Le 27 novembre prochain, doit avoir lieu le Black Friday, malgré le confinement, avec son cortège de promotions et d’achats compulsifs (1). Avec la crise sanitaire mondiale, ce rendez-vous sera-t-il « essentiel » ? Avons-nous ouvert les yeux ? D’après certains experts, oui ! L’urgence de produire, de diffuser, de consommer autrement est devenue une évidence. Mais attention au greenwashing qui s’avère souvent être un piège.
Selon Nathalie Damery, directrice de l’Obsoco, (études et conseil sur Consommation et société), « On voit se dessiner deux France, celle de ceux qui continuent de courir après le prix le plus bas, et celle composée des « résistants », à la recherche de nouveaux modes de consommation ».
Dans son ouvrage « Mode manifeste » qui vient de sortir (2), Magali Moulinet-Govoroff explique : « Le phénomène de la fast fashion, introduit en France au cours des années 1990 par plusieurs enseignes étrangères, a chamboulé les codes de l’habillement par des achalandages hebdomadaires de vêtements neufs de basse qualité et à prix modique, conçus pour être éphémères […] Au fil des années, les acteurs de cette mode sont devenus des empires, les symboles d’un ultraconsumérisme assumé et néanmoins lourd de conséquences. »
Or la pandémie de Covid-19 a mis en évidence les problématiques auxquelles les marques et les consommateurs doivent et devront faire face à l’avenir, déclenchant une démarche d’introspection : « le modèle économique de la fast fashion paraît désormais obsolète ». La prise de conscience gagne du terrain, dans un contexte d’urgence écologique et d’urgence économique.
Prise de conscience
Comme l’explique Magali Moulinet-Govoroff, « En France, la mesure sanitaire dite de « confinement » qui a limité au strict nécessaire les déplacements et imposé de ce fait la fermeture des commerces et des entreprises « non essentiels pour la vie de la nation » a été pour beaucoup l’occasion de mesurer, devant des placards débordant des vêtements importés, l’ampleur de leur consommation personnelle de textile. L’arrêt brutal de toute emplette a remis en perspective l’utilité première de l’habillement et soulevé des interrogations […]. »
D’où la communication auprès du public de l’argument écologique d’éco-responsabilité, qui s’est étendu depuis 2006, dans le but de donner une image de responsabilité écologique ou de développement durable, … assez éloignée de la réalité. Cette pratique du greenwashing est trompeuse et peut-être assimilé à de la publicité mensongère.
Pour Nathalie Lebas-Vautier, fondatrice de Good Fabric (3), il est temps de remettre les pendules à l’heure et d’alerter sur les dangers du greenwashing qui retarde la prise de conscience collective et entretient le doute dans la tête des consommateurs. Les dégâts sont réels et immenses. Mais pour elle, des signes d’espoir sont là.
Nul doute que la fast-fashion et les marques de mass-market vont s’en donner à cœur-joie une fois de plus pour proposer des t-shirts à 3€ ou encore des jeans à 15€ à l’occasion du Black Friday 2020. Dans le même temps, les discours rassurants sur les efforts supposés de ces marques pour améliorer leurs processus de fabrication se multiplient, avec l’abus d’expressions trompeuses comme « collection responsable » « 100% coton naturel », d’images et de vocabulaires de la nature, l’utilisation de la couleur verte à outrance : bref, toutes les ficelles du greenwashing sont à l’œuvre.
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Le greenwashing : des effets insidieux et dévastateurs
Le greenwashing peut recouvrir plusieurs réalités et degrés d’intensité. Cela va de la dissimulation pure et simple avec par exemple l’usage de la couleur verte pour repeindre un logo ou un packaging, comme une enseigne de fast food par exemple qui est passé d’un fond rouge à un fond vert sans changer fondamentalement ses pratiques, en passant par le recours à des labels qui n’ont pas fait la preuve de leur sérieux mais qui font illusion auprès des consommateurs, comme par exemple le label BCI qui ne répond à aucune problématique environnementale et sociale durant tout le processus de fabrication, contrairement au label GOTS.
Mais d’autres initiatives, parfois louables, permettent également aux entreprises de se détourner du vrai sujet : de nombreuses marques mettent en avant leurs dons à des associations humanitaires ou à des opérations de reforestation pour se donner bonne conscience et bonne image, sans pour autant remettre en question leurs pratiques et les produits qu’ils vendent. Autant mettre un pansement sur une jambe de bois !
Résultat de toutes ces manipulations : le consommateur est dans le flou, il perd confiance non seulement en la marque qui pratique le greenwashing, mais en bon nombre d’autres marques similaires qui se retrouvent jetées dans le même panier. Le discrédit est contagieux et ravageur. C’est ainsi que des marques qui tentent d’avancer dans la bonne direction de façon pragmatique, sans communiquer outre mesure, peuvent aussi être frappées du poison du doute. Le greenwashing est donc néfaste également pour les entreprises qui ne le pratiquent pas.
Mais l’effet le plus ravageur est sans doute le retard à la prise de conscience et au passage à l’action qu’il induit : puisque tout le monde se met au développement soi-disant durable et à l’écologie, le problème est en passe d’être résolu, alors pourquoi se mobiliser ? C’est une illusion faussement rassurante qui incite à l’immobilisme ou à la triche. Or il est urgent d’agir ! Et particulièrement dans le secteur de la mode qui est l’un des plus polluants au monde. On ne peut plus aujourd’hui concevoir un produit textile sans se poser la question de sa fabrication et de son impact environnemental et social.
La solution : une démarche cohérente et globale qui prend en compte chaque étape de la chaîne de valeur
Un t-shirt a beau être en coton bio, s’il est fabriqué par des enfants dans des conditions de travail déplorables, il ne représente pas un achat responsable : lorsqu’on veut engager une démarche RSE et améliorer ses processus de production, il faut bien entendu s’intéresser aux matières, à leur provenance, à leur qualité et durabilité dans le temps, mais ça ne suffit pas. Il faut absolument prendre en compte les conditions humaines et sociales dans lesquelles les produits sont fabriqués, en quelles quantités on choisit de produire, quels produits chimiques sont employés, quel emballage est utilisé et enfin quel est le mode de transport sélectionné. Il faut donc impérativement adopter une démarche globale et cohérente qui s’attaque à chaque étape de la chaîne de valeurs, sinon on bascule dans le greenwashing.
Ce n’est pas une démarche facile (contrairement au greenwashing qui nous entretient dans un confort illusoire), on fait nombre d’erreurs le long du chemin et surtout cela prend du temps : mais c’est la seule façon d’obtenir de vrais résultats et de faire la différence. Et il n’est pas besoin d’attendre d’avoir « réussi » pour communiquer : pas besoin d’être parfait pour partager ses actions. Au contraire, les consommateurs sont en attente de transparence et d’humilité.
Nathalie Lebas-Vautier constate depuis trois ans une accélération de la prise de conscience et de cette volonté d’avancer. Les consommateurs sont de plus en plus éclairés et de moins en moins dupes et les marques n’ont plus le choix que d’évoluer. Mais il faut accélérer le mouvement. Alors qu’attendons-nous ? « C’est à tout l’écosystème de la mode et du textile que j’en appelle. Tournons la page du greenwashing, retroussons-nous les manches et agissons dès aujourd’hui » déclare-t-elle.
(1) A ce jour, le Black Friday reste toujours programmé. Il fait débat alors que de nombreux commerces sont contraintes de rester fermés.
(2) « Mode manifeste – S’habiller autrement », de Magali Moulinet-Govoroff – Editions de La Martinière, octobre 2020.
(3) Good Fabric est à la fois un éco-designer, fabricant de collections et accessoires textiles éthiques et accompagnateur des entreprises dans leur stratégie RSE et la mutation de leur business model. L’entreprise accompagne les marques qui veulent donner du sens à leur travail, et qui souhaitent créer de beaux produits en respectant l’ensemble des acteurs de la filière et en limitant leur impact environnemental. L’Eco-lab de Good Fabric développe de nouveaux fils durables et propose sa propre interprétation d’un vêtement intelligent. Il est partenaire de l’Union des Coopératives de Cachemire Durable en Mongolie : ce partenariat a pour but de promouvoir cette filière unique et de vendre ce cachemire certifié durable aux maisons du luxe et de la mode en France. L’Union est un groupement de coopératives d’éleveurs nomades engagés dans l’élevage durable de chèvres cachemire et de yaks : il s’agit de la première filière du genre à être certifiée (certification et mise en œuvre par l’ONG AVSF).
Photo d’en-tête : Vivienne Westwood, défilé printemps-été 2017 © Vogue
Il est inévitable que la futilité de « La Mode » conduise à des déviations pour se conformer à la bien-pensance et au syndrome de « Sauveur de Planète » qui sont en vigueur actuellement. L’envie de consommer est tellement importante dans nos pays riches, que les consommatrices ont seulement besoin d’excuses verdissantes pour se livrer à leur passion vestimentaire. On ne transforme pas les mentalités en quelques années, même à coût de « mantras écologisants » répétés en boucle. Ne pas oublier, non plus, le plaisir que procure la transgression à l’ordre moral « écolo compatible »en vigueur. L’important est que l’évolution globale vers une transition écologique… Lire la suite »
Est il possible de nous expliquer tout cela en langue de notre PAYS ?
« Depuis 2006 », « depuis 3 ans »… ces dates sont basées sur quoi ? Sur le début de l’intérêt pour le sujet par les « spécialistes » interrogées, par les journalises de Up’ ? « la communication auprès du public de l’argument écologique d’éco-responsabilité » s’est étendue… au moins depuis Earth Day aux USA dans les années 70. Au moins…