Cézanne l’a peinte plus de quatre-vingt fois. Il en a fait des chefs d’œuvre, inspiré inlassablement par les lumières magiques de cette Montagne Sainte-Victoire, totem des paysages de Provence. Aujourd’hui un parc de 25 éoliennes y est implanté. Doit-on sacrifier des paysages au nom de la transition énergétique ? Est-ce le tribut à payer pour éviter que notre planète ne se consume en brûlant ses combustibles fossiles ?
« C’est laid et ça dérange la nature », s’emporte dans sa ferme, Joëlle Villa, désignant les immenses pales. À proximité de la montagne Sainte-Victoire chère à Cézanne, 22 éoliennes suscitent l’ire de défenseurs du patrimoine et de l’environnement, même si d’autres saluent cette « énergie verte ».
Moins cher que le nucléaire, fonctionnant grâce au vent et fabriqué avec une quantité de matériaux dérisoire par rapport à d’autres constructions, selon Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatt, l’éolien a le vent en poupe à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique. « Bien sûr, la meilleure économie d’énergie est celle que l’on ne consomme pas, mais l’éolien reste une très bonne nouvelle pour l’environnement », poursuit le représentant de l’association qui milite pour la transition énergétique.
Pourtant, dans le Haut-Var, au croisement du parc naturel régional de la Sainte-Baume et de celui de la Sainte-Victoire, un parc de 22 pylônes d’acier de 125 mètres de haut n’en finit pas de faire parler de lui. Ses détracteurs se sont rassemblés autour d’une pétition lancée sur internet, comptant plus de 20 000 signatures dont celle de l’animateur Stéphane Bern, le « Monsieur Patrimoine » d’Emmanuel Macron, et qui appelle à « sauver » la Sainte-Victoire.
Labellisé « Grand site de France », ce massif calcaire s’étend sur une petite vingtaine de kilomètres, près d’Aix-en-Provence. Culminant à environ 1.000 mètres d’altitude, la Sainte-Victoire doit sa renommée mondiale au peintre Paul Cézanne, né à Aix-en-Provence en 1839, qui l’a représentée plus de 80 fois sur ses toiles.
Monstres d’acier
Pour Marc-Antoine Chavanis, représentant local de l’association Sites et monuments à l’origine de la pétition, les 110 GWh d’électricité que peuvent produire par an les 22 éoliennes, soit l’équivalent de la consommation électrique moyenne de 110 000 habitants (hors chauffage), comme le vantent ses promoteurs, ne sont pas convaincants. « Ces éoliennes se trouvent au milieu de trois sites exceptionnels : celui de la Sainte-Victoire, le parc naturel régional du Verdon et le parc naturel de la Sainte-Beaume. Et on décide de planter une industrie éolienne polluante en plein milieu. C’est incompréhensible », déplore-t-il.
Entré en croisade contre « ces monstres d’acier » sortis de terre il y a un an après une longue bataille judiciaire toujours en cours, le militant fustige des installations qu’il estime « tout sauf écolos ». « Chaque éolienne est supportée par un pied de 1 500 tonnes de béton, les pales, construites en fibres de verre, sont acheminées depuis la Chine et la forêt a été défrichée sur 25.000 m2 pour créer des pistes afin de permettre aux semi-remorques d’accéder au chantier », dénonce-t-il.
Joëlle Villa, 75 ans, l’une des rares habitantes de ce territoire dépeuplé à avoir une vue directe sur le parc éolien, n’en démord pas non plus. « Tant que vous ne les avez pas sous le nez, vous n’imaginez pas ce que c’est. Ça fait du bruit, dénature le paysage et perturbe mes animaux avec ces flashs qui clignotent la nuit », insiste la fermière. « L’énergie verte, c’est de la foutaise, du marketing. On n’a jamais vu une éolienne pousser naturellement », condamne l’énergique retraitée.
Les éoliennes — dont huit ont été installées sur une zone Natura 2000, censée « protéger les habitats et espèces représentatifs de la biodiversité européenne » —, seraient particulièrement nocives pour la faune et les chauves-souris, met en garde Marc-Antoine Chavanis. Mais quelques mois après la mise en fonctionnement du parc éolien, l’étude de suivi confiée à la Ligue de protection des oiseaux (LPO) par le constructeur Eco Delta, n’a pas encore livré ses conclusions.
Pragmatisme
« Nous faisons des relevés tous les jours pour voir s’il y a des cadavres sous les éoliennes, ce qui n’est pas le cas pour l’instant, vérifier le peuplement des oiseaux et observer d’éventuelles modifications de leurs comportements », explique Amine Flitti, directeur de la LPO Paca, joint par l’AFP.
« En cas d’anomalies, nous n’hésiterons pas à demander des mesures correctives à l’entreprise », se défend le représentant de l’association accusée par ses détracteurs « d’être pieds et poings liés » avec Eco Delta, qui dit sur son site internet verser « près de 450.000 euros localement par an en mesures de traitement et d’accompagnement des incidences ». Eco Delta, filiale de JC Mont-Fort, une holding basée en Suisse, rappelle avoir pris « un engagement total pour la protection de la nature » dans ce dossier. « Peu de parcs sont accompagnés à ce point financièrement par des mesures pour minimiser l’impact », défend auprès de l’AFP sa présidente Andréa Jouven.
Certains élus locaux ont, eux, fait le choix du pragmatisme : « On aurait pu trouver un autre endroit pour les implanter, mais maintenant qu’elles sont là, on ne va pas épuiser la commune dans un combat d’arrière-garde », reconnaît Arnaud Fauquet Lemaitre, le nouveau maire d’Ollières, une des deux communes, avec Artigues, où les pylônes ont été implantés. L’élu qui a engagé un bras de fer judiciaire avec la société se dit prêt à retirer son dossier s’il obtient « des compensations financières » : « Nous avons tous les inconvénients et très peu d’avantages », argumente-t-il.
L’association Sites et monuments craint de son côté que l’objectif que s’est fixé la France de faire passer la part de l’éolien dans la production d’électricité de 7% aujourd’hui à 20% en 2028 (l’éolien en mer représentant un quart de cet objectif), ne multiplie ces « défigurations » du paysage. « La pression va s’accentuer et on va aller de plus en plus dans des paysages protégés qui ont l’avantage d’être peu urbanisés », redoute son président Julien Lacaze.
Mince espoir
Mince espoir pour les défenseurs du paysage de Cézanne, les éoliennes de la Montagne Sainte Victoire pourraient être « illégales ». L’autorisation environnementale nécessaire au démarrage de leur construction est inexistante. Mais elle est indispensable. Même si les installations sont déjà en fonctionnement. Le tribunal administratif de Marseille a déclaré les 22 éoliennes de la Sainte Victoire illégales. Les travaux de construction de ces éoliennes avaient continué pendant plusieurs mois en 2020, alors même que l’autorisation environnementale n’était pas au rendez-vous. La préfète du Var avait ensuite délivré une autorisation exceptionnelle pour tenter de régulariser la situation. Plusieurs associations dont Sites et Monuments avaient porté l’affaire devant les tribunaux.
La Cour administrative d’Appel de Marseille a bien confirmé que la centrale éolienne devait disposer d’une autorisation environnementale. En revanche, le juge valide la légalité de l’arrêté préfectoral. De fait, les éoliennes vont continuer de tourner pendant que sera instruit le dossier d’autorisation environnementale. Une telle autorisation doit normalement être antérieure à la demande de permis de construire. Tout a donc été fait à l’envers. Ce processus comprenant notamment une enquête publique. À l’issue de cette nouvelle phase, l’administration devra se prononcer. Si elle ne délivrait pas cette autorisation environnementale, elle pourrait ouvrir la voie à un possible démontage des installations.
Avec AFP
Faut savoir ce que l’on veut ! Le fait qu’un peintre ait représenté un paysage, ne justifie pas de le figer à jamais dans sa configuration et son aspect. Les éoliennes; c’est moche et bruyant partout où elles sont implantées. Elles dérangent y compris les pécheurs lorsqu’elles sont au large des côtes. La décarbonation et la dénucléarisation des pays, alliées aux rejets des barrages hydrauliques par les écologistes, ne laissent que peu d’alternatives, avec les panneaux solaires, pour fournir la gigantesque consommation d’électricité que nous encourageons actuellement. Alors, pour compenser notre schizophrénie, on regarde un célèbre tableau de paysage de… Lire la suite »