Les épidémies comme Zika portées par les moustiques amènent à développer des réponses d’urgence. Organismes tueurs transgéniques, stérilisation de masse, missiles génétiques… les biotechs partent à l’assaut du moustique tigre. Les pistes envisagées sont-elles efficaces ? Sont-elles soutenables ou éminemment dangereuses ? Peut-on impunément agir massivement sur les populations d’insectes ? Comment structurer la biosécurité que l’on est en droit d’attendre ? Faut-il créer un « GIEC des biotechnologies » ? Examen des solutions en expérimentation.
Les experts estiment qu’en 2016, quatre millions de personnes pourraient être infectées par le virus Zika en Amérique latine. Cette grave épidémie vient hypothéquer la tenue des Jeux olympiques, prévus du 5 au 21 août à Rio de Janeiro. Et fait craindre une émergence de la maladie en Europe, transmise par le moustique Aedes aegypti dont les aires géographiques s’étendent vers le nord avec … le réchauffement climatique. Des cas de chigungunya transmis par le même insecte ont été recensés en Allemagne, en Italie, en Espagne et en France métropolitaine (450 cas déclarés). Ainsi les maladies récurrentes des pays tropicaux, le paludisme, la dengue, le chikingunya, le typhus, la fièvre jeune et le Zika aujourd’hui, constituent des menaces croissantes en Europe.
De ce fait, le contrôle des moustiques vecteurs de maladies humaines représente un enjeu sanitaire mondial. Leur capacité à résister aux traitements insecticides menace aujourd’hui la prévention des épidémies. Des chercheurs du CNRS, de l’IRD, de l’université Claude Bernard Lyon 1, de l’université Joseph Fourier de Grenoble et de l’Institut Pasteur de la Guyane ont montré que plus les insectes sont exposés à des produits censés les détruire, plus leur panoplie de riposte enzymatique est efficace. Cet « apprentissage » doit nous alerter sur l’usage des pesticides qui facilite le contournement. Publiés le 23 juillet 2015 dans la revue Genome Research, les travaux de ces équipes ont amorcé la création d’un consortium regroupant plus de 40 pays et 10 institutions afin de réaliser la première cartographie mondiale des mécanismes de la résistance des moustiques aux insecticides (Consortium WIRED : Worldwide mapping of Insecticide REsistance in Dengue vectors). Cette initiative de grande envergure a déjà reçu le soutien de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La France avec ses territoires d’outre-mer et leurs épidémies récurrentes de dengue et de chikungunya, explore des solutions anti-vectorielles nouvelles. En 2005-2006, lors de l’épidémie de chikungunya à La Réunion, une sous-espèce de la bactérie Bacillus thuringiensis (Bti) a été utilisée en remplacement de l’insecticide téméphos dans la lutte contre les moustiques. Mais le plus gros effort a été mis dans un programme original appelé TIS ou Technique du mâle stérile. Une démarche initiée dès les années 50 par les entomologistes américains Raymond Bushland et Edward Knipling et qui s’est avérée efficace dans la lutte contre la Lucilie bouchère (qui pond dans les plaies) en Afrique et contre la mouche des fruits en Espagne. Encore fallait-il l’adapter aux moustiques …
Démarré en 2009, le programme TIS a été déployé par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en lien avec le Centre de Recherche et de Vieille sur les maladies émergentes dans l’Océan Indien (CRVOI), les partenaires nationaux (CIRAD, CNRS, CVT-SUD, ARS et Université de la Réunion) et internationaux (AIEA). Les chercheurs ont mis en place les protocoles pour élever et stériliser en masse des moustiques de sexe masculin, grâce à une irradiation aux rayons gamma ou aux rayons X.
L’objectif est de lâcher ces insectes dans la nature en quantité 5 à 10 fois supérieure à celle des mâles sauvages. Ils s’accouplent alors avec les femelles, qui sont les seules à piquer l’homme. La femelle stocke le sperme stérile lors de son premier accouplement et le conserve toute sa vie. L’absence de descendance doit ainsi faire chuter les populations d’Aedes albopictus, présents à la Réunion. « Les protocoles d’élevage, de séparation de sexe (sexage), de stérilisation (taux de stérilité obtenu de plus de 95% au sein de la population) ont été mis au point à la Réunion, précise Louis-Clément Gouagna, coordinateur du programme pour l’IRD, à St Denis. Les études ont démontré une bonne compétitivité sexuelle des mâles stérilisés par irradiation face aux mâles sauvages ». Une bonne nouvelle car on craint toujours que la stérilisation affaiblisse les insectes…
Le projet qui a déjà coûté trois millions d’euros attend un financement complémentaire de 2 millions afin de réaliser des lâchers-tests et tester leur efficacité en situation réelle.
Interrogé sur la stratégie TIS, Louis-Clément Gouagna considère que c’est la plus maîtrisée des techniques d’intervention sur les moustiques. « On évite toute diffusion de patrimoine génétique avec la stérilisation par irradiation, estime le chercheur. Cela s’apparente à de la lutte biologique, avec un impact moindre que les trois autres solutions de stérilisation. Selon Louis-Clément Gouagna, « la voie chimique peut conduire à des résidus néfastes sur d’autres organismes, la voie infectieuse en recourant à une bactérie comme la Wolbachia – testée en Australie – n’est pas anodine. Enfin la voie génétique est très difficile à faire passer du point de vue réglementaire ».
La firme britannique Oxitec est très active sur le marché de la production d’insectes transgéniques. Au Brésil, dans son usine de Campinas (Etat de Sao Paulo), la start-up d’Oxford produit, avec le soutien de son partenaire brésilien Moscamed, des Aedes Aegypti mâles qui transmettent à leur descendance un gène inhibiteur de croissance des larves. Une expérimentation à grande échelle est en cours dans la ville de Piracicaba. D’avril à décembre 2015, ont été réalisés trois lâchers de moustiques OGM par semaine. Andrew Mc Kemey, directeur d’Oxitec, a affirmé qu’une baisse de 82% des populations d’Aedes Aegypti était observée dans les quartiers Cecap-Eldorado traités.
De précédents essais menés dans l’Etat de Bahi depuis 2011 semblent aussi positifs, attestant d’une baisse d’au moins 92% des populations de moustiques ciblées. Oxitec a aussi fait des expérimentations aux îles Caïman, à Panama et en Malaisie où les habitants ont manifesté des réactions mitigées.
Bien sûr, le recours à des organismes génétiquement modifiés pose des questions de maîtrise et de sécurité. Pour l’heure l’OMS n’a pas pris position à ce sujet. On attend l’avis de la Food and Drug Administration (FDA) et en France celui du Haut Conseil aux biotechnologies (HCB) saisie sur cette question.
Toujours est-il que les activistes sont sur le pied de guerre : en Floride, une pétition hostile a recueilli plus de 25 000 signatures, alors même que cet Etat pourrait être soumis à une épidémie de dengue…
De nombreuses associations craignent une contamination des espèces sauvages par les transgènes ou les déséquilibres d’une éradication trop brutale d’insectes, laissant place à de nouveaux envahisseurs pouvant être encore plus dangereux.
Les travaux menés à l’Imperial College de Londres sur l’Anophèle gambiae, moustique vecteur du Plasmodium falciparum qui donne le paludisme, font polémique. Andrea Crisanti et Tony Nolan ont réussi à empêcher l’installation du plasmodium chez son hôte en répandant un gène récessif de stérilité. La technique consiste à coupler le gène d’intérêt à un gène dit « égoïste ». Ce dernier réalise un « forçage génétique » (gene drive) c’est-à-dire qu’il ne transmet le transgène qui lui a été greffé, non pas une fois sur deux, comme le veulent les lois de Mendel mais systématiquement à chacun de ses descendants. Ces résultats publiés en décembre 2015 dans Nature Biotechnology aboutissent à l’éradication pure et simple de ces moustiques à brève échéance.
L’équipe concurrente californienne d’Anthony James a réalisé la même démarche mais avec un gène de résistance à l’hébergement du Plasmodium (travaux publiés dans PNAS en novembre 2015).
Chaque fois qu’un animal modifié s’accouple, il transmet la résistance rendant les populations d’insectes incapables d’héberger le parasite. Ici le résultat est un « nettoyage » des populations d’insectes concernés devenus incapables de porter donc de transmettre le paludisme.
Ces deux stratégies ont chacune leurs avantages et inconvénients : la première ne laisse pas de transgènes artificiels circuler mais risque de générer un vide d’insectes rapidement supplantés par de nouvelles espèces. La seconde maintient les populations de moustiques mais permet la transmission des transgènes introduits. Dans ces « coups de massue technologiques », il s’agit de toute façon d’une course de vitesse dans laquelle peut aussi intervenir les mutations des virus porteurs des maladies….
Face à la puissance de ces outils de transformations génétiques des vecteurs de maladies, les évaluations environnementales sont à structurer rapidement. Outre les effets imprévisibles de la disparition des moustiques – qui jouent un rôle dans les chaînes trophiques – on peut craindre aussi des « transferts latéraux » c’est-à-dire le passage des gènes greffés à d’autres organismes que les moustiques.
L’estimation des bénéfices et des risques va exiger un travail de recherche pluridisciplinaire, collégial et international. Il n’y a pas de frontières en effet pour les organismes vivants, ce qui nécessite d’aborder ces questions de sécurité au niveau d’une sorte de « GIEC des biotechnologies ». Pour le président du comité d’éthique de l’Inserm, Hervé Chneiweiss, « Nous aurons besoin d’une instance politique, intergouvernementale et associant les pays du Sud, puisque ce sont eux les premiers concernés, sur le modèle de celle qui a adopté l’accord de la COP21 ».
Pour faire face, l’Europe vient d’allouer dix millions d’euros du budget de l’UE pour cette nouvelle urgence sanitaire. Le 15 février, l’exécutif européen et certains États membres (la Belgique, la République tchèque, la Finlande, la France, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et les Pays-Bas) ont annoncé le lancement d’un corps médical capable de mobiliser du personnel lors de situations d’urgence dans l’UE et à l’étranger. Ce dernier pourrait comporter des équipes médicales d’urgence, des experts en santé publique et en coordination médicale, des laboratoires de biosécurité mobiles, des avions consacrés aux opérations d’évacuation sanitaire et des équipes d’appui logistique, afin d’assurer une réponse plus rapide et plus efficace face aux crises sanitaires.
De son côté, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a créé sa propre équipe de conseils aux entreprises européennes qui travaillent sur le développement d’un vaccin.
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