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Mark Zuckerberg : bad boy, bon garçon ou sauveur du monde ?

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Il est sans doute l’homme le plus puissant du monde. A la tête d’un empire de plus de deux milliards de sujets qui lui vouent un culte quotidien. Mais c’est aussi, depuis quelques mois, l’homme le plus décrié du monde. Son chef d’œuvre, Facebook, semble être devenu un monstre incontrôlable débordé par la masse de données et d’influence qu’il a accumulée et ne peut plus maîtriser. Mark Zuckerberg, le libertaire patiné d’ultralibéralisme en appelle alors, la main sur le cœur, à la régulation des États. Un comble, découvert dans une tribune publiée ce dimanche dans plusieurs grands médias. Mais quasiment en même temps, on apprend que ‘Zuck’, comme on l’appelle aimablement, a d’autres ambitions, d’une ampleur sans précédent. Il veut battre monnaie. Son projet est de conférer une légitimité politique supranationale à sa firme. Une monnaie Facebook stable et non spéculative, qui pourrait sauver le monde. Tentative de décryptage de ce qui se passe dans la tête de cet homme, génie ou fou, mais singulièrement énigmatique.
 
La tribune signée de Mark Zuckerberg, le patron mythique de Facebook et publiée ce dimanche 31 mars dans plusieurs médias dont le Washington Post aux Etats-Unis, le Frankfurter Allgemeine Zeitung en Allemagne et Le Journal du dimanche en France n’a pas manqué d’intriguer les éditorialistes. Venant après l’affaire Cambridge Analytica et une série de déboires accusant Facebook de devenir un monstre non seulement incontrôlable mais dangereux, cette tribune résonne d’abord comme une reconnaissance des dérives. Non un mea culpa, mais l’acceptation implicite que tous les discours et les auditions du patron de Facebook n’ont pas su calmer le flot des critiques.
 

Accusé des pires vilénies

Le réseau social est en effet accusé depuis des mois des pires vilénies :  avoir permis que des données personnelles soient utilisées pour manipuler des campagnes politiques comme celle du Brexit, des élections américaines ou brésiliennes, avoir laissé la diffusion instantanée du massacre de Christchurch, ou permis, par laxisme ou négligence, de se propager sur son réseau des discours haineux, racistes ou complotistes, avoir soutenu son irresponsabilité devant les dérives tout en continuant à grossir, grandir, accumuler des milliards de dollars et d’utilisateurs qui ne savent et ne peuvent plus se passer de la drogue du réseau.
 
Dans sa tribune, Mark Zuckerberg constate les dérives mais s’abstient de déclarer pouvoir les corriger. Le réseau ne peut s’autoréguler. Il en appelle alors à l’aide des États ; il recommande aux pouvoirs publics dans le monde à jouer un « rôle plus actif » pour réguler Internet, enjoignant notamment plus d’États à s’inspirer des règles européennes en matière de protection de la vie privée (le désormais fameux RGPD). « Je suis convaincu que les gouvernements et les régulateurs doivent jouer un rôle plus actif », écrit Mark Zuckerberg.
« Faire évoluer la régulation d’Internet nous permettra de préserver ce qu’Internet a de meilleur – la liberté pour les gens de s’exprimer et l’opportunité pour les entrepreneurs de créer – tout en protégeant la société de préjudices plus larges », poursuit-il. Mark Zuckerberg estime qu’il faut de nouvelles règlementations dans quatre domaines : les contenus violents et haineux, l’intégrité des élections, la protection de la vie privée et la portabilité des données. Précisément les domaines faisant l’objet des plus vives critiques.
 

Les États à la rescousse ?

Le libertaire de la Silicon Valley, chantre pragmatique de l’ultralibéralisme le plus pur, appelle donc les États à la rescousse ! Certains commentateurs  y voient, comme Gaspard Koenig, un retour au contrat social, ou comme Laurent Joffrin dans sa Lettre politique, une conversion saint-paulienne signant la fin de l’ultralibéralisme. Le Facebook libertaire, comme tous ses congénères de la Silicon Valley, voulait réinventer les lois et unifier l’humanité. Aujourd’hui, il se rend compte que les règles sont nécessaires et appelle à ce qu’elles soient formulées.
 
Devant ces envolées, il faut tout de suite calmer notre bonheur si tant est que Zuck soit capable de produire un tel sentiment. En effet, quand on lit attentivement la tribune de dimanche dernier, on comprend que Mark Zuckerberg n’appelle nullement les États-nations à la rescousse. Ils ne sont pas à l’échelle du problème ni à celle du caractère transnational d’Internet et de la circulation des données. Non, il appelle de ses vœux la création d’un cadre réglementaire mondial qui serait organisé par des « organismes tiers » dont la mission serait de définir des sortes de standards universels. Mark Zuckerberg ne précise pas ce que seraient ces organismes tiers et encore moins leur légitimité démocratique. Serait-ce des think tanks, des ONG, des organisations internationales, des agences regroupant des États, la préfiguration d’organes de gouvernance mondiale ? On ne le sait pas.
Ce que l’on sait, c’est que Zuckerberg, en parfait bon garçon, s’engage, juré-promis, à respecter ces futures règles.
 
Zuck ne veut en aucun cas qu’on l’accuse de laxisme face aux critiques formulées contre son Facebook. « Ce n’est pas dans l’intérêt de Facebook d’être constamment accusée d’opérer dans un espace non régulé », expliquait, en janvier, au journal Le Monde, Nick Clegg, le responsable des affaires publiques du réseau social. La stratégie du patron de Facebook est habile : s’exonérer d’une partie de ses responsabilités et transférer à d’autres instances la définition des règles et la disposition des jalons à ne pas dépasser. Une ruse que n’a pas manqué de relever Tommaso Valletti, économiste en chef à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne dans un message sur Twitter : « Zuckerberg cherche la privatisation des profits et la socialisation des problèmes ». De même, en convoquant des « organismes tiers », ces instances supranationales encore floues, Zuck cherche à éviter les lois nationales qui risquent d’être trop dures au profit de normes négociées. Que voulez-vous, on ne peut se débarrasser de son ultralibéralisme tout d’un coup.
 

Battre monnaie

On pourrait en rester là et rêver d’un monde enfin apaisé, fluide et gentiment régulé. Mark Zuckerberg a le don de nous séduire. Et de nous faire passer des vessies pour des lanternes. Car cette image de bad boy devenu soudain gentil garçon se retrouve soudainement redistribuée complètement, remise à zéro, par une information. Plutôt un non-démenti qui ouvre de nouvelles dimensions à la perplexité : Facebook a l’intention de créer une monnaie.
 
Le New York Times avait vendu la mèche il y a plusieurs semaines déjà, en expliquant que le géant californien planchait sérieusement sur la création d’une monnaie Facebook. Mark Zuckerberg y penserait depuis longtemps et aurait construit l’architecture de son groupe comme s’il n’avait que cette idée en tête. En effet, fort de 2.3 milliards d’utilisateurs, Facebook dispose d’un potentiel unique au monde pour créer une monnaie et développer les paiements virtuels à travers ses messageries WahtsApp et Messenger. Dans l’esprit de Zuck, il ne s’agit pas de créer une énième cryptomonnaie ou de rajouter un bitcoin à une liste déjà longue. Zuckerberg n’est pas un suiveur mais un créateur. Selon un expert interrogé par le site Boursier.com, ce qu’il veut c’est battre monnaie et en faire « la référence la plus stable et la moins spéculative du monde ».
 
L’idée de Zuckerberg est devenue plus concrète avec la mise en place, à Memlo Park, le siège californien du réseau social, d’une équipe dédiée au projet, une cinquantaine de personnes travaillant dans la plus grande discrétion, en vase presque clos. Un staff de combat, dirigé par ce qui peut se faire de mieux : David Marcus, l’ancien patron de Paypal. Le lancement de cette monnaie serait imminent : dès cet été.
 

Souveraineté et légitimité

Battre monnaie. C’est là le privilège régalien des États. Le symbole fort de la souveraineté. On dit souvent qu’avec ses milliards d’utilisateurs, Facebook est le premier pays du monde. Est-il néanmoins, sur le plan de la légitimité, un État ? Certainement pas, jusqu’à présent. Facebook règne sur un marché, gigantesque certes, mais seulement un marché. Un État repose sur le principe de légitimité politique né des élections. Une légitimité qui permet à l’État de légiférer, de recourir à la violence légitime, de réguler la société et la vie de ses citoyens ; d’exercer le pouvoir.
 
La légitimité politique et démocratique est-elle en train d’être concurrencée par une nouvelle forme de légitimité, celle du marché ? Facebook détient certes un pouvoir immense : celui de capter un marché et d’y appliquer sa loi. Est-il pour autant légitime ? Certains pourraient être tentés de répondre par l’affirmative. En effet, dans une démocratie politique on vote quelques rares fois ; dans un marché, on vote à chaque achat, chaque utilisation d’un service. La puissance opérée sur le marché confère-t-elle une quelconque légitimité ? Mark Zuckerberg semble le penser. Aussi, quand il forme le projet de battre monnaie, il s’attribue un signe essentiel de l’État : « Une monnaie est le symbole qui renforce l’appartenance à une communauté, elle est vectrice de lien social » décrit l’économiste Philippe Herlin. Autant de dimensions qui sont la nature même du réseau social de Mark Zuckerberg.
 

Confiance

En voulant battre monnaie Zuck change de registre ; ce faisant, il marque l’acmé de la légitimité politique, celle qui repose sur la confiance ; un élément primordial qui fait cruellement défaut à nombre d’États. Zuckerberg sait qu’il peut créer une monnaie, parce que le monde actuel lui offre cette opportunité.  Il en a la légitimité, conférée non plus par la politique ou la démocratie mais par le marché.
En revanche, l’élément confiance est trop entamé par les multiples failles de sécurité et les dérives de fonctionnement de Facebook pour remplir correctement son office.
 
Dans l’optique de créer une monnaie, les peuples divers et variés qui forment la gigantesque cohorte des utilisateurs de Facebook doivent impérativement être rassurés sur la confiance qu’ils devront abandonner au réseau, d’autant plus que ce dernier concernera leur porte-monnaie. Ceci explique pourquoi Zuckerberg a choisi d’écrire sa tribune de dimanche. Il sait parfaitement que toutes les critiques formulées contre le réseau ruinent son projet. En transférant la responsabilité de réguler les dérives inévitables et inévitées du réseau social à d’autres instances et en déclarant accepter de se soumettre à leurs futures règles, Zuck fait une opération de reconquête de la confiance, indispensable pour forger la légitimité de sa future monnaie.
 
D’autant que le projet de Zuckerberg ne consiste pas à créer n’importe quelle devise, mais une monnaie référence. Une monnaie insensible aux chocs des marchés et aux aléas monétaires, une monnaie sûre et forte. Le patron de Facebook rêve d’une monnaie non spéculative, qui remplirait une utilité sociale.
 
Sur ce dernier point, il joue sur du velours tant les institutions financières qu’elles soient publiques ou privées comme les banques, ne sont plus reconnues par les peuples, car elles ne fonctionnent plus dans et pour l’économie mais plutôt contre elle. Les Gilets jaunes ont cassé des banques, Wall Street comme la City se claquemurent car les opinions ont compris que le moteur de ces institutions est la spéculation et la gestion indicielle. Les institutions financières ne jouent plus, aux yeux des citoyens, le jeu de l’économie, c’est même le contraire. Et leur petit jeu mène aux crises.
 
En promettant une monnaie stable, Zuckerberg lance une bouée de sauvetage au monde dont l’horizon est limité à l’attente angoissée d’un nouveau krach. Zuckerberg, sauveur du monde : quoi de mieux pour aiguiser son égo ?
 
 
Image d’en-tête : source legendsandheroes.com.au / PPCorn
 

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