Les « super-bactéries » multi-résistantes font planer la menace d’une recrudescence mondiale d’infections mortelles. Pourtant la recherche de solutions thérapeutiques innovantes dans ce domaine peine à décoller, faute de rentabilité économique satisfaisante.
Ces dernières décennies, en raison d’une surconsommation d’antibiotiques tant chez l’homme que pour les animaux d’élevage, des bactéries ont trouvé des parades de plus en plus redoutables, dignes de soldats d’élite : brouillage, camouflage, blindage, esquive…rendant parfois les antibiotiques classiques impuissants. « C’est une course contre la montre. On est constamment en train d’essayer de rattraper l’évolution des bactéries« , commente à l’AFP Marc Lemonnier, PDG d’Antabio, une petite biotech (société de biotechnologies) toulousaine œuvrant dans ce domaine.
Si rien ne bouge, le monde se dirige vers une « ère post-antibiotique, dans laquelle les infections courantes pourront recommencer à tuer », a coutume de rappeler l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’antibiorésistance tue déjà 50.000 patients chaque année aux Etats-Unis et en Europe, et pourrait causer 10 millions de morts par an dans le monde en 2050, soit plus que le cancer, ont prédit des experts mandatés par le gouvernement britannique.
Longtemps considérés comme des biens de consommation courante, les antibiotiques avaient jusqu’à présent un prix peu élevé, compensé par des volumes de distribution importants. Mais les autorités sanitaires restreignent désormais leur usage pour éviter l’émergence de nouvelles résistances.
Nombre de grands laboratoires pharmaceutiques ont ainsi peu à peu délaissé ce domaine de recherche, au profit de branches plus rémunératrices, comme le diabète ou le cancer. Résultat : aucune nouvelle classe d’antibiotique n’est arrivée sur le marché depuis 30 ans.
« Le modèle de développement des antibiotiques n’est pas adapté à des petites populations de patients« , explique à l’AFP Laurent Fraisse, responsable de la recherche-développement sur les maladies infectieuses chez Sanofi, qui a plusieurs projets de recherche précoce dans ce secteur.
La réglementation européenne mériterait aussi d’être simplifiée pour les antibiotiques innovants et leurs alternatives, car « on ne fait pas une étude clinique de la même manière avec 5.000 patients qu’avec 50.000« , selon M. Fraisse. « On brûle beaucoup de cash pour faire des recherches extrêmement coûteuses et on est loin du marché, ce qui rend l’équation très compliquée« , relève de son côté Marc Lemonnier d’Antabio.
Pour décorréler les revenus des laboratoires des faibles volumes de ventes d’antibiotiques, les experts mandatés par Londres ont suggéré la création d’un fonds qui les rémunérerait avec un montant forfaitaire, dès l’arrivée sur le marché de leurs traitements innovants contre l’antibiorésistance.
Des gouvernements ont aussi commencé à réagir. Les Etats-Unis ont mis en place dès 2012 une procédure d’autorisation accélérée pour de nouveaux antibiotiques, et ont prolongé de cinq ans leur exclusivité commerciale, pour mieux valoriser l’innovation en retardant l’arrivée de génériques. L’administration de Barack Obama a lancé cette année un plan national de 1,2 milliards de dollars contre l’antibiorésistance, dont la moitié environ sera consacrée à la recherche publique-privée.
Ce volontarisme américain a eu « un effet boule de neige » sur l’investissement privé, constate Florence Séjourné, PDG de Da Volterra, une autre biotech française travaillant sur l’antibiorésistance.
Certains géants pharmaceutiques se sont récemment relancés dans ce domaine, comme l’américain Merck qui a racheté fin 2014 son compatriote Cubist Pharmaceuticals, spécialiste des super-bactéries, pour 9,5 milliards de dollars.
Une quarantaine de biotechs européennes, regroupées au sein d’une nouvelle alliance, BEAM, rêvent d’un fonds européen pour les PME innovantes dans l’antibiorésistance, estimant avoir besoin « de 5 à 10 millions d’euros » d’aides par projet. « Il faut aussi que l’Union européenne s’aligne sur les Etats-Unis » au niveau des incitations réglementaires sur l’antibiorésistance, souligne Mme Séjourné, porte-parole de BEAM en France. « Aucun nouveau fonds spécifique (pour les PME) n’est envisagé actuellement« , selon un porte-parole de la Commission européenne. Il a rappelé que l’UE a déjà investi « près d’un milliard d’euros » dans des projets transnationaux sur la résistance bactérienne depuis 1999, appelée à rester l’un de ses axes de recherche prioritaires dans les prochaines années.
Rédaction avec Etienne Balmer / AFP
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