Le monde et la Terre. Comment les préserver ? de David van Reybrouck – Éditions Actes Sud, 8 octobre 2025 Traduit du néerlandais (Belgique) par Isabelle Rosselin – 80 pages
Et si la véritable sécurité, au XXIᵉ siècle, ne résidait plus dans la force des armes, mais dans notre capacité à protéger le vivant ? La planète s’en prend de plus en plus violemment au monde humain. Le monde a perturbé la Terre physique et maintenant, la Terre perturbe le monde. La diplomatie moderne, cette consultation séculaire entre les pays, doit donc se réinventer de toute urgence. En effet, pour résoudre leurs conflits frontaliers, les hommes ont jadis inventé la diplomatie, d’abord entre deux entités puis, à partir du congrès de Vienne, entre plusieurs États souverains. Ce modèle multilatéral régit encore aujourd’hui le fonctionnement des Nations unies, et celui des COP sur le climat. Mais face au défi climatique, il ne fonctionne plus : les COP, minées par les égoïsmes nationaux et l’omniprésence des lobbies, s’avèrent impuissantes à imposer les mutations nécessaires.
Avec cette question simple mais radicale, l’auteur nous invite à repenser ce que signifie « sécurité collective » : non plus la domination armée ou la maîtrise technologique, mais la capacité à entretenir les conditions du vivant sur Terre. Dans son essai, Van Reybrouck avance que, face aux crises écologiques, climatiques, biologiques — à la fois de biodiversité, de sols, d’eau, d’écosystèmes —, nos institutions politiques traditionnelles et diplomatiques se révèlent insuffisantes.
L’enjeu, selon lui, est de déplacer notre conception de la politique — non plus centrée sur des États ou des intérêts nationaux, mais sur la Terre elle-même, comprise comme sujet collectif, porteur de droits, dignité, et intérêt politique. Plutôt que de raisonner selon la « raison d’État » — la logique traditionnelle des relations internationales —, il plaide pour une « raison de Terre », c’est-à-dire une gouvernance globale où la planète ne serait plus un simple décor, un réservoir de ressources ou un milieu à exploiter, mais un acteur à part entière.
Concrètement, Van Reybrouck propose la mise en place d’une assemblée citoyenne mondiale, complémentaire des États, qui pourrait siéger, par exemple, aux côtés des délégations nationales lors de grandes conférences internationales — comme la prochaine COP. Dans cette instance, les intérêts de la Terre — représentés sous la forme des milieux, des écosystèmes, des êtres non humains — auraient voix au chapitre, afin de peser sur les décisions qui conditionnent l’avenir du vivant.
Ce qui frappe dans ce livre, c’est la clarté de la proposition — audacieuse mais urgente — mais aussi la sincérité de l’auteur : il ne se contente pas de dresser un constat alarmant, il trace une voie de transformation institutionnelle et éthique. Van Reybrouck ne prétend pas offrir une solution miracle toute faite : il pose les fondations d’une refondation. Il invite à réimaginer nos démocraties, notre rapport à la nature, nos priorités ; à replacer le vivant — et la Terre tout entière — au centre de la décision collective.
Cependant, l’utopie politique qu’il dessine n’est pas sans poser des questions concrètes : comment instituer légalement une telle assemblée ? Quel serait son statut juridique ? Qui la composerait — humains seulement, ou aussi représentants collectifs de milieux non humains ? Comment concilier cette « raison de Terre » avec les intérêts divergents des États, des communautés, des populations les plus vulnérables ? Le défi est immense, et la route étroite entre idéal moral et réalités géopolitiques. Mais c’est précisément ce pari — transformer le politique en écologie — que l’auteur choisit de relever.
« Le monde et la Terre » est un projet philosophique et politique, une invitation à repenser notre rapport au monde, à la planète, à notre responsabilité collective. C’est le rappel que la survie de notre société ne se mesure plus seulement en PIB, en puissance militaire, en croissance ou en confort matériel — mais dans notre capacité à respecter, maintenir et renouveler les conditions de la vie sur Terre. Et peut-être, dans notre capacité à redonner au mot « sécurité » un sens plus vaste, plus humble, plus juste.
David Van Reybrouck est né à Bruges en 1971 dans une famille flamande de fleuristes, de relieurs, d’électriciens et d’artistes. Il a étudié l’archéologie et la philosophie aux universités de Louvain et de Cambridge et détient un doctorat à l’université de Leyde.
Militant pour la démocratie et le climat, David Van Reybrouck est essayiste, historien, romancier et auteur de théâtre.
Il a notamment publié chez Actes Sud : Congo. Une histoire (2012, prix Médicis essai 2012), Contre les élections (2014), Odes (2021), Revolusi. L’Indonésie et la naissance du monde moderne (2022) et Nous colonisons l’avenir (2023).






