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Crispr-cas9

CRISPR : Révolution dans l’histoire humaine ou méga bombe à retardement ?

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Alors que des chercheurs chinois annoncent avoir modifié le gène d’embryons humains afin de les rendre résistant au virus du Sida, la technologie qu’ils ont employée est sur toutes les lèvres.
Depuis quelques mois, ce mot imprononçable, CRISPR, arrive en effet de plus en plus souvent dans les manchettes des gazettes. Ce n’est pas une nouvelle marque de chips ou de boisson énergisante. Non, c’est un outil biogénétique capable de modifier le vivant, aussi simplement que vous le faites pour corriger ou améliorer, par copier-coller, votre prose dans un éditeur de textes. Une révolution scientifique dont la maternité revient à deux femmes, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, que nous avons déjà présentées dans UP’, et qui obtiendront sans nul doute, un jour prochain, le Prix Nobel.
 
CRISPR, prononcez « crispeur », est l’acronyme de Clustered regularly interspaced short palindromic repeats. Si on traduit cette expression en français pour tâcher d’être plus clair (Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées), on n’est guère plus avancé. Si on m’avait demandé de baptiser un outil en passe de révolutionner l’espèce humaine, j’aurais certainement choisi un autre mot. Mais on ne m’a rien demandé…

Le couteau suisse biologique

La révolution CRISPR a commencé en 2012 quand la française Emmanuelle Charpentier, associée à l’américaine Jennifer Doudna, démontrent qu’un mécanisme bactérien pouvait être détourné pour modifier, corriger ou réécrire le génome d’un organisme vivant. Et cela, aussi simplement et facilement que de corriger une faute d’orthographe ou modifier une phrase par un copier-coller dans un traitement de texte. De fait, cette technique est souvent associée à l’expression « édition – editing – du génome ».
 
Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna
 

LIRE DANS UP’ : Une biologiste française invente l’arme absolue pour corriger, améliorer ou rééditer la vie

Souvent représenté par l’image d’un couteau-suisse biologique, CRISPR -Cas9, c’est son nom complet, renferme deux outils en un. L’un, « cas9 », est une protéine découpeuse d’ADN ; l’autre est un petit brin d’ARN, qui sert de guide afin de positionner l’enzyme Cas9 sur la section du ruban d’ADN que l’on souhaite découper. Imaginez des ciseaux qui vont précisément, au niveau d’un gène, sectionner un brin d’ADN et lui en substituer un autre. Un jeu d’enfant. On enlève le bout de gène défectueux ou indésirable et on le remplace aussi sec par un autre.
Quand on sait que de nombreuses maladies ont une origine génétique, on comprend que cette découverte mette le monde de la médecine sens-dessus- dessous.  Car, comme l’explique David Blickard, le directeur du laboratoire de biologie de synthèse de l’Institut Pasteur à nos confrères du journal Les Échos, « La seule façon de véritablement guérir une personne d’une maladie génétique, c’est de corriger la ou les mutations génétiques associées ».

De la haute couture au sur-mesure

Utiliser des protéines découpeuses d’ADN n’est pas, en soi, une nouveauté. Dès les années 1960, les généticiens travaillent à manipuler de l’ADN à l’aide de protéines, des nucléases, pour certaines programmables. Mais il s’agit d’un travail de haute expertise, fait de nombreux essais-erreurs, nécessitant des moyens considérables. Hervé Chneiweiss, président du Comité d’éthique de l’Inserm confie qu’avec CRISPR on est passé du sur-mesure à la fabrication en série. De Chanel, à Zara. En effet, et cela ne manque pas de faire froid dans le dos, CRISPR est à la portée de (presque) tout le monde. David Blickard affirme : « Avec CRISPR, reprogrammer une nucléase ne représente plus que quelques jours de travail et quelques dizaines d’euros de matériel, autant dire rien ». Si vous vous y connaissez un peu en biologie, vous pourrez vous amuser à manipuler CRISPR pour éliminer et remplacer un gène.
 
Avec cette découverte, tout ou presque devient possible en ingénierie génétique humaine, animale ou végétale. On peut ainsi activer ou éteindre à volonté l’expression d’un gène, le modifier, l’enlever, l’hybrider. Alain Fischer, professeur au Collège de France, interrogé par l’Obs le 10 décembre 2015 déclarait que le CRISPR -Cas9 constituait « un saut technologique majeur en sciences de la vie et peut-être demain dans la thérapie génique. Nous savions déjà modifier et couper de l’ADN, mais pas de façon aussi précise et aussi aisée ».

Convoitises et expérimentations tous azimuts

Une telle simplicité d’utilisation ne manque pas d’attiser les convoitises et de tenter toutes sortes d’expérimentations. La dernière en date a fait la semaine dernière, la une de tous les journaux du monde : des chercheurs chinois seraient parvenus à modifier le gène d’embryons humains afin de les rendre résistants au virus du Sida. L’année dernière, d’autres biologistes, chinois eux-aussi de l’université Sun Yat-Sen, à Canton avaient utilisé CRISPR -cas9 sur des embryons humains porteurs d’une grave maladie du sang. L’expérience s’était soldée par un succès total puisque 7 embryons sur les 86 qu’ils avaient traités ont présenté des cellules avec un gène réparé. Mais ce n’est qu’un début.
 
De nombreuses startups évoluant dans le domaine des biotechs ont éclos dans le sillage de cette invention. eGenesis, un des pionniers de la xenotransplantation, introduit des gènes humains dans des fœtus de porcs afin de fabriquer des poumons transplantables sur l’homme. Recombinetics crée avec la même technique des vaches sans cornes afin qu’elles se blessent moins dans les élevages. Une équipe de chercheurs de l’Imperial College of London travaille, par la technique génétique du CRSIPR-cas9, à l’éradication des moustiques Anopheles gambiae, l’un des principaux vecteurs du paludisme.
 
La seule citation du mot CRISPR déclenche un inventaire à la Prévert d’applications possibles. Déjà plus de 1300 articles scientifiques ont été consacrés à cette méthode et pas moins de 4000 laboratoires répartis partout dans le monde y travaillent. Les expérimentations vont bon train, encadrées avec plus ou moins d’efficacité par le bon sens si ce n’est l’éthique scientifique ou la réglementation. S’ajoute à cette course contre la montre une compétition féroce pour l’attribution de brevets, de parts de marché ou d’avantages concurrentiels entre pays. Une géopolitique du CRISPR est en effet en train d’émerger avec d’un côté les pays sensibles aux dimensions éthiques et d’autres, moins regardant, qui recherchent avant tout à placer leurs pions sur l’échiquier mondial des biotechs.
 
Toutes sortes d’applications sont envisagées : thérapie génique, reconstitution d’espèces animales disparues, inactivation de gènes pour stériliser certaines espèces animales, modifications d’embryons humains à portée eugénistes ou thérapeutiques, etc. Mais aussi, applications craintes mais possibles dans des buts criminels ou terroristes. Et applications désormais industrialisées dans le domaine des biotechs végétales avec la mise sur le marché d’OGM « cachés » grâce à l’emploi du CRISPR.
 
Devant ce déferlement d’applications, les deux femmes qui ont inventé CRSPR s’avouent elles-mêmes un peu dépassées par les événements. Interrogée par Le Monde, Jennifer Doudna déclare : « Vous savez, même pour nous, c’est époustouflant. Le système que nous avons décrit il y a presque quatre ans est utilisé par tous les laboratoires de génétique. C’est assez inhabituel qu’une technologie perce à cette vitesse. Je pense que c’est dû à la facilité de sa mise en œuvre et au fait qu’elle fonctionne vraiment bien dans la plupart des cellules et des organismes, pour des raisons qu’on essaie encore de comprendre. Il faut aussi souligner que Crispr-Cas9 a été découvert alors que l’ensemble des biotechnologies qui l’accompagnent étaient déjà disponibles, notamment celles de séquençage des génomes. L’environnement était mûr. »

Engouement et inquiétudes

CRISPR est, parmi les biotechs actuelles, celle qui suscite le plus d’engouement mais aussi le plus d’inquiétudes. Dès les premières publications consacrées à cette technologie, les scientifiques ont compris qu’ils avaient là un outil des plus prometteurs pour vaincre les maladies mais aussi un des plus dangereux, un de ceux qui ne peuvent manquer de susciter des interrogations éthiques profondes.
 
Un rassemblement de chercheurs à Washington en décembre 2015, ressemblant étrangement à celui d’Asilomar tenu en 1975 qui s’inquiétait alors de la possible dissémination dans l’environnement de bactéries OGM, a appelé à « une grande vigilance ».
D’autres groupes internationaux de travail se sont constitués et devraient publier leur réflexion fin 2016. En France, l’Académie de médecine et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) devraient « réfléchir à de nouvelles recommandations » dans les prochaines semaines. Pour Hervé Chneiweiss, la principale préoccupation réside dans l’application de CRISPR aux espèces vivantes nuisibles (par exemple les moustiques transmettant le paludisme), car l’impact de la modification de leur génome sur la biodiversité n’a pas encore pu être évalué. Interrogé par l’AFP, Jean Marie Le Méné se montre « prudent » et « distingue l’usage que l’on fait de l’outil », car les modifications génétiques de l’embryon humain pourraient s’apparenter à de l’eugénisme. En outre, « les gamètes doivent rester absolument intouchables » et « devraient avoir un statut ontologique particulier ».
Les débats dans la communauté scientifique vont bon train. Mais curieusement, la société civile semble comme absente. Loin de ces questions qui jouent pourtant son avenir.

LIRE DANS UP’ : Ingénierie génétique : fortes crispations sur CRISPR

Sujet sensible

Dans le duo des biologistes à l’origine du CRSIPR on sent, sur ces questions, une certaine discordance, preuve s’il en fallait de l’extrême sensibilité du sujet.
Jennifer Doudna est la plus sensible à la dimension éthique de son innovation. Dans un échange avec l’AFP elle déclare : « Il y a un risque de surexcitation autour de cet outil, qui pourrait conduire des gens, même bien attentionnés, à pratiquer des expériences susceptibles d’avoir des effets inattendus ». Elle poursuit : « J’espère que la communauté scientifique va accepter de procéder suffisamment lentement pour éviter de mauvaises choses. » Fabriquer des bébés sur mesure, en sélectionnant leurs caractères physiques ou intellectuels, ne serait « certainement pas une bonne chose ». « Mais je pense que la tentation va croître à mesure que les techniques s’amélioreront », reconnaît-elle.
 
Interrogée par Le Figaro, sa consœur Emmanuelle Charpentier semble moins inquiète. À la question « La technologie Crispr-Cas9 étant très simple d’utilisation et peu coûteuse, ne craignez-vous pas qu’elle vous échappe et soit utilisée à des fins en contradiction avec votre éthique personnelle ? » elle répond : « J’y ai pensé, bien sûr. Je suis généticienne, et dès lors que l’on manipule le patrimoine génétique du vivant, on est sensibilisé à ce risque. Mais je n’y ai pas plus pensé que d’ordinaire. Ces questions ne sont pas nouvelles et il existait déjà avant CRISPR des comités d’éthique dédiés. Certes, CRISPR -Cas9 relance un peu le débat en raison de sa facilité d’utilisation. C’est pourquoi il est important que tous les acteurs de la société – les scientifiques, les cliniciens, les experts en éthique, le public – puissent comprendre les possibilités qu’offre cette technologie et les dérives possibles. De cette façon, on pourra prendre des décisions un peu plus ciblées dans les textes de régulation, qui sont assez globaux, tout en préservant la capacité d’innover dans la recherche. ».

De la thérapie, à l’amélioration, et au transhumanisme

CRISPR est de ces inventions qui portent à la fois l’admiration et la peur. D’un strict point de vue thérapeutique, cette technologie suscite des espoirs extraordinaires. En effet, certaines de nos maladies sont directement liées à des variantes de nos gènes. C’est le cas pour ne citer que les plus fréquentes, de certaines maladies cardiovasculaires et de certains cancers. Dans d’autres cas, les médecins ont constaté que certains gènes protégeaient de la maladie. C’est le cas du gène CCR5, un récepteur qui permet l’entrée du virus du sida. Chez de rares personnes, ce gène est muté, ce qui le rend réfractaire à l’infection du VIH. Le CRISPR permettrait, en théorie, de généraliser l’inactivation de ce gène pour rendre tout le monde résistant à cette infection. C’est ce qu’ont tenté de faire les scientifiques japonais en travaillant sur des embryons humains. On peut toutefois se demander si cette modification du génome ne risque pas de provoquer des effets délétères. Sommes-nous sûrs de cela ? Et a-t-on le droit de modifier ce gène pour toute notre descendance quand on sait que le même CCR5 permet aussi au système immunitaire de combattre certaines infections virales. ?
 
 
Le cas des utilisations thérapeutiques pose problème mais les partisans d’une vision optimiste des choses expliqueront que toutes les précautions pourront être prises pour que des expérimentations, nombreuses s’il le faut, soient menées sur des animaux, afin que tous les effets pervers puissent être contrôlés. C’est le discours normal de la science qui innove. D’autre part, quel parent pourrait s’opposer à mettre en œuvre ces techniques si on lui garantit que son enfant sera exempt de ces maladies et qu’il vivra en bonne santé ?
 
Toutefois, avec la même technologie, on peut aussi facilement passer de la thérapie à l’amélioration. Certains, déjà nombreux, pensent que ce type de techniques pourrait être utilisé pour augmenter les performances humaines : courir plus vite, avec plus d’endurance, plus de force, etc… En travaillant sur les gènes ont pourrait être plus intelligent, augmenter le QI de l’enfant à venir. C’est là le rêve des transhumanistes dont le slogan « From chance to choice » , de la Chance au choix, ouvre les porte d’un nouvel eugénisme.  Certains scientifiques, comme en France Laurent Alexandre, vont encore plus loin. Dans son livre La mort de la mort, il expliquait déjà en 2011 que si l’on se place du point de vue de la théorie de l’évolution, le recours à des manipulations génétiques de cette ampleur ne serait pas une option mais une nécessité absolue pour la survie de l’espèce en raison de l’affaiblissement de la sélection naturelle dans nos pays ultracivilisés et médicalisés.
 
Dans son dernier livre La Révolution transhumaniste, le philosophe Luc Ferry note que l’utilisation de ces technologies pour modifier les enfants à venir pose une question non seulement d’éthique mais aussi de responsabilité. En effet, les enfants pourraient reprocher à leurs parents, trop frileux sur l’usage des technologies génétiques, de ne pas avoir exploité toutes les possibilités pour les débarrasser d’une maladie potentielle, voire pour les « améliorer ». Cette logique de l’enfant « réifié », c’est-à-dire de l’enfant devenu un objet façonné par la volonté de ses parents, accroit la responsabilité dans des proportions sidérales. Les parents deviennent responsables de choisir comme de faillir dans le choix des bonnes caractéristiques de leurs enfants.

Bienvenue à Gattaca

Dans l’hypothèse où l’on se débarrasse des questions éthiques, philosophiques ou morales et que l’on considère que Bienvenue à Gattaca est la norme, il n’en demeure pas moins que ces technologies posent un problème économique.
 
Bienvenue à Gattaca, une film de Andrew Niccol (1997) avec Jude Law, Ethan Hawke et Uma Thurman
Dans un futur pas si lointain, le monde se divise en deux : les « valides » et les « invalides ». Les premiers sont nés après une sélection stricte des gènes.
Physiquement et intellectuellement au top, ils dominent la société. Ce sont eux qui ont accès à Gattaca… 
 
L’ingénierie génétique coûtera cher, très cher, si on envisage, dans un élan de bonnes intentions, de l’appliquer à tous les humains vivants sur cette planète. Laurent Alexandre pense qu’il va être « difficile dans les prochaines décennies d’éviter une forme de « rationnement génétique et biotechnologique », c’est-à-dire une médecine à deux vitesses ». Nos économies occidentales à faible croissance ne pourront assumer ces nouvelles catégories de dépenses qui exploseront sur les embryons, sur les enfants et les jeunes adultes. Les dépenses de santé aujourd’hui concentrées sur les personnes âgées, devront être attribuées plus tôt dans la vie d’un individu puisque les prédispositions aux maladies seront connues dès la naissance voire avant, au stade fœtal.
 
En réalité, une profonde inégalité s’installera. Avec une couche privilégiée de la société qui s’améliorera elle-même et sa progéniture, et une autre, certainement la plus nombreuse. Luc Ferry pense même « Pire encore, plusieurs humanités pourraient coexister dans l’avenir, comme ce fut d’ailleurs le cas dans le passé, au temps de Néandertal et de Cro-Magnon. » Des temps de coexistence tout sauf pacifiques.
 
CRISPR n’a pas fini de nous poser des questions. Aurons-nous toutes les réponses ? Sans y prétendre, tâchons d’être vigilants et concernés, au moins en tant que membre de l’espèce humaine. Plus concrètement, comprenons que les innovations de cette ampleur posent des défis politiques majeurs puisqu’elles ont la puissance d’impacter, à terme, tout l’ordre social et la stabilité des sociétés, voire leur pérennité. Elles doivent être enracinées par les dirigeants publics, nationaux et internationaux, dans des écologies institutionnelles responsables dans lesquelles la participation du public ne saurait être évacuée. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui pour ce qui concerne les défis que pose CRISPR.
 
 

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