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Guerre imminente ? C’est la trajectoire de l’humanité qui est en jeu

Guerre imminente ? C’est la trajectoire de l’humanité qui est en jeu

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L’optimisme est difficile à percer tant l’heure est grave. Les déploiements militaires russes à la frontière de l’Ukraine, en Biélorussie et en mer Noire font craindre le pire. Certes, la diplomatie est encore active, les dirigeants se parlent, et tout le monde veut croire à une sortie pacifique de cette crise. Pourtant, les événements que nous traversons ressemblent étrangement à une répétition — un « bégaiement » — de l’Histoire. Sommes-nous sous l’emprise d’une fatalité qui nous condamnerait à rejouer les tragédies du passé ? Ou avons-nous changé ? L’historien israélien Yuval Noah Harari, auteur du best-seller Sapiens, analyse dans The Economist la crise actuelle sous l’éclairage du temps long de l’Histoire et veut croire aux chances de paix, parce que l’humanité a changé et que la guerre n’est pas une loi de la nature mais une invention —réversible— des hommes. Si la guerre en Ukraine éclatait, c’est toute la trajectoire de l’humanité qui serait remise en question.

Deux écoles de pensée se sont, de toute éternité, affrontées, et singulièrement dans les temps troublés que nous vivons. Celle qui affirme que le monde est une jungle où la loi du plus fort prédomine. Ce courant croit en la puissance militaire et veut s’inscrire dans la nature même de ce qu’est l’humanité. L’autre école de pensée se situe à l’opposé et croit que la loi de la jungle n’est pas une loi de la nature ; elle a été inventée par l’homme qui peut dès lors la modifier.

La guerre n’est pas une force fondamentale de la nature

L’historien Yuval Noah Harari tient à ce propos à abattre une idée fausse. Il rappelle que le premier indice archéologique incontestable d’une activité guerrière organisée ne remonte qu’à 13 000 ans. Et même après cette date, on a du mal à trouver des traces archéologiques de guerre durant de longues périodes. « Contrairement à la gravité, la guerre n’est pas une force fondamentale de la nature. Son intensité et son existence dépendent de facteurs technologiques, économiques et culturels sous-jacents. Quand ces facteurs changent, la guerre fait de même » écrit-il.

Les preuves de ce qu’il avance sont autour de nous, il suffit de regarder les tendances lourdes et non la surface des choses. Il n’y a pas si longtemps, quelques générations seulement, le monde vivait sous la hantise d’un cataclysme atomique. L’humanité s’était dotée des moyens d’un méga suicide collectif. Or si les guerres entre grandes puissance comme la Seconde guerre mondiale ont été une caractéristique prédominante durant une grande partie de l’histoire, « les soixante-dix dernières années n’ont été le théâtre d’aucun conflit direct entre superpuissances ».

Pendant cette période, l’économie du monde a profondément changé. Autrefois fondée exclusivement sur les matières premières, elle s’est progressivement réorientée vers l’économie de la connaissance. La principale richesse aujourd’hui, ce ne sont pas les mines d’or ou les champs de pétrole, c’est la connaissance. Or, rappelle Harari, « s’il est possible de s’emparer de champs de pétrole par la force, il n’en va pas de même de la connaissance ». Du coup, l’usage de la force pour les conquêtes territoriales est devenu moins profitable.

La paix a pris un nouveau sens

Parallèlement à ce mouvement, c’est la culture mondiale qui a profondément changé. Dans l’histoire, les chefs ont toujours cru que leur gloire viendrait de leurs conquêtes militaires. En gagnant des guerres, ils atteindraient ainsi une forme d’immortalité. Les Homère et autres Shakespeare étaient les plus prompts à leur tresser des couronnes et les couvrir de louanges. Les temps ont changé. Aujourd’hui, les dirigeants accèdent au pouvoir en promettant à leurs peuples des réformes nationales, un mieux vivre ensemble, plutôt que des rêves de conquêtes. Les artistes ont brandi leurs Guernica et sont parvenus à montrer l’absurdité et les horreurs de la guerre. Les tyrans des guerres passées ont eu leurs statues déboulonnées. Le fantasme de la guerre d’agression pour conquérir de nouveaux territoires est passé de mode. Depuis 1945, les guerres civiles, les affrontements locaux, les insurrections, se sont multipliés mais les frontières internationales n’ont été que très rarement redessinées par une invasion. Yuval Noah Harari rappelle que « durant les vingt premières années du XXIe siècle, la violence humaine a causé moins de morts que le suicide, les accidents de la circulation ou les maladies liées à l’obésité. La poudre à canon est aujourd’hui moins meurtrière que le sucre. »

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Certes on peut contester cette vision car les conflits, quand ils éclatent, sont toujours plus meurtriers. Mais, au-delà des chiffres et des statistiques, c’est surtout le changement du sens du mot « paix » que l’on a vu ces dernières décennies : « “paix” a fini par prendre le sens de “caractère invraisemblable de la guerre” ». La paix d’aujourd’hui n’est pas une lubie de hippie. Une des preuves flagrantes de ce changement psychologique se retrouve dans les budgets des nations : « Ces dernières décennies, les gouvernements du monde entier se sont sentis suffisamment en sécurité pour ne consacrer en moyenne que 6,5 % de leur budget à leurs forces armées, dépensant beaucoup plus pour l’éducation, la santé et les aides sociales. » Nous n’y pensons même plus, mais ce phénomène est une nouveauté extraordinaire dans l’histoire humaine. En effet, pendant des milliers d’années, les dépenses militaires ont formé l’essentiel du budget des princes, des sultans et autres monarques. Les dépenses pour les soins médicaux de base ou pour l’éducation passaient bien après les dépenses pour s’armer.

Choix humains

Ce changement résulte de choix qu’ont faits des humains. Des choix qui ont accompli politiquement et moralement la civilisation contemporaine. Mais comme tout choix humain, celui-ci est réversible. On le voit avec la montée en puissance de la cyberguerre, de la remilitarisation par l’intelligence artificielle, de la guerre de l’espace, autant de signaux qui laissent entrevoir une nouvelle ère de la guerre, peut-être pire que celle d’avant.

C’est pourquoi, écrit Harari, « la menace russe d’invasion en Ukraine devrait inquiéter tous les habitants de cette planète. Si les pays puissants peuvent écraser leurs voisins plus faibles en toute impunité, les sentiments et les comportements dans le monde entier vont changer. »

Le retour de la loi de la jungle entraînera inévitablement une augmentation des dépenses militaires au détriment de toutes les autres. L’argent destiné à l’amélioration de la santé publique, à la transformation écologique, à l’éducation ira aux tanks et aux missiles. La guerre, si elle éclate, relèguera en arrière-plan tous nos efforts en matière de lutte contre le dérèglement climatique et de construction d’un monde plus durable. Nous entrerions alors dans une spirale pouvant mener à l’extinction pure et simple de notre espèce. Le « dirigeant qui choisira d’envahir son voisin occupera une place particulière dans la mémoire de l’humanité, bien pire que Tamerlan. Il entrera dans l’histoire comme l’homme qui aura défait notre plus grand accomplissement. Et nous aura ramené dans la jungle alors que nous pensions en être sortis ».

La guerre comme la paix sont possibles. Aujourd’hui, la trajectoire de l’humanité ne tient qu’à un fil. Elle n’est pas une fatalité. En fin de compte, « Tout se résume à des choix humains« .

Lire le texte intégral de Yuval Noah Harari, dans The Economist

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jpgayot@orange.fr
2 années

Tout se résume à des choix humain… Poutine n’a pas fait le choix de la guerre, c’est factuel. Biden est nul en politique étrangère, c’est également factuel… Harari aurait pu se dispenser d’en rajouter (il est vrai qu’il est Israélien, ce qui est un biais particulier en matière de guerre…

jonathan.schulzendorf@bluewin.ch
2 années

La guerre est effectivement le degré zéro de la civilisation et c’est aussi la conséquence d’un paradigme socio-économique qui est incompatible avec la vie et l’environnement ; l’économie de marché, d’une part, et, d’autre part, le système monétaire.

Cela dit, personne n’a à y gagner dans l’histoire, encore moins s’il s’agit d’un conflit nucléaire, et je doute que Poutine soit assez bête pour s’engager là-dedans. La planète grouille encore de dictateurs et de cyniques, mais pas de cyniques débiles, et heureusement.

jean-francois.toussaint@aphp.fr
2 années

La théorie d’une « invention tardive » – et donc réversible – de la guerre au sein de l’espèce humaine serait utile si elle n’était, elle aussi, contredite par les faits.  La capacité de penser la guerre ne remonte pas aux 13 000 ans qui nous précèdent si l’on veut bien considérer que la planification de meurtres au profit d’une expansion territoriale communautaire fait déjà partie de la panoplie des comportements collectifs de nos plus proches cousins (Lethal intergroup aggression leads to territorial expansion in wild chimpanzees. Mitani JC et al, Current Biology, Juin 2010, Vol. 20(12), R507 https://doi.org/10.1016/j.cub.2010.04.021: « Les incursions de chimpanzés mâles dans des territoires… Lire la suite »

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