Reliability of energy performance diagnostics questioned

Performance énergétique du logement et consommation réelle d’énergie : un décalage qui entache la crédibilité du DPE

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Grâce aux données bancaires anonymes sur la consommation énergétique des logements de près de 180 000 ménages, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale et le Conseil d’analyse économique (CAE) publient une étude inédite sur le lien entre diagnostic de performance énergétique (DPE) et consommation réelle d’énergie : la consommation théorique, calculée par le DPE, et la consommation réelle diffèrent. Un éclairage inédit sur l’enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments.

Alors que les dépenses énergétiques des logements représentent 12 % des émissions de CO2, plus de 500 000 rénovations doivent être réalisées chaque année pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Des travaux qui sont d’autant plus nécessaires que plus d’un Français sur quatre déclare souffrir du froid en hiver (1). Dans ce contexte, les politiques publiques du logement s’appuient sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) pour inciter les propriétaires à rénover. L’étude confronte pour la première fois la théorie et la pratique.

Le DPE, boussole de la politique de rénovation énergétique

Mis en place en 2006 (2), le diagnostic de performance énergétique (DPE) estime la consommation énergétique primaire et les émissions de CO2 d’un logement selon un mode de calcul, révisé en 2021, qui prend en compte ses caractéristiques physiques et climatiques.

L’amélioration énergétique des bâtiments présente d’importantes opportunités d’économie d’énergie et de réduction des émissions de CO2. Le DPE des logements est devenu un outil clé de l’orientation des politiques publiques énergétiques et climatiques qui, s’appuyant sur ce DPE, veulent inciter les propriétaires à rénover. La consommation « théorique » prédite par le DPE est la mesure centrale pour estimer la décarbonation attendue d’une rénovation énergétique. Il est donc essentiel que ce diagnostic soit correctement établi, faute de quoi il risquerait de distordre toutes les politiques qui l’instrumentent. Pour les locataires et les acheteurs, c’est un outil d’information mais aussi d’incitation puisqu’il évalue l’économie attendue de consommation d’énergie en passant à une classe plus performante, et donc le bénéfice monétaire de la rénovation.

Cependant, il y a plusieurs raisons de penser que la consommation théorique du DPE peut nettement différer de la consommation réelle.

Premièrement, parce que le DPE fait l’hypothèse que la demande de confort thermique ne varie pas : quelles que soient les caractéristiques du logement, le confort thermique visé est de 19 °C en hiver et 28 °C en été. Cependant, les usagers peuvent avoir tendance à ajuster leur demande au-dessus ou en dessous de ce niveau fixe de confort, et ce, en fonction de l’étiquette DPE du logement. En effet, la consommation énergétique dépend du coût du confort énergétique : plus son prix est élevé, plus la demande énergétique baisse. Or la performance énergétique du logement détermine ce coût : un certain niveau de confort thermique est moins coûteux dans un logement plus performant. Il en découle que les occupants de logements peu performants vont avoir tendance à moins consommer que la consommation prédite par leur étiquette, contraints par un prix du confort élevé. À l’inverse, les occupants de logements plus performants vont consommer plus que la prédiction de l’étiquette par un effet rebond provoqué par un prix du confort plus faible.
Donc, si l’on s’en tient seulement au DPE, on surestime les gisements d’économie d’énergie en ne prenant pas en compte les adaptations de comportement des usagers.

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Deuxièmement, parce que le DPE peut modéliser imparfaitement la performance énergétique. Le modèle 3CL s’appuie sur la performance énergétique conventionnelle des caractéristiques physiques du logement (bâti, isolation, chauffage, ouvertures, etc.) pour estimer une consommation énergétique au m². Or la performance conventionnelle attribuée au bâti et aux équipements peut surestimer leur performance réelle, notamment en raison de malfaçon technique, comme le suggèrent certaines études (3). De plus, la performance énergétique peut être difficile à évaluer lorsque les caractéristiques physiques du logement ne sont pas homogènes du fait de différentes phases de rénovation. Enfin, la méthode 3CL conduit à noter différemment deux logements aux caractéristiques semblables mais de superficie différente. En effet, comme les besoins énergétiques sont calculés en fonction de la surface déperditive du logement (sol+murs extérieurs), puis rapportés à la surface au sol, cela produit mécaniquement une étiquette DPE plus faible pour les petites superficies où le rapport surface déperditive/surface au sol est plus élevé. On peut donc penser que la précision de ce diagnostic varie selon la superficie.

Troisièmement, parce que le DPE est manipulable du fait d’une trop grande subjectivité dans l’appréciation des paramètres, ce que dénoncent les experts et les associations de consommateurs. Ainsi, les enquêtes de consommateurs alertent sur l’incohérence des diagnostics pour un même logement, lequel peut se voir attribuer différentes classes énergétiques allant de B à E selon le diagnostiqueur (4). Il est vrai qu’obtenir une bonne étiquette DPE est un enjeu de valorisation immobilière.
De fait, on constate une surreprésentation des logements affichant une consommation à la frontière des seuils d’attribution des étiquettes (5).

Pour toutes ces raisons, il peut exister un écart entre consommation réelle et consommation prédite, ce que la littérature appelle l’energy performance gap. Il apparaît donc crucial d’évaluer à quel point la prédiction du DPE peut s’écarter de la consommation réelle du fait des ajustements comportementaux et de l’erreur de mesure de la performance énergétique.

Un éclairage inédit sur l’enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments

Ce Focus, réalisé en partenariat entre le Conseil d’analyse économique et le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, vise à documenter l’écart entre consommation réelle et théorique et répond aux questions suivantes : de combien les ménages dévient-ils de leur consommation théorique en adaptant leur consommation en fonction du confort énergétique de leur logement ? Quelle est la qualité de la prédiction de la performance énergétique des logements par la nouvelle méthode de calcul du DPE ? Quels sont les facteurs à mieux prendre en compte dans la modélisation de la performance  énergétique ?

Pour la première fois, ce Focus documente l’écart entre consommation réelle et théorique du DPE depuis sa réforme en 2021, et décompose l’effet de l’ajustement comportemental et de l’erreur de mesure en s’appuyant sur les données de comptes bancaires Crédit Mutuel Alliance Fédérale appariées au DPE du logement des clients (statistiques publiques de l’Ademe).
En effet, les données bancaires nous informent sur la dépense d’énergie des ménages et sur les variables socio-économiques comme le revenu, la composition familiale, l’âge du chef de ménage. Nous les apparions aux caractéristiques du logement fournies par le DPE via leur adresse.

Pour comprendre le lien entre consommation prédite par le DPE et consommation réelle, notre raisonnement procède en plusieurs étapes.
Nous cherchons d’abord à savoir si le DPE global se reflète dans les factures énergétiques des ménages, autrement dit si la variation de consommation prédite par le DPE se traduit par une variation dans les dépenses effectives des ménages.
Puis, nous cherchons à comprendre si la consommation primaire réelle, laquelle n’est pas proportionnelle aux dépenses et dépend du mix énergétique utilisé par le logement, est correctement prédite par le DPE « énergie ».
Enfin, nous cherchons à établir le poids respectif du biais de mesure de la consommation théorique et des ajustements de comportement pour expliquer l’écart de performance énergétique.

Au-delà de la nécessité de fiabiliser le DPE, l’étude démontre que les ménages doivent être mieux accompagnés pour devenir de véritables acteurs de la sobriété de leurs logements, même lorsque ces derniers disposent d’un haut niveau de performance énergétique.

Grâce à l’exploitation de ces données originales, Jeanne Astier et Ariane Salem du CAE, Gabrielle Fack de Paris Dauphine et du CAE ainsi que Julien Fournel et Flavie Maisonneuve d’Euro-Information, filiale technologique de Crédit Mutuel Alliance Fédérale, apportent un éclairage inédit sur l’enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments.

Pour Camille Landais, Président délégué du Conseil d’analyse économique : « L’apport des données bancaires anonymes des clients de Crédit Mutuel Alliance Fédérale et l’expertise des chercheurs de sa filiale technologique Euro-Information ont constitué des ressources inestimables pour mener cette étude pionnière. Elle apporte un éclairage inédit pour renforcer la pertinence de la politique publique environnementale du logement ".

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Pour Nicolas Théry, président de Crédit Mutuel Alliance Fédérale : « Alors que le monde avance vers un réchauffement à + 3°C et que le mal-logement est un fléau qui fracture notre société, la rénovation énergétique est un défi qu’il est impératif de relever. Pour y parvenir, notre ambition ne se limite pas à accompagner nos clients et sociétaires mais à faire œuvre utile comme le démontre notre partenariat scientifique avec le Conseil d’analyse économique ".

Le DPE : des écarts entre la théorie et la pratique

Le DPE est un outil qui estime la consommation d’énergie et les émissions de CO2 des logements. Chaque logement se voit attribuer une étiquette allant de A (la classe la plus performante) à G (la moins performante et la plus énergivore).

L’étude confronte pour la première fois la théorie et la pratique. Si on observe bien une consommation d’énergie d’autant plus importante que le logement est moins performant, l’écart entre un logement A/B et un logement G est six fois plus faible qu’escompté. En effet, les occupants des bâtiments les plus performants consomment davantage de kWh par m2 (de l’ordre de + 80 % par rapport à la consommation prédite par le DPE), à l’inverse des moins bien pourvus qui sont en réalité plus sobres (de l’ordre de – 50 %).

Pour les bâtiments de plus de 80 m2, les écarts entre les logements moins bien notés (au-delà de l’étiquette C) ne sont pas significatifs. A titre d’illustration, les occupants d’un logement G de 100 m2 consomment en moyenne moins que les habitants d’un logement D.

Aider les ménages à devenir de véritables acteurs de la sobriété de leurs logements

Au-delà du besoin de fiabiliser encore davantage la méthode de calcul du DPE, l’étude démontre que les deux tiers de l’écart entre la théorie et la pratique relèvent des comportements des occupants des logements.
Alors que les habitants des passoires thermiques consomment moins qu’anticipé, sans doute en raison de leurs contraintes budgétaires notamment pour les plus modestes, les efforts doivent concerner tous les ménages. Par exemple, la surconsommation des 5 % les plus aisés correspond à un saut de deux classes énergétiques du DPE.

Au-delà des actes de rénovation, par exemple le remplacement d’une chaudière fonctionnant aux énergies fossiles par un équivalent moins carboné ou la réalisation de travaux d’isolation, les ménages doivent donc être accompagnés pour qu’ils deviennent de véritables acteurs de la sobriété. Adopter des comportements écoresponsables, même lorsque l’on réside au sein d’un logement qui dispose d’un haut niveau de performance énergétique est la condition cardinale pour que les travaux de rénovation énergétique permettent réellement de réduire les émissions de CO2.

Ce qu’il faut retenir

Malgré certaines limites de l’étude (erreurs potentielles d’appariement, identification imparfaite de certaines dépenses énergétiques, recours à un prix d’abonnement approchant, intégration de dépenses énergétiques non liées à la performance du logement telles l’électroménager, l’informatique…), plusieurs faits saillants ressortent nettement :

  • Les usagers adaptent leur comportement en fonction du prix du confort énergétique et donc de la performance du logement, cet effet rebond explique une large partie des écarts observés.
  • Les usagers adaptent également leur comportement en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques et notamment de leurs revenus. Ainsi la consommation des ménages dépend autant des revenus que de l’étiquette DPE.
  • Le DPE tend à surestimer la performance théorique à partir de la classe D, et cela va en s’accentuant à mesure que la performance énergétique du logement se dégrade (la surestimation dépassant un facteur 2 pour les logements G). La performance théorique des logements AB est, elle, sous-estimée.
  • Plus la superficie du logement est importante, plus la surestimation de la performance s’accroît et plus la progressivité prévue par le DPE disparaît. A contrario, la performance énergétique des petits logements apparaît mieux estimée par le DPE. La consommation au m² étant nettement décroissante avec la superficie, l’application d’une échelle unique à tous les logements devrait mieux prendre en compte cette caractéristique.

Ces résultats incitent à chercher des pistes d’amélioration et d’homogénéisation du DPE pour en faire un meilleur prédicteur de la consommation énergétique, et à accompagner les ménages vers des efforts de sobriété, notamment pour les plus hauts revenus et les logements les plus performants, afin que les économies d’énergie attendues de la rénovation ne soient pas fortement réduites par des ajustements comportementaux.

(1) 26 % des Français déclarent avoir souffert du froid au cours de l’hiver 2022-2023 pendant au moins 24 heures d’après le tableau de bord 2023 de l’Observatoire national de la précarité énergétique.
(2) Le diagnostic de performance énergétique (DPE global) renseigne sur la performance énergétique et climatique d’un logement ou d’un bâtiment (étiquettes A à G), en évaluant sa consommation d’énergie (DPE « énergie ») et son impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre (DPE « climat »). Il s’inscrit dans le cadre de la politique énergétique définie au niveau européen afin de réduire la consommation d’énergie des bâtiments et de limiter les émissions de gaz à effet de serre, et sert notamment à identifier les passoires énergétiques (étiquettes F et G du DPE), c’est-à-dire les logements qui consomment le plus d’énergie et/ou émettent le plus de gaz à effet de serre. Il a pour objectif d’informer l’acquéreur ou le locataire sur la « valeur verte » du logement, de recommander des travaux à réaliser pour l’améliorer et d’estimer ses charges énergétiques.
(3) Notamment Allibe (2012)

(4) Que choisir (2022) : « Diagnostics de performance énergétique : du grand n’importe quoi, encore et toujours », novembre.
(5) Girard et Abdelouadoud (2022). Cette manipulation s’opère par exemple en modifiant la surface habitable lorsque le DPE est réalisé grâce à la méthode 3CL.
(6) En particulier, l’élasticité réelle de consommation énergétique liée à la performance des chauffages semble moins élevée que l’élasticité conventionnelle utilisée dans les paramètres du DPE. Un des facteurs avancés étant l’écart entre performance théorique et performance réelle des  chauffages, l’autre étant l’effet rebond, soit l’augmentation de l’intensité d’utilisation lorsque le prix de service baisse.

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