La main qui donne – Philanthropie, contrat social et démocratie, de Jérôme Kohler – Éditions Charles Léopold Mayer, 23 mai 2025 – 264 pages
« Une nouvelle ère pour la philanthropie face à l’émergence d’un « contrat social environnemental » tourné vers les générations futures »
La main qui donne s’inscrit dans un contexte de questionnement profond sur la place de la philanthropie dans les sociétés démocratiques contemporaines. Jérôme Kohler, expert reconnu des fondations et des politiques de mécénat, y explore la tension entre l’altruisme individuel et l’intérêt général, interrogeant les limites d’un modèle où la richesse privée prétend suppléer ou orienter l’action publique. Face à la croissance des inégalités, aux atteintes à la démocratie et aux dérèglements climatiques, l’auteur esquisse, dans cet essai stimulant, les contours d’un nouveau « contrat social et environnemental ». Celui-ci redéfinit les rôles respectifs entre l’État et la philanthropie dans le cadre d’un contrat social adapté aux enjeux majeurs de notre temps.
Le livre s’organise en plusieurs parties qui combinent un éclairage historique (des origines caritatives aux fondations modernes) et une réflexion critique sur les enjeux actuels : la légitimité démocratique de la philanthropie, son impact sur la cohésion sociale et le risque d’une concentration excessive du pouvoir d’influence entre les mains de quelques acteurs fortunés.
Kohler s’appuie sur des exemples précis – initiatives éducatives, soutien à la recherche scientifique, projets environnementaux – et interroge la manière dont ces actions, souvent vertueuses en apparence, participent à redessiner le contrat social. L’auteur propose aussi des pistes de réforme : davantage de transparence, une gouvernance plus inclusive, et un meilleur ancrage de la philanthropie dans un cadre démocratique solide.
Un propos nuancé et engagé
L’un des principaux mérites de cet essai est de sortir du manichéisme. Kohler ne se contente pas de dénoncer les dérives potentielles de la philanthropie. Il reconnaît ses apports considérables – agilité, capacité d’innovation, réactivité – tout en montrant qu’elle peut devenir un moyen de contourner la délibération collective. Le titre lui-même, La main qui donne, suggère cette ambivalence : le geste de la main qui offre peut aussi être celui qui contrôle.
La philanthropie comme pouvoir discret
Le livre met particulièrement bien en lumière un phénomène contemporain : l’essor de fondations dotées de ressources considérables, qui interviennent là où l’État se désengage ou peine à agir. Ces interventions, souvent présentées comme neutres et bienveillantes, s’accompagnent parfois d’objectifs idéologiques implicites, d’une vision du progrès qui ne fait pas toujours l’objet d’un débat démocratique.
Une réflexion sur le contrat social
Kohler rappelle que la philanthropie prend place dans un cadre collectif : elle ne saurait remplacer le financement public, qui seul garantit la légitimité démocratique et l’égalité d’accès aux droits. En ce sens, l’ouvrage est aussi une défense du modèle républicain : il plaide pour une articulation plus équilibrée entre générosité privée et responsabilité publique.
Des propositions concrètes
L’ouvrage ne se limite pas au constat. Il avance des recommandations précises, comme mieux encadrer fiscalement les dons importants, soumettre les grandes fondations à des obligations accrues de transparence, renforcer l’évaluation indépendante de leurs actions, ou encore associer davantage les citoyens et les bénéficiaires à la définition des priorités philanthropiques.
Un style clair et pédagogique
Malgré la technicité de certaines questions, Kohler propose un texte accessible, qui s’appuie sur de nombreux exemples et études de cas. Son écriture est fluide, souvent ponctuée de réflexions philosophiques sur la justice sociale et la démocratie.
La main qui donne invite à repenser la place de la philanthropie dans nos sociétés. Sans tomber dans la caricature, Jérôme Kohler interroge les conditions de sa légitimité et propose une vision exigeante, fondée sur la transparence, l’équité et la participation citoyenne. Il s’adresse aussi bien aux acteurs du secteur qu’à tous ceux qui s’intéressent au lien, toujours fragile, entre la puissance de l’argent et l’idéal démocratique.
Diplômé de l’ESSEC et de Sciences Po Paris, titulaire d’un DEA de philosophie politique, Jérôme Kohler est conseiller philanthropique indépendant auprès de nombreuses institutions ou fondations. Cofondateur de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC, il est l’auteur de nombreux articles sur la philanthropie. Il a par ailleurs été le président de Paris Musées, du festival Circulation(s) et est membre des comités de la fondation Culture et diversité, du Fonds EpA et du BAL.
Il est Chevalier des Arts et des Lettres.






