquoi VW a –t-elle jugé nécessaire de faire désactiver le système de réduction des émissions polluantes quand la voiture roule normalement et le remettre en route en situation de test ? Selon un chercheur du CNRS interrogé par le site Industrie et Techno, « Une hypothèse pourrait être que c’est parce que le système anti-pollution augmente la consommation de la voiture ». Un autre expert en catalyse et spectrochimie complète l’argument : « C’est un gros problème des véhicules diesel et essence modernes. Pour éliminer les oxydes d’azote, il y a besoin de renvoyer des hydrocarbures et donc d’augmenter la consommation de plusieurs pourcents, ou autrement dit, de diminuer le rendement du moteur.» En clair, pour diminuer les gaz polluants, essentiellement les oxydes d’azote, il faut injecter plus d’hydrocarbure. De ce fait on augmente la consommation et on réduit le rendement du moteur. Ainsi, paradoxalement, en voulant réduire les émissions polluantes, on augmente la consommation en hydrocarbures.
Cela peut être une raison, non disculpante, mais explicative.
Il en est une autre, touchant cette fois à la rentabilité financière. Les normes environnementales sont, toujours selon les experts, à la limite des technologies disponibles. Cela signifie que les règlementations en matière de pollution deviennent de plus en plus drastiques et précèdent parfois les mises en œuvre technologiques. Le chercheur spécialisé en dépollution cité par I&T précise : « Si les normes d’émissions industrielles reflètent l’état de l’art des technologies, celles-ci n’ont en revanche pas le temps de mâturer dans le secteur de l’automobile. Ainsi, la prochaine norme sur les émissions automobiles, Euro7, est prévue pour fin 2017 ou 2018, mais aucune technologie n’est encore disponible pour cela ».
Les normes imposent donc aux constructeurs une course à l’amélioration technique et à la mise en conformité. Une course qui coûte très cher et peut pousser à faire quelques écarts de conduite. Pour ce qui concerne l’affaire VW, le calcul n’est pas forcément bon car cette tricherie risque de coûter au minimum 18 milliards de dollars d’amende ordonnés par la justice américaine, sans compter le coût incalculable des dégâts portés à son image et à sa réputation.
Un avertissement
Cette crise sonne comme un avertissement pour les constructeurs automobiles sommés d’aller vers des véhicules propres. Cet avertissement vaudra-t-il aussi pour imposer plus de transparence dans l’accès aux codes qui pilotent nos voitures à notre insu, et aujourd’hui en parfaite opacité ?
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