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« Géométries du silence » de Béatrice Helg

L’artiste photographe suisse Béatrice Helg s’impose comme une figure singulière dans l’histoire de la photographie mise en scène. En effet, loin des approches hyperréalistes ou narratives, l’artiste développe dès les années 1980 une écriture spécifique mêlant espace, lumière et matière, qui lui vaudra une reconnaissance internationale. Influencée par l’avant-garde russe et le constructivisme, passionnée de musique, sensible aux notions d’espace et de temps, à l’architecture, à la mise en scène de théâtre et d’opéra, Béatrice Helg crée dans son atelier des installations où la sculpture, la peinture, la mise en scène et surtout la lumière interagissent. Ainsi, l’œuvre de Béatrice Helg est accueilli dans le projet du musée Réattu d’Arles inscrit au programme Associé des Rencontres d’Arles 2025, du 5 juillet au 5 octobre 2025, pour la plus vaste monographie jamais consacrée à l’artiste.

Béatrice Helg compose des installations à partir de matériaux de récupération ou de matières qu’elle imagine et façonne spécialement pour la prise de vue. La lumière devient ici le matériau essentiel. Elle est le médium par lequel toute révélation est possible. Pour Béatrice Helg : « La photographie est une écriture de lumière – de l’obscur et de la lumière dans l’espace. Elle me permet d’explorer l’invisible, l’insoupçonné, l’espace du dedans. C’est une autre manière d’appréhender, de questionner le réel, la vie, le monde. […] Cette écriture, que je n’ai pas choisie, s’est très vite imposée à moi. Elle me donne la possibilité d’exprimer des sentiments, de transmettre des sensations, des pensées que je ne saurais évoquer par une photographie de la réalité, ou par des mots… »

Sculptures ou architectures éphémères, ses œuvres monumentales émergent des profondeurs du silence, elles dévoilent des univers d’ombre et de clarté d’une étrange beauté, aussi poétiques que spirituels. On y pénètre et l’on s’y perd entre l’éblouissement et le noir abyssal ! L’œuvre de Béatrice Helg ouvre sur un infini, sur une quête d’absolu ou la recherche d’un mystère intérieur.

Sentir la beauté, c’est donc participer à l’abstraction à travers un agent particulier. En un sens, c’est un reflet de l’infini de la réalité. » 
Mark Rothko, La réalité de l’artiste, 2004

La création, sous toutes ses formes, est l’expression de la liberté de pensée et doit le rester. Dans un monde en proie à de profondes crises, il paraît essentiel d’inviter le public à une réflexion intérieure. L’art propose de nouveaux horizons, des « possibles ». Dans ce contexte, l’exposition de Béatrice Helg répond avec justesse à cette nécessité.

Equilibre-V, 2001

L’exposition

Cette exposition – la plus vaste monographie jamais consacrée à l’œuvre de Béatrice Helg – présente un corpus de plus de 70 photographies réalisées au cours des 35 dernières années. Elle réunit des tirages vintages d’une qualité exceptionnelle d’œuvres emblématiques et de créations inédites, principalement de grand format.
L’exposition investit l’ensemble des salles dédiées aux expositions temporaires des premiers et deuxièmes étages du musée, pour s’achever dans la Chapelle du Grand
Prieuré de l’Ordre de Malte. Conçue pour faire dialoguer les œuvres avec l’architecture du lieu, la scénographie s’affranchit de toute chronologie. Dans les salles du premier étage, le visiteur découvre une sélection d’œuvres récentes des séries Cosmos (2013-2023), Résonance (2017- 2022) et Natura (2023-2025).

Pour l’astrophysicien français Jean-Pierre Luminet, « contempler l’œuvre photographique de Béatrice Helg, c’est en effet être reçu dans son “rêve d’univers” […]

De l’ombre à la lumière, tel est le leitmotiv. Présence permanente de l’une et de l’autre, équilibre puis déséquilibre, passage de l’une à l’autre, et vice-versa : c’est toute l’histoire du Cosmos qui est racontée là (1). »

Résonance-VI, 2019

La série Résonance se distingue par une approche résolument abstraite et affirmée. Ici chaque tableau présente des surfaces structurées par des lignes courbes ou droites, des plans de densités et d’intensités chromatiques variées. Dépourvues de toute narration, ces œuvres nous plongent dans une expérience purement cérébrale proche du concept de « cosa mentale » cher à Léonard de Vinci. Ici, la matière créée par l’artiste est indéfinissable, les pigments comme excités par la lumière, s’animent, oscillent imperceptiblement, la spatialité se fait vibrante. « Minimaliste à bien des égards, l’œuvre de Béatrice Helg nous emmène au-delà du visible. » insiste Nathalie Herschdorfer (2), dans le texte « Vibrations et résonances : une œuvre qui invite à l’introspection » dans le catalogue de l’exposition.

Dans NATURA, Béatrice Helg nous rappelle que « l’artiste n’est pas indifférent à ce qui se passe dans le monde – l’urgence climatique est un sujet qui me tient à cœur. » Il y a un côté presque sacré dans ces images, qui évoquent la vulnérabilité de la nature millénaire et tentent de nous rappeler que l’épanouissement de notre esprit, de notre âme, est indissociable de la nature et de notre environnement.
Dans l’espace des collections du musée Réattu, des Esprit froissé (1999-2001), dialoguent avec les Grisailles du Temple de la Raison de Jacques Réattu, aux drapés majestueux.

Esprit froissé-VII

D’autres sont présentés comme des anges gardiens sur la tribune qui surplombe la Chapelle. Dans cette étonnante série, l’artiste semble se rapprocher davantage de la figure humaine.
Certains de ces « Esprits froissés » évoquent un corps féminin (Esprit froissé II, III et VII), ou une créature céleste. Jean-Pierre Luminet, quant à lui, y a perçu une résonance avec les nouvelles représentations de l’univers qu’il élaborait alors dans son livre L’Univers chiffonné.

Au deuxième étage, dans la grande salle surplombant le Rhône, le spectateur, la spectatrice découvre une sélection d’œuvres emblématiques de 1976 à 2013.

Développement d’une écriture
Une sélection d’œuvres anciennes montre comment l’écriture très personnelle de l’artiste s’est affirmée dès ses débuts. Une salle met à l’honneur les séries-THÉÂTRES DE LA LUMIÈRE et SCALA, réalisées dans les années 1990. À travers ces photographies, Béatrice Helg explore la notion de perspective centrale, magnifie l’architecture, ses compositions frontales deviennent plus complexes. L’escalier, motif récurrent et chargé de symbolisme, s’impose comme une métaphore de l’élévation spirituelle.

Chaque « Tableau » ouvre sur l’infini
La pratique de l’artiste est présentée également à travers une sélection de photographies issues de séries telles que Équilibre (1998-2002), Crépuscule (2003-2009), Éveil (2004-2007), Profondeurs (2007-2009), Émergence (2007- 2012) et Éclats (2012-2022).

Crépuscule-XIV, 2006

L’artiste crée des lieux à partir de presque rien : des matériaux bruts, de construction, du métal rouillé marqué par l’empreinte du temps, des feuilles de verre à la transparence incertaine, du papier… Ses constructions n’existent que par la lumière, dans un champ de vision minutieusement choisi et dans l’instant de la photographie. Ce sont des « vues de l’esprit » dont il ne reste que des images. Il ne s’agit pas de transmettre une vision objective de la réalité construite (la décrire n’aurait aucun sens), mais d’aller au-delà. Voilà que l’espace construit se métamorphose. Le sujet – s’il y en a un – se révèle dans le jeu des formes, de la lumière et de l’ombre à travers leurs différentes densités.
Chaque tableau est une fenêtre ouverte sur l’invisible. Le spectateur est invité à en faire sa propre expérience, avec sa mémoire, sa sensibilité et sa capacité d’imaginer.

La puissance suggestive des formes abstraites, à la fois statiques et vibrantes, la résonance du vide qui les entoure se renforcent au fil des années. L’émergence épiphanique des objets est essentiellement suggérée par l’étonnante utilisation de la lumière par la photographe.

Dans son essai pour le catalogue de l’exposition, « L’hésitation moderne », David Campany (3) nous rappelle que « Une rencontre avec une photographie est toujours une rencontre avec ses spécificités en tant qu’objet dans l’“ici et maintenant” et une rencontre latente avec ce que son illusion picturale suggère. »

Ces compositions, d’une précision saisissante, exercent un pouvoir singulier sur le regard du spectateur. Elles interrogent, vertige de l’abîme où toute quête profonde semble converger. Elles séduisent, revendiquant une beauté trop souvent délaissée par l’art contemporain. Elles révèlent : chaque image ouvre sur un infini, offre un espace de contemplation et de découverte.
« Une œuvre aussi hantée par la contradiction entre lumière et obscurité, aussi profondément travaillée par le désir d’absolu et l’aspiration à la beauté ou à la transparence, pourrait-elle d’ailleurs ne pas se tenir nécessairement dans le voisinage de la mort – fût-ce pour la sublimer, et la dissoudre en art ? » s’interroge la poète, essayiste et critique suisse Sylviane Dupuis dans le catalogue d’exposition Mirages de l’infini : photographies 1981-2010 (4).

L’exposition se conclut dans la Chapelle où domine le Cosmos XVIII, 2018, œuvre lumineuse, monumentale et mystique à la fois.

Commissariat

  • Daniel Rouvier, Conservateur en Chef du Patrimoine et directeur du musée Réattu. Spécialisé en égyptologie, sa formation universitaire l’a ouvert à toutes les formes d’arts et périodes artistiques. En tant que commissaire, il participe à l’élaboration d’expositions et de publications comme « XL, les quarante ans de la collection photographique » en 2005, « Georges Rousse » en 2006, « Dieter Appelt » en 2007, « Katerina Jebb – Deus ex machina », « Jacques Réattu arelatensis » en 2017, « Alfred Latour – cadrer son temps » en 2018, « Annabel Aoun Blanco – Eloigne moi de toi », « We were Five » en 2019, « Graziano Arici – Now is the winter of our Discontent » en 2021, « Annabel Aoun Blanco – Coups après coups » en 2022, « Jacques Léonard, L’esprit nomade » en 2023, « Alfred Latour. Regard sur la forme », « Jean-Claude Gautrand. Libres expressions» en 2024.
  • Béatrice Helg

Béatrice HELG

Née à Genève (Suisse) en 1956, Béatrice Helg poursuit des études de violoncelle au Conservatoire de musique de Genève. De 1976 à 1978, elle étudie la photographie au California College of Arts and Crafts, Oakland, et au Brooks Institute, Santa Barbara, Californie. En 1978-1979, elle poursuit sa formation à l’International Center of Photography (ICP) à New York. Elle participe à l’organisation de Venezia’79 – la Fotografia à Venise. En 1981-1982, elle intègre le département des expositions d’ICP
à New York. Béatrice Helg vit et travaille à Genève.

Expositions personnelles :
Près de 70 expositions personnelles ont été dédiées à son œuvre en Europe, aux États-Unis et au Japon parmi lesquelles une exposition au Palazzo Fortuny, Venise ; à l’IVAM – Institut Valencià d’Art Modern, Valence ; au musée Tinguely, Bâle ; au musée de l’Élysée, Lausanne ; au musée de la photographie, Charleroi ; à The Photographer’s Gallery, Londres ; au Museum of Contemporary Photography, Chicago ; au Southeast Museum of Photography, Daytona Beach, Floride ; ainsi qu’au Museum of Photographic Arts, San Diego.
Parmi les expositions dans des galeries, citons la galerie Thessa Herold, Paris ; la galerie Jan Krugier, Genève et New York ; la galerie Sonia Zannettacci, Genève ; Ditesheim & Maffei Fine Arts, Neuchâtel ; Photo & Contemporary, Turin ; The Witkin Gallery, Inc., New York ; la Joel Soroka Gallery, Aspen ; la Robert Klein Gallery, Boston ; la Joseph Bellows Gallery, La Jolla ; et la Konishiroku Photo Gallery, Tokyo.
Dans les festivals, relevons une exposition personnelle dans le cadre de FotoFest—The International Month of Photography, Houston, 1988 ; ainsi qu’aux Rencontres d’Arles 2006.

Collections publiques :
Ses œuvres figurent dans de nombreuses collections publiques renommées : musée Réattu, Arles ; Bibliothèque nationale de France et Maison européenne de la photographie, Paris ; Fondation Martin Bodmer, Cologny (Genève) ; Photo Elysée, Lausanne ; IVAM – Institut Valencià d’Art Modern, Valence, Espagne ; Brooklyn Museum et International Center of Photography, New York ; Los Angeles County Museum of Art, Minneapolis Institute of Art, et Museum of Fine Arts, Houston ; Art Gallery of Ontario, Toronto ; Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Publication
Parmi ses récentes publications, citons l’importante monographie Béatrice Helg enrichie d’un poème-dédicace de Robert Wilson, de textes de Serge Linarès et Philippe Piguet, un poème de Sylviane Dupuis parue chez 5 Continents Editions, Milan, 2019.

Exposition « Géométries du silence » de Béatrice Helg, du 5 juillet au 5 octobre 2025 – Musée Réattu, Ancien Grand Prieuré de l’Ordre de Malte, 10 rue du Grand Prieuré – 13200 Arles

==> Vernissage : le samedi 5 juillet 2025 – 19h

(1) Jean-Pierre Luminet, « Cécité voyante », dans Béatrice Helg – De l’ombre à la lumière, cat. exp., galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Genève, 2002.
(2) Nathalie Herschdorfer, Conservatrice et Historienne de l’art, spécialisée dans l’histoire de la photographie, Directrice du musée Photo Elysée, Lausanne, Suisse…
(3) David Campany, Directeur artistique à l’International Center of Photography (ICP), New York ; Commissaire d’exposition, Auteur et Professeur.

(4) Sylviane Dupuis, « Mirages de l’infini : Les théâtres subjectifs de Béatrice Helg », dans Mirages de l’infini : photographies 1981-2010, cat. exp., galerie Thessa Herold, Paris, 2010.

Photo d’en-tête : Cosmos XVIII, 2018 Béatrice Helg

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