Dans la problématique énergie-climat, le secteur du bâtiment (résidentiel et tertiaire) présente une particularité : parmi les divers secteurs de consommation d’énergie, il est proportionnellement moins émetteur de GES (1) que consommateur d’énergie. Ces performances relativement bonnes en termes de lutte contre le changement climatique sont à pondérer par une évolution récente qui peut paraître paradoxale. Explications.
Alors que le Grenelle de l’Environnement (2008-2010), puis la loi relative à la Transition énergétique pour la croissance verte (TECV), du 18 août 2015, ont donné une priorité haute aux actions concernant les bâtiments, et malgré les efforts financiers consacrés à leur rénovation (2), les indicateurs de suivi de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) publiés en janvier 2018 par le ministère de la Transition écologique et solidaire indiquaient un dépassement de 11 % des émissions de gaz à effet de serre de ce secteur en 2016, par rapport au plafond annuel indicatif qui lui avait été fixé. La consommation d’énergie du résidentiel-tertiaire, qui a peu varié ces dernières années, s’élève à 67 Mtep par an (3), se répartissant entre 26 Mtep d’électricité (300 TWh), 11 Mtep d’énergies renouvelables thermiques et 30 Mtep d’énergies fossiles (dont deux-tiers de gaz, équivalant à 265 TWh PCS (4)) (données corrigées des variations climatiques).
Les économies d’énergies fossiles sont relativement plus rapides à réaliser et moins coûteuses à engager dans ce secteur que dans d’autres, comme celui des transports. Mais la mise en œuvre de la rénovation thermique des bâtiments se heurte à une extraordinaire hétérogénéité : des situations (bâtiments neufs ou anciens, publics ou privés, loués ou non, à usage d’habitation ou professionnels, citadins ou ruraux, etc.), des métiers (énergéticiens, maçons, bureaux d’études, architectes, financeurs, etc.) et du droit, à la fois national et local, qui a sédimenté, souvent depuis des générations, des dispositions relatives à la fiscalité, à l’urbanisme, au bon voisinage, à l’esthétique, à la conservation du patrimoine, etc.
Les législations successives, comme les réglementations thermiques efficaces surtout pour les bâtiments neufs, les mesures de soutien à la rénovation thermique et les plans qui les ont accompagnées ont visé simultanément trois objectifs :
1) l’amélioration des performances énergétiques (conjuguée, en particulier, avec une volonté exprimée sous plusieurs formes – parfois maladroitement – d’agir en faveur de la sécurité de l’approvisionnement énergétique),
2) le soutien à un secteur économique crucial pour l’emploi et la croissance (selon l’adage « Quand le bâtiment va, tout va ! »)
3) la réduction des précarités, notamment énergétique.
Au niveau européen, les directives Éco-conception (de 2009), Performance énergétique des bâtiments (de 2010) et Efficacité énergétique (de 2012) poursuivaient les mêmes buts, et la Commission européenne plaide en faveur d’un relèvement de leur ambition à la suite de la publication du Paquet législatif « Une énergie propre pour tous les Européens » (novembre 2016). L’innovation, tant dans les technologies que dans les modes de financement, est active dans le domaine de la rénovation énergétique et a tendance à modifier la donne par rapport à un passé récent dans lequel la contrainte et les subventions étaient considérées comme étant quasiment les seules voies d’amélioration possibles. Il s’ensuit des perspectives encourageantes de « changement de braquet » et d’atteinte des objectifs ambitieux fixés par la loi TECV. Le bâtiment est en effet un secteur clé pour une transition énergétique qui à la fois concoure à la décarbonation de la société française et soit solidaire et inclusive.
Au moment où, après une vaste consultation des parties prenantes, le gouvernement lance un nouveau « Plan Rénovation énergétique des bâtiments », qui va s’ajouter au « Plan Bâtiment durable », au « Plan d’action pour la qualité de la construction et la transition énergétique », au « Plan Transition numérique pour le bâtiment », etc., il est important de s’accorder sur les objectifs de cette transition.
Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, avait déclaré, lors de sa présentation en Conseil des ministres du projet de loi relatif à la Transition énergétique pour la croissance verte, le 30 juillet 2014 : « La transition énergétique vise à préparer l’après-pétrole et à instaurer un nouveau modèle énergétique français plus robuste et plus durable face aux enjeux d’approvisionnement en énergie, à l’évolution des prix, à l’épuisement des ressources et aux impératifs de la protection de l’environnement ».
La lutte contre le changement climatique fait bien évidemment partie de ces objectifs et la réduction des émissions de GES devrait donc être une préoccupation centrale des plans existants ou à venir, ainsi que des nombreux dispositifs contraignants ou incitatifs les accompagnant.
Le dernier numéro de Responsabilité & Environnement, consacré au Bâtiment dans la transition énergétique, s’efforce d’identifier les spécificités de ce secteur, les difficultés auxquelles il est confronté et les remèdes susceptibles d’y être apportés, ainsi que les opportunités, notamment en termes de compétitivité économique, qui s’offrent à lui pour participer au grand chantier écologique de ce début du XXIe siècle.
Fortement exposées à la réglementation, au moins pour la construction, qui fait l’objet d’un article spécifique dans le présent numéro, ainsi qu’à diverses incitations fiscales (CITE, prêt à taux zéro, TVA réduite, etc.) ou à des subventions, les performances énergétiques d’un bâtiment, neuf ou ancien, dépendent aussi des comportements de ses habitants/ occupants et de ses caractéristiques (résidence principale ou secondaire, usage professionnel, chauffage individuel ou collectif, mode de chauffage, etc.).
À ce titre, Marie-Christine Zélem apporte son regard de sociologue, qui nous permet de mieux comprendre les inerties qui freinent la transformation de nos bâtiments. Se plaçant sur un autre plan, Yamina Saheb défend un nouveau modèle d’industrialisation du secteur de la rénovation énergétique des bâtiments grâce à un changement de paradigme facilitant les ruptures technologiques et permettant des rénovations à la fois globales et performantes.
D’autres articles complètent ces exemples et témoignent du dynamisme et de l’imagination des parties prenantes pour placer le bâtiment au cœur de la transition énergétique.
Le choix éditorial qui a présidé à la mise au point de ce numéro a amené à distinguer trois parties : l L’énergie dans le bâtiment : un état des lieux ; l Les acteurs de la construction et les utilisateurs des bâtiments ; l Les perspectives technologiques.
Mireille CAMPANA et Richard LAVERGNE – Conseil général de l’Économie pour Le magazine Responsabilité & Environnement, AVRIL 2018 – N°90 – © Annales des Mines
(1) Gaz à effet de serre.
(2) En 2017, l’Agence nationale de l’Habitat (ANAH) a ainsi procédé à la rénovation énergétique de 52 000 logements.
(3) Source : CGDD-SDES.
(4) Pouvoir calorifique supérieur
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