Ukraine : quand l’information peut sauver des vies

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L’information, qu’elle soit généraliste, humanitaire ou judiciaire, est cruciale pour les personnes touchées par la guerre en Ukraine. Les médias locaux indépendants ont besoin de soutien pour survivre. Entretien sur les nouvelles réalités auxquelles les médias sont confrontés et sur le sens du travail de la Fondation Hirondelle avec son coordinateur en Ukraine, Oleksiy Soldatenko.

Hirondelle Foundation : Pouvez-vous décrire brièvement la situation à laquelle sont confrontés les médias locaux en Ukraine, et les principaux défis auxquels les journalistes font face aujourd’hui ?

Oleksiy Soldatenko : Pour les médias ukrainiens, c’est une période très difficile. Non seulement en raison des conditions dans lesquelles les journalistes apprennent à travailler, mais aussi en raison des capacités requises pour travailler efficacement. L' »intérêt public », l' »équilibre », l' »éthique » et d’autres normes fondamentales de la profession acquièrent désormais une nouvelle signification, avec de nombreuses nuances, pour les journalistes ukrainiens. Le principal défi consiste à déterminer comment les reporters peuvent fournir des informations à leur public en toute sécurité, sans se blesser, ni blesser les personnes qui travaillent et se battent sur le terrain, tout en partageant des informations utiles avec la population, car les besoins sont nombreux.
En Ukraine, nous comprenons maintenant parfaitement ce que signifie « L’information peut sauver des vies« . Par exemple, les informations sur la manière dont les gens peuvent évacuer en toute sécurité les zones dangereuses, sur les lieux où ils peuvent obtenir de l’aide humanitaire ou sur le type de transport qui fonctionne dans la ville, sont cruciales dans ces moments-là.

Les journalistes ont besoin de nouvelles compétences et connaissances ainsi que d’une assistance technique et financière. Beaucoup d’entre eux sont originaires des territoires occupés et se sont installés dans des endroits plus sûrs en Ukraine, mais ils essaient toujours d’opérer dans les territoires occupés par la Russie, afin que leur public puisse obtenir des nouvelles et ne se sente pas complètement isolé.
C’est pourquoi de nombreux journalistes changent leur façon de travailler. Cela s’applique particulièrement aux médias qui s’adressent aux populations des territoires occupés. S’ils publiaient auparavant dans un journal ou diffusaient sur une chaîne de télévision, ils diffusent désormais sur Telegram ou sur des messageries sociales afin que les personnes disposant d’une mauvaise connexion internet puissent tout de même obtenir quelques informations de base pour se tenir au courant de ce qui se passe non seulement dans leur région, mais aussi dans toutes les régions du pays.

Un autre grand défi est que de nombreux journalistes travaillent désormais sur une base volontaire. Ils ne reçoivent plus de salaire régulier. C’est pourquoi le financement d’urgence que nous pouvons fournir aux rédactions et aux journalistes indépendants est si important. Nous aidons les médias à survivre.

 « En Ukraine, il n’y a pas seulement une guerre au sens militaire du terme. Il y a une guerre de l’information, c’est-à-dire une guerre pour gagner l’esprit et la confiance des gens. »

FH : Dans de telles circonstances, comment les journalistes ukrainiens peuvent-ils conserver leur indépendance et éviter la propagande de guerre ?

OS : C’est une bonne question. Nous en avons beaucoup discuté entre nous, professionnels des médias, et au cours des différentes formations auxquelles nous avons participé, déjà avant que la guerre ne commence. Cela a généré beaucoup de débats autour de la question : « les journalistes peuvent-ils rester neutres lorsqu’ils sont témoins de crimes de guerre commis dans leur pays ?« . Comme vous pouvez le comprendre, il est très difficile de rester neutre dans un tel contexte.
L’essentiel est de garder la confiance de notre public. En Ukraine, il n’y a pas seulement une guerre au sens militaire du terme. Il y a une guerre de l’information, c’est-à-dire une guerre pour gagner l’esprit et la confiance des gens. Les journalistes ukrainiens, même s’ils ne peuvent pas toujours rester impartiaux, essaient toujours de fournir des informations basées sur des faits, sur des sources fiables et d’éviter les rumeurs et la désinformation.

FH : Pouvez-vous vous présenter, expliquer ce que vous faisiez avant la guerre et ce que vous faites maintenant pour soutenir les médias et les journalistes locaux avec la Fondation Hirondelle ?

OS : Je travaillais en tant que directeur de programme de l’Institut pour les médias et l’information régionale (IRMI), une organisation de la société civile basée à Kharkiv. Elle a été fondée par plusieurs experts d’Ukraine et de pays de l’UE qui ont beaucoup travaillé sur la formation des journalistes en Ukraine. Nous proposons une formation de milieu de carrière et une aide à la formation pour les professionnels des médias et les responsables de l’information publique, ainsi que pour les organisations de la société civile, afin de mettre en place des campagnes à faible coût et à fort impact. Nous travaillons dans toutes les régions d’Ukraine.

Le projet que nous avons élaboré avec la Fondation Hirondelle comporte deux volets. Le premier consiste à soutenir les journalistes qui couvrent les procès pour crimes de guerre. Avec l’équipe de rédaction de JusticeInfo.net, le site de la Fondation Hirondelle sur la justice internationale et transitionnelle, nous soutenons un réseau de journalistes ukrainiens qui couvrent ces questions et nous les aidons à développer leurs capacités. Nous leur fournissons également du matériel. L’équipe de JusticeInfo a dispensé une formation à Kiev en juillet, qui a été très appréciée (plus d’informations sur cette formation ici).

« Plus les journalistes font leur travail, plus les gens ont de chances d’organiser leur vie en toute sécurité »

Le deuxième volet du projet de la Fondation Hirondelle consiste à fournir un financement d’urgence flexible à un groupe de médias ukrainiens indépendants. Nous avons pu impliquer de nombreuses parties prenantes pour éclairer notre décision sur les personnes à soutenir. Les bénéficiaires n’ont pas été désignés par la Fondation Hirondelle seule, mais en partenariat avec plusieurs organisations de médias ukrainiennes et des experts indépendants. Nous soutenons à la fois les médias nationaux et régionaux. Neuf des 16 bénéficiaires que nous avons soutenus sont originaires des régions les plus touchées (6 viennent des territoires occupés). Neuf sur 16 ont dû se relocaliser totalement ou partiellement. Grâce à notre soutien de 6 mois, ces médias ont réussi à stabiliser leurs conditions financières et à payer les salaires de leurs reporters. En outre, 11 des 16 médias ont pu embaucher du personnel supplémentaire. Un autre résultat important est que la plupart des médias ont augmenté la quantité de contenu produit et amélioré sa qualité. La plupart d’entre eux ont ainsi augmenté leur audience.

Notre nouveau projet a débuté en octobre. Il s’appuie sur l’expérience acquise au cours de ces six derniers mois, mais aussi sur ce que les journalistes demandent maintenant, sur la base de l’évaluation des besoins que nous avons réalisée ici. Nous essayons d’être très réactifs et de concevoir nos projets en fonction des besoins réels des médias. Nous sommes reconnaissants à nos donateurs (la Chaîne du Bonheur et d’autres donateurs privés suisses) car ils nous permettent la flexibilité dont nous avons besoin pour être efficaces dans un contexte aussi incertain et sensible.

FH : Pourquoi est-il plus important que jamais de soutenir le journalisme face à la guerre en Ukraine ?

OS : Les gens ont besoin d’informations. Ils ont besoin d’informations pour survivre. Plus les journalistes font leur travail, plus les gens ont de chances d’organiser leur vie en toute sécurité, surtout dans les territoires occupés. Là où les gens vivent isolés, où ils sont exposés à beaucoup de désinformation, il est très important qu’ils sachent qu’ils ne sont pas oubliés par leur pays. Il est également vital qu’ils aient accès à des informations importantes et fiables qui les aident à comprendre comment se comporter dans une telle situation, comment sauver leur vie, comment évacuer s’il y a une possibilité. L’information les aide à vivre et à survivre. Pour les journalistes, il est donc d’autant plus important de trouver de nouveaux canaux et de nouvelles façons de fournir ces informations. Et c’est là que nous les aidons également et que nous leur apportons notre soutien.

Propos recueillis le 7 octobre 2022

https://www.hirondelle.org/fr/

Header photo : Une journaliste et un caméraman du média ukrainien espreso.tv en reportage à l’aéroport d’Hostomel, le 8 avril 2022. ©Lâm Duc Hiên / Agence VU’ pour la Fondation Hirondelle.

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