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La démocratie aux prises avec les nouvelles interventions génétiques (Crispr)

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L’intervention généralisée sur le génome des organismes vivants n’est pas une affaire de scientifiques. Elle oblige à placer les enjeux au plan politique. A qui va profiter l’avenir promis par les techniques d’édition comme Crispr ? Qui va supporter les risques potentiels associés à ces développements ? Comment construire et maintenir la confiance entre sciences et société ? Les avis donnés peuvent-ils évoluer dans le temps ? Telles sont les questions clé que pointe Sheila Jasanoff dans un article essentiel, CRISPR à l’épreuve de la démocratie: Le besoin de délibérations inclusives face aux nouvelles techniques d’édition, paru dans la revue Issues in Science and Technology. Examen bien utile pour une appropriation politique de ces perspectives bioéconomiques.
 
Les gènes sont les mines du vivant. Maîtriser leurs manipulations, voire se les approprier, c’est prendre les commandes de l’industrialisation stratégiques des organismes. Celle-ci s’amplifie parce que les outils deviennent ultra rapides, peu chers et très efficaces. Les plus en vue sont les techniques d’édition (terme à discuter car il entretient  trois mythes…) avec en premier lieu celle dénommée Crispr-Cas9 dont la paternité est revendiquée par deux femmes, Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier et le chinois Feng Zhang. La guerre des brevets s’enfle d’une guerre sur la traçabilité : peut-on ou non distinguer les « constructions » issues de Crispr-Cas9 d’organismes « naturels », avec toute l’incertitude qui entoure ce terme ? Veut-on ou non suivre ces « artefacts » pour assurer la responsabilité des « constructeurs » ? Peut-on d’un côté accorder une reconnaissance d’invention (le brevet) et de l’autre nier l’originalité du produit et ses effets inédits dans les milieux naturels ?
Toutes ces questions ont mis en crise en France le Haut Conseil des biotechnologies dont le modèle à deux collèges séparés pourrait être remis en cause. Précisément parce qu’il manquerait encore en France, dans les modalités de dialogue entre parties prenantes, la prise en compte, à la racine, des visions citoyennes et politiques des sujets. En clair, toute mise en contexte exige de poser les alternatives, questionner les usages et l’utilité des projets, envisager la gouvernance des biotechniques, c’est à dire le contrôle ad hoc de leur mise en œuvre … Si l’on veut une illustration simple, on peut penser aux possibles interventions génétiques sur les moustiques de maladies inquiétantes (Zika, dengue, chikungunya ou paludisme). Chacun comprend très vite que la confiance accordée à un programme OGM sera différente selon qu’un projet est mené par les pouvoirs publics, le fabricant des moustiques trangénique ou une ONG…

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Non, Asilomar n’est pas le bon modèle de gouvernance

L’article publié par la sociologue américaine Sheila Jasanoff et ses deux confrères, J.Benjamin Hurlbut et Krishanu Saha dans Issues in Science and Technology, (Volume XXXII Issue 1, Fall 2015), offre une belle occasion d’ouvrir les cadres de pensée. Traduit en français par les soins de l’association Sciences citoyennes, il permet à tout francophone intéressé par ce sujet d’y réfléchir de manière approfondie. Il se montre d’emblée dubitatif sur les procédures d’encadrement éthique qui s’organisent (discussions des Académies de médecine concernant les utilisations humaines de Crispr-Cas9). Plus acerbe, il déclare d’emblée inadéquat la tentative d’autorégulation par les scientifiques sur le modèle d’Asilomar (du nom de la conférence organisée en 1975 par les biologistes moléculaires à l’instigation de Paul Berg). « Que des scientifiques appellent à une recherche responsable est certainement à mettre à leur crédit, lit-on sous la plume de Sheila Jasanoff. Mais le génome humain n’appartient à aucune culture, nation ou région, et encore moins à la seule science. Il appartient à part égale à tous les membres de notre espèce. Les décisions concernant les limites à fixer au bricolage sur le génome humain doivent être prises en responsabilité devant l’Humanité toute entière. Comment un sommet américain ou même international peut-il espérer être à la hauteur d’une telle responsabilité ? ».
Pour les auteurs, il y a un véritable danger à prendre Asilomar comme modèle de gestion pour la technologie CRISPR. Car cela laisse supposer que les généticiens ont le droit de « pousser la recherche jusqu’à ses limites » et que des restrictions ne se justifient que si la recherche génère des risques techniquement définis telle que la mise en danger de la santé publique. Ces deux idées sont contestables et laissent surtout de côté le fait que le cadrage des interrogations par les scientifiques ne permet absolument pas d’attraper les questions clés contextuelles : ces techniques sont-elles utiles ? Qui en tire avantage ? Qui les maîtrise ? Peuvent-elles induire des déséquilibres économiques, écologiques, sociaux ? Le public ne peut se cantonner aux aspects jugés intéressants par les experts. « Les études menées sur les controverses techniques ont montré de façon répétée que ces oppositions publiques ne sont pas le reflet d’incompréhensions techniques mais bien de visions différentes de celles des experts sur la façon de bien vivre avec les technologies émergentes, rappellent les auteurs. La tendance à écarter les avis du public sous prétexte qu’il seraient mal informé est le signe que ce sont les experts eux-mêmes qui sont mal informés de la réalité. Mais cette tendance est également problématique en ce qu’elle prive la société de la liberté de décider des formes de progrès qu’elle juge culturellement et moralement acceptable ».

Sheila Jasanoff : « les enjeux de société débordent les questions scientifiques »

L’histoire a montré que la seule question des risques sanitaires abordée à Asilomar a été débordée par les enjeux bien réels de la cohabitation des cultures (protection des droits économiques de l’agriculture bio), de l’appropriation du vivant (la guerre des brevets et des semences) et des modèles d’agriculture (autonomie des paysans, protection des cultures qui n’est pas que chimique, enrichissement des sols…). Les auteurs le confirment : « Rétrospectivement, la controverse sur les semences GM, longue et parfois tragique – destruction de plantations expérimentales, boycotts, rébellion des consommateurs, restrictions des importations de semences GM américaines, procédures auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce, mouvement global contre Monsanto – apparait comme une mise à l’agenda, par les mouvements citoyens du monde entier, de toutes les questions que la conférence d’Asilomar avait exclu ».
 
Les expériences passées montrent que la qualité des processus délibératifs favorise des innovations choisies donc robustes. L’enjeu n’est pas mince et exige l’ouverture véritable du processus décisionnel qui permet de ne pas laisser de côté des enjeux majeurs. C’est la seule garantie pour éviter que des objections massives surgissent ensuite en boomerang.
Par ailleurs on ne peut pas imaginer trouver les espaces de compromis et d’accords en quelques débats rapides. La seule approche raisonnable est forcément continue, récursive et révisable. Et Sheila Jasanoff d’insister : « Pour vivre en harmonie avec une technologie, une société a besoin de bien plus que de simplement pouvoir réagir à l’information qui lui est apportée sur cette technologie. Les changements dans les interactions sociales et dans la relation à la technologie sont imprévisibles, et ne peuvent être appréhendés que sur le temps long, et dans des contextes variés. L’intégralité des enjeux ne peut pas être abordée, et encore moins réglée, par des délibérations très formalisées, reposant sur un panel restreint de citoyens invités à se prononcer sur des questions définies à l’avance ».

Crispr/Cas9 Ca va servir à quoi ?

Le constat est qu’il existe une distance considérable et croissante entre les acteurs académiques et le monde associatif mobilisés sur ces enjeux. Les premiers adhèrent aux concepts scientifiques sans l’apport critique des sciences sociales dépassés par ces avancées ultra-rapides. Les seconds défendent des modèles agricoles et des vigilances selon des valeurs inintelligibles pour les premiers. Il suffit de voir le livret produit par les Verts européens « Les OGM sont de retour, et ils sont pires qu’avant » pour mesurer le fossé !
Le risque est grand de retomber dans des impasses si les pouvoirs publics n’osent pas poser des questions de fond : Crispr/Cas9 et les techniques cousines sont-elles des révolutions pour l’amélioration des organismes ? Dans quel objectif prioritaire et durable ? Il serait grave d’en rester à des « pinaillages techniques » qui cachent l’ampleur des enjeux comme le souligne l’interview d’Yves Bertheau publiée dans Pour La Science.

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Le dialogue de sourds se renforce dès lors que les risques physiques et biologiques reçoivent toujours beaucoup plus d’attention que les risques portant sur les relations sociales ou sur les valeurs culturelles. Cette vision étroite s’est déjà montrée largement contre-productive dans les débats sociétaux autour des modifications de l’ADN. Or, un processus d’évaluation qui empêche de formuler des jugements libres et éclairés ouvre la voie à une politique de la dissidence et de la frustration.
 
Pour éviter cet écueil redoutable, Sheila Jasanoff et ses collègues préconisent que les scientifiques acceptent de « descendre du sommet » pour engager une discussion avec d’autres point de vue, plus étendus, sur les enjeux à l’œuvre, notamment dans le cadre de l’événement prévu fin 2016, par les académies américaines des sciences et de médecine, sur les techniques d’édition.
Car il s’agit de prendre soin collectivement et de façon démocratique de ce futur technologique que nous partageons avec l’humanité toute entière. C’est peut-être ça le véritable héritage d’Asilomar.
 
 
 

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