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LinkedIn – Microsoft : vers un contrôle algorithmique du marché du travail ?

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La nouvelle a fait le tour du monde cette semaine : Microsoft a racheté LinkedIn ! Une transaction à 26 milliards de dollars pour mettre la main sur les 433 millions de comptes utilisateurs du plus grand réseau professionnel du monde. La presse s’est demandée quelle était la raison de cet achat d’envergure. Raisons financières, capitalistiques, boursières ? Peut-être. Mais Microsoft n’a pas cassé sa tirelire pour faire un coup en bourse. En acquérant LinkedIn, il met la main sur une base de données gigantesque de profils, de CV, de formations, de relations, d’interconnexions, de réseaux professionnels. De quoi faire mouliner à pleine vitesse ses algorithmes afin de contrôler rien d’autre que le marché du travail mondial.
 
Tandis que dans nos rues de Paris des manifestants semblant sortir d’un autre âge se débattent avec la loi dite « Travail », une autre bataille, bien plus discrète se trame. Celle des données de l’emploi, du chômage, de la formation. Une bataille qui représente un enjeu politique majeur, qui pourrait à terme conditionner la façon même dont nous envisageons, choisissons et menons notre vie professionnelle.  Dans cette bataille, il n’y a pas de représentants de l’État, de syndicats de travailleurs, d’émissaires du patronat. Non, cette bataille d’ordre régalien est menée sous les palmiers de Californie, loin de nos yeux, loin de nous. Et pourtant, elle nous concerne tous.
 

Une mine de données

 
On se demande parfois combien valent nos données personnelles. Eh bien, avec cette opération, Microsoft valorise à 60 $ chaque profil utilisateur de LinkedIn. En postant votre curriculum vitae sur le réseau social professionnel de référence, vous avez offert à LinkedIn 60 $, sans compter vos abonnements et autres dépenses dérivées.  Toutefois, derrière cette valorisation se cache un formidable potentiel de connaissances. Le volume du réseau, les multiples interconnexions, recommandations et publications qui accompagnent chaque profil en font une mine de données.
 
Microsoft déclare, avec cette acquisition, vouloir enrichir son offre de services professionnels.  C’est sans doute une raison qui fait sens ; en effet, le géant fondé par Bill Gates est devenu incontournable dans l’offre digitale professionnelle. Ses suites Office et ses services cloud professionnels sont quasi inévitables au bureau. Mais le véritable enjeu est ailleurs. En mettant la main sur les données de LinkedIn, Microsoft ouvre en grand la porte de l’algorithmie du marché du travail.
 
En effet, Microsoft passe ainsi la vitesse supérieure dans le déploiement possible d’une intelligence algorithmique capable, comme le pressentait le chercheur Olivier Ertzscheid, « de vérifier nos compétences, nos habiletés et nos centres d’intérêt, de nous suggérer, dans un premier temps, d’accepter telle ou telle tâche rémunérée, avant de finir par décider pour nous de celle pour laquelle nous serons à la fois les plus efficaces et les plus rentables … et de nous y affecter ».
 

Les algorithmes ne s’encombrent jamais de considérations éthiques

 
Les algorithmes ne s’encombrent jamais de considérations éthiques ou de soucis métaphysiques ; leur froide candeur et leur robustesse mathématique en font des opérateurs intraitables. En se nourrissant des données professionnelles de centaines de millions d’individus, les algorithmes démontreront sans aucun doute leur supériorité sur l’intelligence humaine. Il est évident qu’un grand nombre de problèmes liés au monde du travail comme la formation, l’affectation, le suivi de carrières, la disponibilité, mais aussi les opportunités, les liens de proximité, les recommandations… seront mieux traités par une machine que par un humain. Avec beaucoup plus de précision, d’efficacité et de rapidité. Les algorithmes deviendront bientôt de super conseillers d’orientation, des agents Pôle-Emploi extraordinairement performants.
 
Il faut aussi comprendre que Microsoft ouvre une brèche, mais qu’il sera suivi rapidement par tous les autres géants de l’Intelligence artificielle, au premier rang desquels il y a Google ou Facebook, qui trouveront, dans le marché du travail, des données susceptibles de nourrir toujours plus leurs machines et leurs protocoles de Deep Learning.  On peut donc imaginer aisément, dans un futur proche, « des scénarios assez triviaux où le dialogue avec cette « IA » s’enrichira d’un nouvel horizon dialogique qui lui permettra de vous signaler différents événements professionnels et de vous faire toute une série de propositions de mutation, de nouveaux contacts, etc., mais également des scénarios plus « élaborés » dans lesquels ce même assistant intelligent piloté par une IA gèrera en temps-réel la totalité de votre « carrière ». »
 
Ajoutez à cela que la mine de données ouverte par Microsoft lui permet d’établir une voie de pénétration stratégique vers les politiques publiques ou privées de formation. En effet, parmi les 433 millions d’utilisateurs inscrits sur LinkedIn, un nombre appréciable de très jeunes professionnels voire d’étudiants figure dans les fichiers. Les algorithmes trouveront sans doute dans ces informations une capacité inédite de réguler fortement les choix d’étude et de formation de la plupart de futurs salariés, de modifier en profondeur les politiques éducatives et de faire émerger des modèles de formation encore impensés.
 
Les optimistes verront dans cette nouvelle une occasion inespérée de réduire le chômage et d’améliorer le monde du travail. Les autres, plus chagrins, y verront une dépossession des attributs régaliens de l’État et des organisations publiques normalement constituées pour former, éduquer et définir les cadres du travail.
Dans les deux cas, il faut prendre conscience de ce qui est en train de naître avec cette opération d’achat, mesurer les enjeux, les risques et les potentialités. Le philosophe Bernard Stiegler écrit dans son dernier livre que les innovations disruptives ont une caractéristique : celle d’installer des « états de fait ». Ne nous réveillons donc pas demain avec la gueule de bois de ceux qui avaient découvert, un peu tard, les initiatives de Google en matière de numérisation des livres et de la culture ou de ceux qui ont saisi, un beau matin, l’importance de l’ubérisation de pans entiers de la société.
 
 

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