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La relation médecin-patient à l’ère des objets connectés

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Le développement des objets connectés en santé est riche de promesses. De l’autonomisation du patient par le quantified self (autodiagnostic) aux gains d’efficacité attendus de la prévention, capteurs et objets connectés pourraient participer d’une redéfinition positive du rapport aux soins et de la relation patient-soignant. En un mot, faire advenir la « démocratie sanitaire ». Mais sous quelles conditions et avec quels risques ?
 
C’est un fait, l’usage d’Internet a déjà modifié la relation médecin-malade. Mieux informé, le patient est avec son médecin dans un rapport moins « paternaliste », davantage tourné vers la « décision partagée ». Les objets connectés fournissent, eux, non plus (seulement) de l’information générique mais des données sur notre état de santé personnel et souvent, un raccourci dans la relation patient-médecin.

Les objets connectés, outils de la démocratie sanitaire ?

Aide ou obstacle à l’autonomie ? Tout dépend de leur usage, répond Sylvie Fainzang, anthropologue et directrice de recherche à l’Inserm. Si les capteurs servent un objectif de surveillance passive, le patient est désinvesti et l’objet rate sa cible : prévention, responsabilisation, autonomie. Le fait que 50 % des malades chroniques équipés de capteurs ne transmettent pas systématiquement leurs données témoigne de la nécessité d’une redéfinition préalable des rôles de chacun : un « patient acteur » et reconnu comme tel par son médecin, une relation collaborative, l’affirmation d’une complémentarité (et non d’une substitution) entre examen clinique et analyse des données.
 
Quantified self
 
Pour Bruno Sportisse, directeur général adjoint de Thuasne, installer la confiance est un élément déterminant. Les objets sont déjà sur le marché et l’offre est même « foisonnante ». Des cuillères pour Parkinsoniens aux médicaments équipés de capteurs (pour tester leur efficacité après ingestion), la santé digitale représente déjà 8 % à 10 % des levées de fonds en capital risque aux États-Unis. Côté demande, les attentes sont fortes : 58 % des patients français pensent que les objets connectés constituent un progrès pour la médecine (1).
Mais pour que l’offre rencontre la demande, il faut « sortir de la zone grise entre bien-être et médical ». Le régulateur doit poser les normes qui permettent de faire la preuve du bénéfice thérapeutique des objets connectés et plus largement de leur efficacité sociale –médicale et budgétaire. Or cette démonstration exige du temps. C’est une des spécificités du numérique en santé : il faut collecter énormément de données pour pouvoir « restituer de l’intelligence ».

Des risques de captation des données personnelles 

Quels sont les acteurs du marché ? De très nombreuses startups, les entreprises de la Weartech comme Withings, les grands de la santé et… Google, répond Bruno Sportisse ! Le numéro 1 des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) a non seulement conclu des partenariats avec Sanofi, Novartis et Biogen mais également racheté des sociétés d’assurance. Une stratégie qui lui permet d’être présent tout le long de la chaîne de création de valeur en santé digitale.

LIRE AUSSI DANS UP’ : Google X crée la pilule magique : vers le corps hyperconnecté ?

Le marché de la santé numérique n’arrivera à maturité qu’avec la transparence sur ces questions. La bonne nouvelle, c’est qu’un règlement européen en cours d’adoption, qui entrera en vigueur d’ici 2018, prévoit le privacy by design, c’est-à-dire la protection des données personnelles dès la conception de l’objet connecté. La Commission européenne consulte également les industriels pour trouver les bonnes pratiques qui permettront de passer d’un régime d’agrément à un régime de certification.
 
Dans le cadre du cycle de débats mensuels de France stratégie de « Mutations technologiques, mutations sociales », la cinquième rencontre « La relation médecin-patient à l’ère des objets connectés » a eu lieu le 8 février 2016. Elle a permis, dans un tour d’horizon des enjeux de l’innovation en matière de relation à notre santé de dessiner la perspective (possible) d’un marché régulé où les patients seraient protégés par un régime juridique adapté aux enjeux du Big data en santé et mieux informés grâce à un effort de pédagogie dans le champ de la « littératie numérique ».>
 
Est-ce suffisant ? Non. Et ce, à deux titres au moins. D’abord, la protection des données personnelles (anonymisation) ne règle pas le problème des données nominatives transmises au médecin. Cette transmission doit être codifiée pour que le patient ait toujours le choix, souligne Sylvie Fainzang. Il y a sinon un risque avéré de rejet. Ensuite, l’expérimentation (encadrée) ne suffit pas. Les Britanniques l’ont bien compris (2) : il faut une vision stratégique de long terme. L’avènement des objets connectés en santé ne doit pas être réduit à une problématique de système d’information. Il appelle une projection collective (à dix ou quinze ans) du système de santé souhaitable dans un scénario qui fait toute sa place à la donnée comme outil d’empowerment.
 
 
Vers une ubérisation des prestations médicales ?
 
Dans un rapport du Conseil National de l’Ordre des Médecins publié le 1er mars 2016 et visant à accompagner le développement des nouvelles voies offertes par la télémédecine et l’e-santé au bénéfice des patients, l’Ordre propose des modifications de la réglementation pour favoriser le développement de la télémédecine au quotidien sur les territoires et dans le cadre du parcours de soins. L’Ordre demande dans le même temps une régulation des offres du secteur marchand : « Nous constatons que 70% des médecins indiquent la nécessité d’intégrer le numérique dans l’organisation des soins sur les territoires. Le CNOM, se faisant l’interprète de la profession, se place résolument dans une dynamique d’accompagnement des nouvelles voies offertes par la télémédecine et l’e-santé, qui doivent être au service de l’organisation des soins sur les territoires et au service des patients. Le CNOM juge que les prestations ouvertes par des sociétés intermédiaires à vocation commerciale ne sauraient s’affranchir du contrat social français en matière de protection sociale. »
 
Il s’agit là d’un avis sur « l’ubérisation » des prestations médicales pour tenter de répondre aux besoins médicaux des patients sans laisser s’installer une totale ubérisation de la médecine, avec plusieurs points d’attention particuliers :
– une simplification de la réglementation de la télémédecine dans les pratiques des médecins et l’instauration d’une régulation des autres offres numériques en santé dans le respect de principes éthiques et déontologiques dans le champ sanitaire ; 
– une mise en oeuvre concrète et appliquée aux territoires de santé de moyens télé-médicaux, afin de répondre aux besoins des patients et aux attentes des médecins qui les prennent en charge ;
– La télémédecine étant, comme l’écrit la loi, une forme de pratique médicale, un régime particulier de contractualisation avec l’ARS, lorsqu’elle est pratiquée par les médecins de premier et de second recours dans le cadre du parcours de soins ou de la prise en charge coordonnée du patient, n’est plus justifié ;
– La révision de l’écriture du décret télémédecine devra être menée de façon conjointe et concomitante avec une proposition de l’Ordre sur la réécriture de l’article R.4127-53 du code de la santé relatif à la déontologie médicale afin que « téléconseil personnalisé » devienne une forme particulière de téléconsultation, lorsque cette activité est clairement intégrée et tracée dans la prise en charge ou le suivi du patient ;
– Au même titre que les actes médicaux dont la prise en charge financière est garantie par l’Assurance maladie, les activités réalisées par télémédecine doivent être inscrites dans CCAM. Cependant, la seule rémunération à l’acte ne s’accorde pas toujours avec toutes les activités de télémédecine. Une part de forfaitisation, par exemple dans le suivi d’une pathologie au long cours ou d’un dispositif médical connecté, devrait être explorée dans le cadre des négociations entre les partenaires conventionnels. De même, il est nécessaire que les dotations financières aux établissements de santé intègrent l’activité télé médicale qui y est pratiquée ;
– Une contractualisation obligatoire avec l’ARS devrait être maintenue, dans le décret, pour les activités de télémédecine qui seraient de nature expérimentale ou qui se placeraient hors parcours de soins et/ou qui seraient proposées par des assureurs complémentaires, ou autres prestataires privés de services ;
– Le visa de l’avis ordinal sur les contrats signés devrait être mentionné au regard du respect des règles déontologiques telles qu’établies dans le code de la santé publique ;
– Lorsque des sociétés intermédiaires interviennent comme conciergeries numériques entre la demande d’une personne et le médecin qui y répond, l’Ordre doit viser les contrats passés entre le médecin et la société intermédiaire avant leur mise en oeuvre, dans le respect de clauses déontologiques essentielles publiées par le CNOM ;
– Les responsabilités encourues par ces sociétés tierces ayant une vocation commerciale devraient être exactement précisées au sujet, notamment, de la protection de l’usager vis-à-vis des pratiques commerciales et de leur qualité en matière de santé, en fonction du droit national et de l’état du droit européen ;
– L’impact majeur que va avoir la « disruption numérique » par l’usage des applis, des objets connectés et des algorithmes sur le système de santé, l’organisation de soins et des prises en charge, l’exercice médical et la sécurité des patients impose l’accélération des travaux auxquels le CNOM participe avec les autorités sanitaires, régulatrices et de protection sociale en France et en Europe afin que la régulation du marché se réalise sur des bases éthiques consolidées.

 
Comme le souligne Joël de Rosnay, dans une interview à La Tribune le 24 février dernier : « La voie du futur, c’est la personnalisation et la prévention personnalisée… », pour moins de médicaments, plus de suivi. Avec le numérique, grâce aux capteurs, cette révolution est possible.  « La désintermédiation est en marche et elle n’épargnera ni les grands laboratoires, ni la pharmacie,  ni même les médecins.  Sur quoi repose l’ubérisation ? Sur le fait que de petites structures soient capables de créer des algorithmes, des logiciels, sur Internet notamment, qui mettent en relation l’offre et la demande. Et c’est là qu’ils prennent leurs pourcentages et se rémunèrent. C’est Uber avec les taxis, c’est Airbnb avec les hôtels, c’est BlaBlaCar avec les voitures de location, c’est Alibaba en Chine avec le commerce. Or Uber ne possède aucun taxi, Airbnb ne possède aucun hôtel, Alibaba n’a pas de stock.
L’ubérisation de la santé peut se faire tout autant et très vite. Il suffit de déposer sur les grands et coûteux systèmes de production et de  distribution une fine couche structurelle humaine et logicielle et de mettre en relation directe, grâce à des logiciels proactifs, des produits et des services avec la multitude des clients. Est-ce que résistez, vous, si vous accédez à des produits et à des services moins chers, plus rapides, moins administratifs, moins compliqués ? »
 
 
 
(1) 4e Baromètre Viavoice / Groupe Pasteur Mutualité sur la confiance des Français à l’égard des professionnels de santé.
(2) The NHS in 2030: a People-Powered and Knowledge-Powered Health System, NESTA, 2015
 

 

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