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moustique gene drive

Les organismes génétiquement modifiés par CRISPR passeraient la barrière des espèces. Et c’est une très mauvaise nouvelle.

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Le paludisme, le Zika, le chikungunya… sont des fléaux terribles. Causés par des moustiques que tous les pays touchés entendent éradiquer. Les chercheurs examinent depuis longtemps des solutions chimiques (insecticides), physiques (radiations), transgéniques… Rien ne semble assez efficace à côté d’une arme massue : le forçage génétique. Il s’agit d’une technique de manipulation génétique qui permet de booster la propagation d’une mutation dans une population.
Une étude vient d’être publiée dans la revue Nature Biotech. Elle établit que cette technique, appliquée sur des populations de moustiques fonctionne parfaitement. Mais elle révèle aussi que la mutation génétique introduite artificiellement pourrait ne pas se contenter de cibler certaines espèces de moustiques. Elle pourrait passer la barrière des espèces et se propager à d’autres espaces animales, les menaçant d’une éradication définitive. Un danger majeur qui prouve, une fois de plus, les risques préoccupants que font courir certaines techniques de manipulations génétiques.
 
Comment se débarrasser des moustiques, porteurs de maladies qui font des ravages dans de nombreux endroits du monde ? Les scientifiques ont recours depuis la découverte du ciseau moléculaire CRISPR à une technique nouvelle, le forçage génétique (gene drive). En relâchant simplement dans une population naturelle quelques individus qui portent une séquence d’ADN élaborée par l’homme (appelée « séquence de forçage génétique »), on peut théoriquement obtenir en quelques dizaines de générations une population entièrement contaminée par la séquence de forçage génétique.
 
De quoi s’agit-il ? Le procédé sort directement des avancées récentes permises par l’édition du génome, et la très fameuse technique CRISPR-Cas9 capable de faire du copier-coller avec les gènes.  La technique du gene drive concentre dans une cassette, d’une part un gène que l’on veut propager et d’autre part, l’outil – appelé gène égoïste – permettant d’accélérer sa diffusion. Les ciseaux permettant la microchirurgie génétique sont embarqués et encodés au sein même du génome ciblé. Le montage permet de court-circuiter les lois de Mendel, au point qu’à chaque génération, 100% des descendants ont acquis le gène intrusif. En une dizaine de générations d’individus se reproduisant de façon sexuée, le gene drive a contaminé l’intégralité ou l’extrême majorité de la population sauvage.

LIRE DANS UP : « Forçage génétique » : droit de vie et de mort sur les espèces vivantes, jusqu’où ?

En théorie, si dix individus génétiquement modifiés et possédant une séquence de forçage génétique sont introduits dans une population naturelle de cent mille individus, alors en moyenne plus de 99 % des individus seront porteurs de la séquence de forçage génétique au bout de seulement 12-15 générations. Le forçage génétique manipule à son avantage deux piliers de la sélection naturelle : mutation et hérédité.
Premièrement, les mutations n’apparaissent plus au hasard mais exactement là où le forçage génétique a été conçu pour agir, et la séquence d’ADN souhaitée est produite.
Deuxièmement, alors qu’un parent transmet normalement la moitié de ses gènes à son enfant, ici un parent transmet la séquence de forçage génétique à tous les coups. Ainsi, un individu qui est mal adapté et qui devrait produire peu de descendants peut tout de même transmettre ses gènes par forçage génétique à la génération suivante du fait de son mode de transmission accru.
 

Une première scientifique

Cette théorie a été mise en pratique et fait l’objet d’une première publication scientifique parue ce 24 septembre et intitulée : A CRISPR-Cas9 gene drive targeting doubleex causes complete population suppression complète in caged Anopheles gambiae mosquitoes. L’équipe de recherche dirigée par le professeur Kyros Kyrou de l’Imperial College de Londres est financée par l’agence de recherche militaire américaine, la DARPA, ainsi que par la Fondation de Bill Gates. Les chercheurs ont réussi à éradiquer en labo, au bout de 7 à 11 générations une population de moustiques. Ce résultat est une première scientifique et prouve l’efficacité de la technique du gene drive.
 
Les premières recherches sur l’éradication des moustiques par gene drive ont eu lieu dès 2014. Mais la plupart des expériences se sont soldées par des échecs car les organismes modifiés développaient une forme de « résistance » au CRISPR-cas9 ce qui conduisait à l’arrêt de la propagation espérée. La résistance se produit lorsque le gène ciblé développe des mutations qui le rendent insensible à la commande de gène. Cette mutation et cette résistance à l’entraînement sont ensuite transmises à la progéniture par accouplement, ce qui rend l’entraînement du gène non fonctionnel.

LIRE DANS UP : Le forçage génétique pour éliminer les espèces

Les scientifiques, dirigés par le professeur Kyrou, ont adopté une autre méthode qui s’avère empêcher le phénomène de résistance. Pour cela, ils ont ciblé un gène spécifique de la détermination du sexe, le gène du double sexe (« doublesex » gene). Ce gène est celui qui détermine si un moustique se développera comme mâle ou femelle. L’équipe a travaillé sur les moustiques A. gambiae, l’un des vecteurs du paludisme les plus efficaces, particulièrement important en Afrique subsaharienne.
La manipulation génétique a consisté à perturber une région du gène du double sexe qui est responsable du développement des femelles. Par conséquent, les descendants mâles porteurs de ce gène modifié et les femelles n’ayant qu’une seule copie ne sont pas touchés. Cependant, les femelles avec les deux copies du gène modifié sont complètement stériles et ne piquent pas. De plus, la mutation génétique a été copiée presque 100 % du temps, montrant une propagation et une éradication rapides de la population. Pour les auteurs, le fait de cibler la fertilité féminine en laissant les mâles intacts est une excellente stratégie pour les programmes de suppression de la population sur le terrain, car les gènes modifiés peuvent encore se propager à travers les mâles.
 
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les chercheurs ont ciblé un gène de détermination du sexe qui est hautement conservé dans le processus évolutionnaire naturel. Cela signifie que cette séquence ADN particulière est restée la même au fil du temps sur une échelle évolutionnaire et qu’elle n’a pas été modifiée par des mutations aléatoires. Une séquence hautement conservée implique un gène conservé et hautement protégé, où toute altération de cette séquence génétique entraînerait une forme de vie non viable. Le choix d’une séquence génétique hautement conservée, en particulier le gène  » doublesex  » de détermination du sexe, comme site cible du gene drive signifie qu’aucun allèle de résistance viable (variants génétiques) n’apparaît et ne se propage pour sauver la population en labo ou potentiellement la population sauvage.
 

Il y a un hic

Le problème est que cette séquence cible est si bien conservée dans la nature qu’on peut la trouver dans toutes les espèces d’anophèles analysées jusqu’à présent. Pour la professeure  Ricarda Steinbrecher de l’Université d’Oxford, il s’agit d’un problème très préoccupant. Elle déclare en effet dans un courriel à la rédaction de UP’ Magazine : « une fois que le complexe de gènes (ou transgène de gènes) traverse l’une des autres espèces, il pourrait potentiellement traverser d’autres populations et espèces, réduire fortement voire éliminer ces populations, avec des conséquences écologiques et de biodiversité potentiellement graves ». Elle ajoute : « Lorsqu’on étudie les limites de reproduction entre les espèces d’anophèles, il y a un degré de fluidité qui montre que des croisements entre différentes espèces de moustiques se produisent. [Des études antérieures ont déjà] signalé un taux d’hybridation global de 0,1 % dans la nature. Ces résultats sont très alarmants lorsqu’on examine les conséquences potentielles de la dissémination de moustiques porteurs de gènes dans la nature, en particulier lorsque le site cible est si bien conservé que dans la présente étude. »
 
Si le gene drive passe la barrière des espèces, on peut légitimement craindre qu’il ne se propage à des populations animales qui se nourrissent de moustiques comme par exemple les chauves-souris, ou à des organismes piqués par des moustiques génétiquement modifiés.
Cette crainte n’échappe pas au professeur Esvett, l’un des auteurs de l’étude ; il confie en effet au site d’informations spécialisées GEN « si les scientifiques se trompent et que l’espèce cible se croise avec d’autres moustiques anophèles, le fait que la séquence cible doubleex est très conservée signifie qu’elle pourrait se propager à des espèces non ciblées »
 
Pour Dorothée Browaeys qui vient de publier l’Urgence du vivant, plus préoccupante encore est la question de l’usage de cette technique gene-drive qui constitue un outil de « gestion des nuisibles ».
Car comment juger qu’une population est « indésirable », « gênante » ? Au regard de quel critère ?  Elle tente une réponse : « Le terme nuisible, est appliqué par l’agrobusiness à tout ce qui minimise le rendement des récoltes, la productivité. Or il existe un foisonnement de prédateurs qui menacent les intérêts économiques. Et le gene drive pourrait être bien utile pour en finir avec ces « ravageurs » vus comme de stricts nuisibles, alors qu’ils peuvent être aussi des pollinisateurs ou des rouages utiles des écosystèmes ».
 

Méfiance

Lors du sommet de Cancún (Mexique) dédié à la biodiversité, en décembre 2016, un réseau de cent soixante associations issues du monde entier a manifesté son opposition à la technique gene drive. Une des craintes de leurs militants est que le gène de stérilité (associé au gène égoïste) s’échappe vers des espèces bénéfiques ou qu’il ait des conséquences imprévues. Ces derniers insistent aussi pour dire que les impacts d’une éradication restent inconnus. Car un écosystème est en équilibre et toute modification peut générer des effets en chaîne : repeuplement par une espèce cousine, prolifération des espèces consommées par l’animal éradiqué…

LIRE DANS UP : Le forçage génétique mis en accusation au sommet de la biodiversité à Cancun

Certains scientifiques se montrent des plus méfiants. Le généticien israélien David Gurwitz (Université de Tel-Aviv) prévient : « Si la technique du gene drive permet d’empêcher les moustiques de contaminer les humains avec le parasite du paludisme, elle peut aussi servir de cargo pour intégrer des toxines létales et infecter les humains. »
 
La menace est sérieuse car, selon les experts, il sera quasiment impossible de suivre et surveiller toutes les expérimentations menées dans des laboratoires de fortune, voire dans des garages. Pour Todd Kuiken, spécialiste en génie génétique de l’université de Caroline du nord, cité par la revue du MIT, le danger ne vient pas seulement des vecteurs biologiques habituels comme les virus ou autres agents pathogènes. Il vient aussi d’« attaques biologiques plus exotiques » comme par exemple un insecte qui aurait été modifié pour éliminer la culture vivrière de base d’un pays.

LIRE DANS UP : Une agence militaire américaine investit 100 millions de $ dans des biotechs d’extinction génétique

Il y a tout juste un an, en septembre dernier, Monsanto a obtenu la première licence pour l’usage agricole de CRISPR-Cas9 auprès du Broad Institute (qui est une émanation du MIT et de Harvard).

LIRE DANS UP : Monsanto achète la licence du CRISPR, le plus puissant outil de manipulations génétiques

Pour Issi Rosen, directeur commercial du Broad Institute, l’usage des techniques d’édition en agriculture soulève des préoccupations éthiques et écologiques. C’est pourquoi la licence n’a été accordée à Monsanto que sous réserve : ne pas recourir au gene drive ! Il n’en demeure pas moins que la boîte de Pandore est désormais ouverte.
 
 
Image d’en-tête : Illustration de Niv Bavarsky / MIT Technology Review

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