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Sécheresses et pénuries : les OGM guettent à la porte de l’Europe
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Sécheresses et pénuries : les OGM guettent à la porte de l’Europe

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Pendant des années, l’Union européenne a imposé des restrictions parmi les plus strictes du monde à l’agriculture génétiquement modifiée. Cela pourrait être sur le point de changer. En effet, les européens ont vécu leur pire été en termes de sécheresse. Les fleuves comme la Loire se sont retrouvés taris, les satellites ont montré des images d’une Europe jadis verdoyante devenue tristement ocre et sableuse. Les conditions chaudes et sèches ont fait des ravages dans l’agriculture entrainant des baisses de rendement des récoltes inquiétantes. Le spectre de la pénurie, amplifié par la guerre en Ukraine, gagne même certaines productions de base. En réaction, l’opposition de longue date de l’Union européenne aux cultures génétiquement modifiées (OGM) et modifiées par génie génétique (CRISPR) commence à se fissurer. Les gouvernants sont de plus en plus enclins à écouter les sirènes des industriels des semences et autres produits phytosanitaires.

La plupart des champs du continent, privés d’eau, produiront cet été des rendements inférieurs aux prévisions. Pour certaines cultures, la différence est flagrante : les rendements du soja sont inférieurs de 15 % à leur moyenne sur cinq ans, tandis que ceux du tournesol sont inférieurs de 12 %. Les chaînes d’approvisionnement agricole étant déjà tendues à cause de la guerre en Ukraine, les vulnérabilités du système alimentaire européen semblent extrêmement exposées.

Vertiges de la tentation

En réaction, certains politiciens européens commencent à repenser l’opposition de longue date de l’Union européenne aux cultures génétiquement modifiées (OGM) et modifiées par génie génétique. En juillet, un membre italien du Parlement européen a appelé à un assouplissement des règles qui restreignent la culture et la vente au sein de l’UE de variétés végétales créées à l’aide de nouvelles techniques d’édition de gènes comme CRISPR. « Les nouvelles biotechnologies agricoles peuvent permettre d’expérimenter des plantes plus résistantes à la sécheresse et aux parasites », a déclaré le député Antonio Tajani lors d’une réunion au Parlement européen. D’autres politiciens italiens l’ont rejoint pour demander des changements similaires dans la réglementation sur l’édition de gènes. Il faut dire que dans le nord de l’Italie, la sécheresse est si grave que les rizières s’assèchent réduisant les récoltes à des rendements bien inférieurs à la normale.

Si les sécheresses européennes se poursuivent, les agriculteurs pourraient être tentés d’acquérir de nouvelles variétés de cultures capables de résister à des étés longs et secs. Jusqu’à récemment, les scientifiques qui souhaitaient créer des cultures plus résistantes à la sécheresse avaient deux grandes options : la sélection classique ou la modification génétique. Les cultures génétiquement modifiées sont obtenues en insérant du matériel génétique d’un autre organisme dans l’ADN d’une plante, généralement un gène qui rend la culture résistante aux insectes ou aux herbicides. En raison des règles strictes de l’UE en matière d’OGM, seules deux cultures de ce type ont été approuvées dans l’UE, et une seule – un maïs résistant aux insectes – est cultivée à l’intérieur de ses frontières. Aux États-Unis, en revanche, près de 90 % des champs de soja et de maïs sont des OGM.

L’édition de gènes est une technique distincte et plus récente, qui consiste à modifier directement, notamment à l’aide de l’outil CRISPR, le génome d’un organisme plutôt que d’y insérer des gènes d’une espèce différente. On s’attendait à ce que cette technique échappe à la réglementation sur les OGM, mais en 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les cultures génétiquement modifiées devaient être soumises à la même réglementation que les OGM.

Bataille d’arguments

Mais aujourd’hui, certains signes indiquent que la position de l’UE pourrait être sur le point de changer. La Commission européenne est responsable de la création de nouvelles législations dans l’UE, et en avril 2021, elle a publié une étude soulignant son désir d’assouplir la réglementation sur les cultures génétiquement modifiées. « La commission a réalisé que la décision de la Cour européenne de justice n’était pas fondée sur la science. Elle était fondée sur le plan juridique, mais pas sur le plan scientifique », explique Cathie Martin, professeur de sciences végétales au John Innes Centre, au Royaume-Uni. L’étude de la Commission européenne a conclu que les règles actuelles de l’UE en matière d’OGM ne sont pas adaptées à la réglementation des cultures réalisées par modification génétique. Elle a également indiqué que les cultures génétiquement modifiées pourraient aider l’UE à atteindre ses objectifs en matière de durabilité et de sécurité alimentaire.

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L’argument climatique est également fortement avancé par les tenants d’un revirement de l’UE vers les cultures génétiquement modifiées. Selon eux, en effet, l’adoption de ces techniques pourrait alléger considérablement les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture européenne. L’agriculture est responsable d’environ 10 % des émissions de l’UE, mais une étude du Breakthrough Institute, un groupe de réflexion basé aux États-Unis, a révélé que l’adoption par l’UE de cultures OGM telles que celles pratiquées aux États-Unis pourrait entraîner une réduction des émissions équivalente à 7,5 % des émissions agricoles totales de l’Europe.

Cet argument est justifié par un habile coup de billard à trois bandes : les cultures génétiquement modifiées ont un meilleur rendement. De ce fait, les produits agricoles destinés à l’Europe et cultivés ailleurs seront moins nécessaires à l’approvisionnement européen. En réduisant la part de ces produits importés et souvent cultivés dans des conditions peu durables par rapport à l’environnement, le bilan carbone européen se retrouve amélioré. CQFD.

Des fruits et des légumes

Si les cultures génétiquement modifiées font l’objet d’une déréglementation dans l’UE, il est probable que les premiers à être commercialisés seront les fruits et légumes plutôt que les grandes cultures de base, car nombre d’entre elles ont déjà des versions OGM et les fabricants pourraient être peu enclins à créer de nouvelles variétés génétiquement modifiées pour le seul marché européen. Les grandes entreprises agricoles ont eu tendance à éviter de modifier les aliments de moindre valeur tels que les fruits et légumes en raison des coûts importants liés au développement de nouvelles variétés OGM, mais l’édition de gènes est beaucoup moins chère. Aux États-Unis, un champignon modifié par CRISPR a été le premier aliment génétiquement modifié à être autorisé à la vente.

Au Royaume-Uni, des agriculteurs effectuent leurs premiers essais en plein champ sur des tomates modifiées génétiquement pour contenir un précurseur de la vitamine D. Ces essais n’ont été possibles que parce que le pays a récemment assoupli les réglementations relatives aux essais en plein champ de cultures modifiées génétiquement, dans le cadre d’une rupture post-Brexit avec les réglementations de l’ère européenne.

Assauts et résistance

Un revirement de l’UE à l’égard des cultures génétiquement modifiées ne va pas se faire facilement. L’étude de la Commission européenne a fait l’objet d’une opposition farouche de la part de groupes tels que Greenpeace et Slow Food, une organisation qui promeut une alimentation locale et traditionnelle au sein de l’UE. Pour qu’une modification de la réglementation soit adoptée, la Commission devra convaincre le Conseil européen, puis la législation sera soumise au vote du Parlement européen. Dans un bloc où les traditions alimentaires sont particulièrement fortes, il est probable que les nouvelles règles concernant les cultures génétiquement modifiées susciteront beaucoup de résistance.

Les arguments pour un changement de législation se font déjà entendre car la bataille des lobbies a largement commencé. Petra Jorasch, porte-parole d’Euroseeds, un groupe représentant les semenciers européens, affirme que la technologie d’édition génétique pourrait en fait contribuer à préserver les variétés locales. L’édition génétique pourrait permettre de rendre le raisin Riesling résistant à un certain champignon, par exemple, tout en conservant toutes les autres qualités du Riesling. « Si l’on pouvait utiliser ces technologies pour améliorer la résistance aux champignons dans un vin, on obtiendrait la même récolte avec cette résistance supplémentaire et on utiliserait moins de fongicides », explique-t-elle.

Emma Kovak, l’auteure de l’étude du Breakthrough Institute, affirme que la meilleure façon de convaincre les électeurs et les législateurs pourrait être de souligner que l’augmentation des rendements des cultures dans l’UE permettrait à la région de devenir plus sûre sur le plan alimentaire et donc moins vulnérable aux fluctuations des prix des denrées alimentaires. Et comme l’édition de gènes est moins coûteuse, les consommateurs pourraient également avoir une expérience plus directe des cultures modifiées sous la forme de fruits et légumes améliorés sur le plan nutritionnel, comme les tomates anglaises.

Des arguments qui, par temps de fortes tensions sur le pouvoir d’achat des ménages européens et de risques de pénuries, pourraient trouver des oreilles accueillantes. Face au risque de coupures d’électricité dues aux ruptures d’approvisionnement russe en gaz, les États ont rouvert leurs mines de charbon alors que la baisse des émissions carbone est plus que jamais une urgence planétaire. Face aux risques de tensions sur l’agriculture et de pénuries alimentaires, les États reviendront-ils sur leurs principes et autoriseront-ils les OGM en Europe ?  C’est possible, et cette question mérite de la part des opinions publiques la plus grande vigilance.

Avec Wired

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georges.birault@wanadoo.fr
1 année

Autoriser les OGM, ce sera une fois de plus une fuite en avant. La biodiversité est déjà très mise à mal. Avec la généralisation des OGM, celle-ci va disparaître encore plus. En voulant sauver les humains en détruisant la nature, ce sont les humains que l’on détruit. Précisons que de fait on peut sélectionner des plante résistantes à la sécheresse, mais il ne faut pas confondre sécheresse et canicule même si canicule va de paire avec la sécheresse. Les canicules brûlent les plantes qu’elles soient OGM ou non. Or les canicules sont aussi dangereuses sinon plus que les sécheresses. Et… Lire la suite »

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