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Le bitcoin fait régulièrement la une des gazettes. Cette star des cryptodevises suscite à la fois des vagues d’enthousiasme parfois hystériques, comme des craintes et suspicions les plus noires. Deux études viennent simultanément de paraître apportant un éclairage nouveau sur les cryptomonnaies. Ce sont des gouffres énergétiques qui émettent en quantité des gaz à effet de serre. Les cryptomonnaies comme le bitcoin pourraient, à elles seules, faire grimper la température mondiale au-dessus de la barre fatidique des 2°C dans les seize prochaines années. Un cauchemar climatique pour quelques poignées d’or virtuel.
Le bitcoin dégage, depuis son origine, un étrange parfum de souffre. Objet hybride – est-ce une monnaie, une infrastructure informatique, une innovation spéculative ? – il suscite les passions. Sa naissance en 2009 est déjà singulière. Son inventeur, Satoshi Nakamoto – un pseudonyme pour corser le mystère – a voulu ressusciter le rêve libertarien : créer un instrument de paiement qui s’affranchisse des banques, des États et des grandes institutions financières. Une utopie parfaitement calibrée pour recruter des adeptes partout dans le monde. Le succès du bitcoin se traduit par les courbes de son cours qui a vite atteint des sommets. Les spécialistes de la finance au premier rang desquels les prix Nobel Jean Tirole et Joseph Stiglitz, regardant les cours s’envoler, s’empressèrent de parler de « dangereuse » bulle spéculative. Parti de zéro, le bitcoin a atteint une cote supérieure à 20 000 $, pour se stabiliser aujourd’hui à une valeur de 6500 $. De quoi aiguiser les appétits des spéculateurs. Ils sont les premiers concernés car cette cryptomonnaie n’est pas faite pour acheter sa baguette de pain mais pour faire des plus-values, certes virtuelles, mais néanmoins bien financières.
Si vous n’avez toujours pas compris ce qu’est un bitcoin, voici un rapide petit rappel. Il s’agit d’une monnaie électronique basée sur des algorithmes mathématiques du domaine de la cryptographie (l’art de coder et de décoder des messages secrets). Elle n’a aucun support physique, sauf les disques durs des ordinateurs. Le bitcoin repose sur un système informatique théoriquement inviolable qui garantit toutes les transactions. Pour fabriquer du bitcoin, il faut, comme pour l’or, le chercher dans des mines. Mines virtuelles, il s’entend, car il s’agit de résoudre des équations mathématiques pour assurer l’inviolabilité du système et certifier chaque transaction. En l’absence d’autorité centralisée pour confirmer les transactions, comme le font les banques pour les autres monnaies, le bitcoin est soutenu par ce que l’on appelle des « mineurs ». Ils valident les échanges de la cryptodevise et les inscrivent dans un immense registre décentralisé (la blockchain), public et en théorie inviolable, en contrepartie de quoi ils sont rémunérés.
Aux débuts du bitcoin, à une époque où il y avait peu de transactions, ces calculs pouvaient être effectués sur un ordinateur familial. Mais au fil du temps, les transactions se sont multipliées et même si elles ne représentent aujourd’hui que 0.03 % de toutes les transactions dématérialisées mondiales, elles, sont quand même considérables (plus de 280 000 transactions par jour). Et comme la valeur du bitcoin est très significative, elle a attiré la convoitise des mineurs qui se sont multipliés, flairant un moyen de récupérer des commissions importantes pour leur travail de minage. Cependant, pour obtenir leur rémunération, les mineurs doivent de se livrer à de véritables concours de calcul informatique : seul celui qui a réussi à résoudre en premier des équations mathématiques de plus en plus complexes sera payé. Et plus les transactions sont nombreuses, plus les calculs sont complexes et les besoins en puissance informatique augmentés. Alors les ordinateurs se multiplient et s’empilent dans des centres de calcul partout dans le monde, tournent à plein régime – et souvent pour rien. Et c’est là que le bât blesse.
Mine de bitcoins
Le site spécialisé digiconomist évalue la demande énergétique des ordinateurs du bitcoin à au moins 58 térawattheures, ce qui équivaut à 58 milliards de KWh. Pour comprendre ce chiffre, il faut savoir qu’il correspond à la consommation annuelle d’un pays moyen comme l’Autriche, ou qu’il pèse en énergie électrique dix à vingt fois plus que tous les datacenters de Google, qui sont déjà singulièrement énergivores, ou qu’il correspond à la consommation électrique annuelle des 196 millions d’habitants du Nigéria. Autre comparaison, une transaction bitcoin consommerait plus d’énergie électrique qu’un foyer américain pendant une semaine. Si vous choisissez de payer en bitcoin plutôt qu’avec votre carte Visa, votre transaction coûtera 460 000 fois plus d’énergie !
Toute cette débauche de consommation énergétique produit évidemment du gaz à effet de serre. D’autant qu’une part très importante des ordinateurs destinés à « miner » du bitcoin se situent en Chine et que l’énergie électrique produite par ce pays provient à 60 % de centrales à charbon. Une étude publiée fin octobre dans Nature Climate Change a calculé que l’usage du bitcoin a émis 69 millions de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) en 2017. Depuis cette date, la courbe d’utilisation du bitcoin ne cesse de grimper, ce qui laisse craindre que si la cryptomonnaie venait à être encore plus massivement adoptée, elle pourrait, selon les chercheurs, faire grimper, à elle seule, le thermomètre de la planète au-dessus des 2° C prévus par l’Accord de Paris, en moins de seize ans.
Citée par le journal Le Monde, Katie Taladay, coauteure de l’étude publiée dans Nature Climate Change déclare : « Actuellement, les émissions provenant des transports, du logement et de l’alimentation sont considérées comme les principales responsables du changement climatique en cours. Notre recherche montre que le bitcoin devrait être ajouté à cette liste ».
Alors que l’humanité est confrontée à la plus grave crise climatique de son histoire, on peut légitimement se demander si cette gabegie d’énergie seulement destinée à satisfaire les appétits de quelques spéculateurs est raisonnable. Avec une telle empreinte carbone il ne fait plus de doute que la question des cryptomonnaies se pose avec une nouvelle acuité.
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