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Le chant perdu des baleines. Quand la pollution sonore étouffe les voix de l’océan

Le chant perdu des baleines. Quand la pollution sonore étouffe les voix de l’océan, de Laurence Paoli – Photographies de Fabrice Guérin – Éditions Actes sud, 8 octobre 2025 – 352 pages

Le monde du silence est tout sauf silencieux. Les animaux marins utilisent tous les stratagèmes sonores afin de s’orienter, manger et séduire, élever leurs petits. Mais lorsque les humains brouillent la communication avec les bruits de leurs machines (pêche, transport, sports aquatiques, exercices militaires, prospection sismique, constructions offshore, etc.), cette pollution sonore perturbe considérablement la vie sous-marine et participe à l’effondrement actuel de la biodiversité.
Ce livre est la première enquête exhaustive sur l’émergence de la bioacoustique sous-marine comme science, sur la prise de conscience et la mesure des dégâts occasionnés ainsi que sur la mise au point des solutions techniques visant à les atténuer. Car, lorsque l’homme se tait sous les eaux, la nature reprend immédiatement ses droits.
Une investigation passionnante, immersive et incarnée, pleine d’humour.

Un renversement du “monde du silence”
En ouvrant son livre par la contestation du mythe océanique popularisé par Cousteau, Laurence Paoli installe immédiatement un renversement fondamental : l’océan n’a jamais été silencieux.
Il est, au contraire, l’un des environnements les plus sonores de la planète, un espace où la visibilité étant très limitée, le son devient un langage total. Les baleines, dauphins, phoques, crustacés — et même certains poissons — dialoguent, cartographient, se coordonnent grâce aux vibrations.
Ce contraste entre un imaginaire culturel figé (le silence des profondeurs) et une réalité vibrante donne au livre sa force pédagogique initiale : nous sommes terriblement ignorants du monde sonore marin que nous détruisons.

L’émergence d’une science : la bioacoustique sous-marine
Le livre propose l’une des premières synthèses accessibles sur la naissance et le développement de la bioacoustique marine. Paoli retrace son évolution, des premières écoutes au sonar, souvent motivées par des objectifs militaires, aux recherches scientifiques visant à comprendre les migrations, les comportements et les réseaux sociaux des cétacés, jusqu’aux technologies contemporaines (hydrophones déployés sur des milliers de kilomètres, IA d’analyse de spectres sonores, observatoires océaniques).
Cette dimension documentaire est au cœur de l’ouvrage : le son devient un outil d’enquête, un révélateur invisible des transformations écologiques majeures.

Les ravages de la pollution sonore : un effondrement discret
Paoli détaille la cascade d’effets qu’entraîne l’inflation sonore anthropique sous-marine. Les exemples qu’elle expose — échouages, désorientation, stress chronique, perturbation de la reproduction, collisions — révèlent que le bruit n’est pas un simple inconfort : c’est un facteur central de l’effondrement de la biodiversité océane.

Le livre montre que le transport maritime génère un fond sonore permanent devenu dix fois plus élevé que celui du siècle dernier ; la prospection sismique produit des détonations atteignant des centaines de décibels, capables de saturer l’espace acoustique sur des centaines de kilomètres ; les sonars militaires sont liés à des échouages massifs de baleines à bec.
Paoli écrit sans catastrophisme inutile, mais avec une précision rigoureuse : le vacarme humain étouffe littéralement les voix de l’océan.

Une enquête incarnée et souvent drôle
Ce qui distingue le livre, au-delà de sa portée scientifique, c’est le ton de l’autrice. Paoli déploie un humour presque désarmant, avec une écriture narrative proche du reportage et un sens aigu du portrait et de la rencontre. Son récit traverse les laboratoires, les bateaux de recherche, les salles de contrôle militaire, les conférences scientifiques, les ports internationaux… Cette approche incarnée évite le piège de l’essai austère : on lit cette enquête comme un voyage, parfois cocasse, parfois douloureux, toujours lumineux.

Des solutions concrètes : quand l’homme se tait, la mer renaît
La seconde partie du livre insiste sur les innovations permettant d’atténuer la pollution sonore, comme la réduction de la vitesse des cargos, les nouvelles hélices biomimétiques, les zones de quiétude acoustique, les technologies d’atténuation des bruits de chantier (rideaux de bulles, encoffrement), et la détection automatique de cétacés pour interrompre les sonars.
L’un des enseignements majeurs du livre est la réversibilité partielle du phénomène. Dès que les activités humaines cessent ou diminuent, la vie sonore réapparaît instantanément. L’autrice évoque notamment les observations durant les confinements du Covid-19, où des habitats acoustiques se sont rétablis en quelques jours.

Une dimension politique : écouter pour protéger
Paoli rejoint les réflexions contemporaines sur l’écologie du sensible : entendre est déjà une manière de s’engager. Elle montre que l’océan n’est pas seulement un espace menacé, mais un espace d’expression, un immense chœur vivant dont nous perturbons la partition. Son livre rappelle que protéger le vivant, ce n’est pas seulement mesurer des niveaux de CO₂ ou de température :
c’est aussi préserver les conditions d’existence des communications non humaines.

Un plaidoyer sensible, scientifique et urgent
Le chant perdu des baleines est à la fois une enquête scientifique précise, un récit personnel et immersif, un appel politique fort et un hommage aux créatures marines et à leur génie acoustique.
Par son mélange d’humour, de pédagogie et de gravité, l’auteure parvient à transformer un sujet technique en un récit qui touche profondément. Elle nous invite à écouter ce que l’océan tente encore de nous dire, avant que ses voix ne disparaissent.

Laurence Paoli a créé et dirigé le premier service de communication spécialisé dans la conservation de la biodiversité animale au Muséum national d’Histoire naturelle, à Paris, puis fondé Urban Nomad, un cabinet de conseil en communication en sciences de la vie et de la terre. Se consacrant désormais à l’écriture, elle a publié aux éditions Buchet-Chastel deux essais de vulgarisation scientifique, Zoos. Un nouveau pacte avec la nature en 2019 et Quand les animaux nous font du bien. Enquête sur ces compagnons qui rendent nos vies meilleures en 2022.

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