Principalement alimentée par les mobilités – migrations et exode rural – la croissance urbaine mondiale affiche depuis le milieu du XXe siècle un rythme soutenu. Près de 70 % de la population vivra en ville d’ici 2050, selon l’ONU. C’est-à-dire dans moins d’une génération. La croissance rapide et incontrôlée de la population et des superficies urbaines entre en conflit avec les objectifs de développement durable (ODD), définis en 2015 par les Nations unies. Penser la ville du futur dans une perspective soutenable est donc devenu l’un des principaux défis du XXIe siècle.
Le 31 octobre dernier, la journée mondiale des villes était placée sous le mot d’ordre « construire des villes durables et résilientes ». « Chaque semaine, 1,4 million de personnes s’installent en ville », a souligné à cette occasion Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU. « Cette urbanisation effrénée peut mettre à rude épreuve les capacités des collectivités, les rendant plus vulnérables aux catastrophes dues à l’homme ou à la nature ».
Séismes, tsunamis, épidémies : des villes plus vulnérables
Les populations qui migrent privilégient majoritairement des villes déjà massives. Alors que cinq villes seulement dépassaient les 10 millions d’habitants en 1975, elles étaient 30, en 2018, à héberger un total de 485 millions d’habitants – dont 19 dans la zone intertropicale et 22 sur les côtes ou les zones à risque. Les villes de plus d’un million d’habitants, quant à elles, sont passées de 86 à 600 au cours des 70 dernières années.
Or ces mastodontes agrègent non seulement les incommodités propres à la forte densité, mais favorisent la vulnérabilité face aux menaces naturelles et climatiques – séismes, tsunamis, épidémies, inondations, tornades, glissements de terrain – auxquelles s’ajoutent les risques créés par les activités humaines – pollutions ou catastrophes industrielles, entre autres.
Certaines villes, telles que Lagos, Istanbul ou Osaka, sont ainsi exposées au « multi-risque », c’est-à-dire à la fois aux inondations, aux séismes, aux tsunamis, ou encore aux glissements de terrain.
L’uniformisation de notre alimentation
Par ailleurs, le fort déséquilibre qui se développe entre zones urbaines et rurales représente un enjeu crucial pour la sécurité alimentaire. Alors que le nombre d’agriculteurs est en chute libre, la production alimentaire se mondialise et uniformise les modes de consommation.
Selon la Fondation pour la Nature et l’Homme, les trois quarts de notre alimentation urbaine sont composés de douze espèces végétales et cinq espèces animales seulement. Un manque de diversité alimentaire qui n’est pas sans répercussions sur la santé des populations et la durabilité de nos systèmes agricoles.
Multiplication des bidonvilles
La dérégulation et l’absence de politiques urbaines génèrent parallèlement le développement de fortes inégalités au sein même des villes : autour de 40 % de la croissance urbaine dans les villes du Sud passe par des habitats non consolidés et un accès limité voire inexistant aux services de base. La ville de Mexico compte ainsi 4 millions d’habitants vivant dans des bidonvilles, contre 3,3 millions au Caire. Quant à l’Afrique, 61 % de la population urbaine vit dans les bidonvilles.
Il y a donc, non seulement pour des questions environnementales, mais également de développement humain, une urgence à penser ces problématiques. À la fois pour les grandes villes, mais aussi pour les petites et les moyennes : confrontées aux mêmes enjeux, celles-ci ne disposent pas des mêmes ressources pour y faire face mais sont pourtant le laboratoire de solutions innovantes intéressantes : elles incitent notamment à un changement des modes de gouvernance et à une implication plus forte de la société civile – voir par exemple les initiatives de Mercociudades, réseau qui englobe 400 communes urbaines d’Amérique du Sud.
Quelle réponse internationale ?
Face à ces risques, les organismes internationaux recherchent eux aussi des solutions. De nombreuses initiatives tentent ainsi d’accompagner les États vers des démarches en faveur de la ville durable. Les Objectifs du développement durable ou la Stratégie méditerranéenne de développement durable réalisée par le Plan d’action pour la Méditerranée en sont des illustrations.
La COP21 a également encouragé la mobilisation des gouvernements locaux : lors de la rencontre de décembre 2015, un sommet des maires avait débouché sur la création du C40 – qui réunit les 85 agglomérations les plus grandes du monde – du 100 Resilient Cities – une idée de la Fondation Rockfeller – ou encore du Mercociudades.
Cette implication nouvelle des collectivités illustre une prise de conscience sur la nécessité d’agir. Toutefois, elle montre également que la situation appelle des solutions contextualisées, sur mesure, et des modes d’action auxquels les institutions ne sont pas formées.
Car à la différence des grands modèles de développement des années 1990 ou 2000, il n’y a plus de solution toute faite. L’émergence de la ville durable prendra donc du temps et demandera des efforts d’innovation et de réflexion considérables à ses architectes.
En Algérie, une cité « éco-citoyenne »
Les nouvelles propositions internationales de politiques urbaines, tels que les ODD ou Habitat III, en tiennent d’ailleurs compte, et tentent d’assouplir leurs cadres pour les gouvernements.
Les campagnes de projets – comme la campagne urbaine mondiale lancée après la conférence Hapitat II de 1996, qui vise à échanger des expériences, ou l’initiative pour les villes et le changement climatique pour renforcer la capacité d’adaptation des villes dans les pays en développement – souhaitent avant tout promouvoir des initiatives locales et sensibiliser les citoyens, par des expériences participatives et à l’échelle des moyens locaux.
Améliorer les espaces publics peut constituer le premier pas vers une prise de conscience collective, comme ce fut dans une certaine mesure le cas à Medellín, en Colombie. En Algérie, la construction du Ksar Tafilelt, une ville nouvelle de plus de 10000 habitants à Ghardaïa, fut possible grâce à la société civile, car le projet mêlait traditions locales et modernité, et visait un objectif de bien-vivre.
Réponse locale aux problèmes environnementaux
Les études sur les mécanismes et l’impact du changement climatique, si elles sont importantes, intéressent peu les populations et les institutions de pays du sud, car elles sont menées à des échelles trop larges. Le développement économique et la lutte contre la pauvreté restent les priorités.
En mobilisant les sciences sociales et politiques, la recherche doit se pencher sur les réponses locales aux problèmes environnementaux. Dans les villes en particulier, c’est sur les modes de vie et l’éducation que les chercheurs peuvent aider à construire des modalités d’agir. Il s’agit de s’intéresser aux modifications des régimes alimentaires, aux comportements énergétiques, aux habitudes de transports, aux perceptions du cadre de vie, et d’identifier les leviers de l’action et les facteurs de blocage.
Il n’y a pas de recherche sur le changement climatique sans une participation conjointe des institutions, de la société civile, et des entreprises. C’est ainsi que les politiques publiques pourront évoluer vers de l’action locale et soutenue. L’agenda de la recherche doit donc se déplacer vers les modalités de l’action.
Hubert Mazurek, Director of Research, Institut de recherche pour le développement (IRD) Avec la participation de Elkin Velásquez Monsalve, directeur du bureau régional pour les Caraïbes et l’Amérique Latine (ROLAC), ONU-Habitat, est co-auteur de cet article.
Image d’en-tête : Manille, Philippines / © AFP 2018 NOEL CELIS
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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