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Médecine, recherche

Conflits d’intérêts : « une grave menace sur la recherche médicale »

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Les médias se sont émus de la révélation, la semaine dernière, des accointances douteuses entre un pneumologue réputé et un industriel sur un problème de santé publique. Mais aujourd’hui, le rapport remis au directeur général de l’AP-HP, fait l’effet d’une bombe. Sur les 10 000 médecins de l’institution hospitalière, certains flirtent avec la ligne rouge et ont des liens financiers avec de grands laboratoires pharmaceutiques, liens mettant en cause leur indépendance, leur éthique et la qualité des recherches qu’ils mènent. C’est grave, car cela met en péril la confiance que les français peuvent avoir non seulement dans les médicaments que leur prescrit leur médecin, mais dans la prescription elle-même.
 
Michel Aubier, pneumologue renommé, s’était fait une spécialité des interventions dans les médias minimisant les risques sanitaires liés à la pollution de l’air, et notamment au diesel. Libération et le Canard enchaîné ont révélé la semaine dernière qu’il était rémunéré plusieurs dizaines de milliers d’euros par an comme « médecin conseil » de Total. En plus de siéger au conseil d’administration de la Fondation d’entreprise Total. Un cas flagrant de conflit d’intérêts. Un conflit d’intérêts qui pose un problème de santé publique puisque ce pneumologue écouté avait, contre toute recommandation de l’OMS, affirmé que le diesel n’était pas cancérigène. Pis, en mars 2014 lors d’un pic de pollution aux particules fines en Ile-de-France, il avait affirmé sur RTL qu’« aucun risque n’est à craindre pour les personnes bien portantes» et les avait encouragées à sortir faire du sport… C’est vrai que lorsqu’on touche 60 000 euros par an de Total, un des principaux producteurs de diesel en France, on peut faire l’impasse sur certaines vérités scientifiques.
 
Ce cas est caractéristique, parce qu’il est mis en pleine lumière. Pris la main dans le pot de confiture, le professeur Aubier est devenu du jour au lendemain une personne peu recommandable.  Pas Total d’ailleurs, qui peut en toute tranquillité continuer à soudoyer, « mercenariser », et s’attirer les bonnes grâces de médecins pour mieux parfaire la profitabilité de ses entreprises. En effet, il n’existe pas de délit pour ce type d’exercices dont on apprend maintenant ouvertement qu’elles sont pratiques courantes dans les laboratoires ou chez les industriels.
 
Martin Hirsch, Directeur général de l’AP-HP
 
Le rapport d’enquête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), premier groupe hospitalier de France, est à cet égard assez éloquent. Une partie des 10 000 médecins de l’AP-HP présentent « des situations à risque » de conflits d’intérêts en raison de leurs liens avec l’industrie pharmaceutique. Le rapport d’enquête remis à Martin Hirsch, le directeur général de l’APHP, pointe un véritable catalogue de pratiques peu recommandables. Certaines sont connues et font presque partie de la tradition médicale, d’autres posent de vraies questions d’éthique.

Congrès tous frais payés

Grand classique du genre, l’invitation des médecins par les labos à des congrès, symposiums et autres conférences, en général dans des endroits de rêve, tous frais payés. Si ces congrès sont pour la plupart admis comme étant nécessaires à la progression de la connaissance et de la science, il n’en demeure pas moins qu’il en existe de nombreux, totalement organisés par l’industrie, dont les orateurs, les modérateurs, sont choisis par l’industrie, avec tous les risques de connivence que cette pratique comporte. Pour le professeur Didier Dreyfuss, chef du service de réanimation à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes et professeur d’éthique médicale à l’Université Paris-Diderot, interrogé mardi au micro d’Europe 1 : « cCest quantitativement minime, mais qualitativement dramatique. »

Formation ou stratégie d’investissement ?

Plus discrète mais non moins lourde de conséquence, le financement de la formation. Obligatoire, elle est financée sans réelle transparence à 98 % par l’industrie pharmaceutique. On estime que ce poste représente un volume financier qui s’établit entre 300 et 600 millions d’euros. Universités de médecine et hôpitaux, où officient les internes, sont ciblés par l’industrie pharmaceutique. L’enjeu : créer une proximité pour imposer leurs produits et influencer les choix de ces futurs médecins. Entre nécessaire information sur les traitements et molécules existants et stratégie commerciale agressive, la présence des industries pharmaceutiques et de leurs visiteurs médicaux y est-elle encadrée ? De plus en plus d’étudiants s’en alarment.

Essais cliniques et tentations

Autre grand classique de la connivence entre les médecins et les labos, la conduite d’essais cliniques. Selon Le Monde, ces activités sont une source de revenus non négligeable pour les médecins, dont l’expertise est rémunérée par des honoraires échappant à tout contrôle. Ils sont aussi une manne pour les services hospitaliers qui, pour la plupart, ont créé une « association » pour gérer la cagnotte versée par l’industrie. Plus de 400 ont été dénombrées par l’AP-HP.
 
En soi, la conduite d’essais cliniques par les médecins n’a rien de scandaleux ; c’est même une nécessité avant la mise sur le marché d’un nouveau médicament. Nous sommes dans un système où l’on ne peut imaginer qu’il n’y ait pas de partenariat public-privé, indispensable pour le développement de la recherche. La recherche sur fonds publics n’est pas suffisante et les partenariats avec le privé sont pertinents. Ce qui apparaît plus troublant en revanche, c’est quand des sommités médicales deviennent des spécialistes d’un médicament et sont, à ce titre, rémunérés plusieurs dizaines de milliers d’euros par les labos qui s’attachent ainsi à bon frais leur expertise et peut-être leur indépendance de jugement, voire leur éthique. Quand votre salaire est généreusement doublé par le laboratoire qui vous commande des essais cliniques, peu doivent être en mesure de résister à la tentation de gommer certains aspects critiques de leurs analyses. Les exemples de sommités médicales devenues ainsi promoteurs publicitaires de laboratoires semblent ne pas manquer.
 
C’est d’ailleurs là tout le problème du conflit d’intérêts qui n’est rien d’autre qu’un ensemble de conditions dans lesquelles le jugement professionnel concernant un intérêt « primaire » c’est-à-dire la validité de la recherche, de ses résultats, de ce qu’elle peut apporter aux malades, peut être influencée par un intérêt « secondaire », tel qu’un gain financier.

Des mesures nécessaires pour garantir la validité de la recherche

Le rapport remis à Martin Hirsch propose à ce titre de créer une « structure neutre », qui permettrait de conserver l’aide financière des industriels mais couperait tout lien direct avec les médecins. Sur les essais cliniques, par exemple, une « fondation pour la recherche » devrait à terme centraliser les financements privés et les allouer aux projets sélectionnés par l’hôpital. Cette initiative permettrait d’éviter les tentations et les glissements du devoir d’éthique de certains médecins qui sont actuellement rémunérés directement par les laboratoires au titre de leurs recherches ou interventions, ou qui font partie d’une façon plus ou moins transparente, du « board » d’un industriel.
 
Même si les pratiques relevées dans ce rapport sont minoritaires, et que la part de médecins impliqués dans ces conflits d’intérêts est vraisemblablement infime par rapport aux 10 000 médecins de l’AP-HP et de ses 38 hôpitaux, il n’en demeure pas moins qu’elles ont une portée considérable dans l’opinion et dans la crédibilité de l’industrie de la santé. Le professeur Dreyfuss affirme à ce titre : « Au plan éthique, dans les pays modernes le conflit d’intérêts est probablement une des plus grandes menaces sur la recherche et sur sa validité ».
 
 

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