Deux études se télescopent : l’une, au niveau mondial, enregistre une augmentation de l’obésité partout dans le monde, tandis que l’autre, centrée sur la France, démontre que nous faisons attention à notre poids, voire même trop pour certaines catégories de la population. Alors Mardi gras ou mi-Carême ?
La proportion de la population obèse n’a cessé d’augmenter dans le monde depuis 1980, doublant dans 73 pays, selon une vaste étude publiée lundi qui signale une aggravation de cette crise de santé publique avec désormais une personne sur dix souffrant d’obésité sur la planète.
L’excès pondéral est responsable d’un net accroissement des maladies cardio-vasculaires, du diabète et de certains cancers à l’origine d’une augmentation de la mortalité. Il représente un enjeu majeur de santé publique mais aussi un coût social et financier grandissant.
Les résultats de cette étude montrent « une crise grandissante et troublante de santé publique au niveau mondial », soulignent les auteurs dont les travaux, qui englobent 195 pays et territoires, paraissent dans la revue médicale américaine New England Journal of Medicine.
Le rapport fait également l’objet d’une présentation au Forum annuel EAT sur l’alimentation à Stockholm, qui vise à créer un système de production alimentaire plus sain et durable.
En 2015, 107,7 millions d’enfants et 603,7 millions d’adultes souffraient d’obésité dans le monde, ont déterminé ces chercheurs. Pour la même année, l’excès de poids et l’obésité affectaient au total 2,2 milliards de personnes, soit 30% de la population mondiale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait ce chiffre à plus de 1,9 milliard en 2014, dont plus de 600 millions d’obèses.
La fréquence de l’obésité pédiatrique a été moindre que chez les adultes, mais son accroissement a été plus rapide pendant cette période de 35 ans.
Cette étude montre également qu’un IMC élevé a été lié à quatre millions de décès dans le monde en 2015, dont près de 40% chez des personnes seulement en surpoids.
Un indice de masse corporelle (le poids divisé par la taille au carré) supérieur à 24,5 signale un surpoids. Une personne est considérée obèse à partir d’un IMC de 30.
Plus des deux-tiers des morts ont résulté de maladies cardiovasculaires, dont l’augmentation est très nette depuis 1990 et qui sont liées à un IMC excessif.
« Les personnes qui ne font pas attention à un gain de poids le font à leurs risques et périls: ils risquent d’avoir une maladie cardiovasculaire, du diabète, un cancer et d’autres pathologies mettant la vie en danger », met en garde le Dr Christopher Murray, directeur de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) à l’Université de Washington à Seattle, un des co-auteurs de l’étude.
Parmi les vingt pays les plus peuplés, les États-Unis comptent le taux d’obésité le plus élevé pour les enfants et les jeunes adultes, avec près de 13%, tandis que l’Égypte est en tête pour la prévalence des adultes obèses, avec environ 35% de cette population.
La Chine et l’Inde comptaient le plus grand nombre d’enfants obèses avec 15,3 millions et 14,4 millions.
Les incidences les plus faibles d’obésité des adultes ont été constatées au Bangladesh et au Vietnam avec seulement 1%.
Les États-Unis (79,4 millions) et la Chine (57,3 millions) avaient en 2015 le plus grand nombre d’adultes obèses.
L’objectif de cette étude est de comprendre au niveau mondial les facteurs responsables de « cette épidémie actuelle de maladies » liées au surpoids et à l’obésité, expliquent les chercheurs. « L’excès pondéral est l’un des problèmes de santé publique les plus difficiles de notre temps affectant près d’une personne sur trois », souligne à l’AFP le Dr Ashkan Afshin, professeur adjoint de santé publique à l’Université de Washington, principal auteur de l’étude. « Pendant la dernière décennie, de nombreuses actions ont été menées pour lutter contre ce fléau mais il existe peu d’indications montrant leur efficacité sur le long terme », pointe-t-il.
Dans un éditorial accompagnant l’étude, les Dr Edward Gregg et Jonathan Shaw, des épidémiologistes des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), estiment que « le chiffre le plus préoccupant est le triplement de l’obésité chez les enfants et les jeunes adultes dans les pays en développement et à revenus intermédiaires, comme la Chine, le Brésil et l’Indonésie ».
« L’obésité jeune va probablement se traduire par un accroissement important du diabète adulte (type 2), de l’hypertension et de maladies rénales chroniques », prédisent-ils.
Ce rapport s’appuie sur des données provenant de la plus récente étude sur le fardeau mondial des maladie (Global Burden of Disease study ou GBD), qui quantifie l’impact sur la santé de plus de 300 pathologies dans 133 pays.
Au même moment, une autre étude parue dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l’agence sanitaire Santé publique France, établit que 49% des adultes étaient en surpoids en 2015 contre 49,3% en 2006. L’obésité n’a pas non plus connu d’évolution significative : 17,2% contre 16,9%.
Surpoids et obésité sont stables chez les adultes et les enfants en France sur la période 2006-2015, marquée en revanche par une augmentation de la maigreur chez les filles de 11 à 14 ans, relève le rapport publié mardi. Même stabilité chez les enfants de 6 à 17 ans. En 2015, 16,9% étaient en surpoids et 3,9% obèses, contre 17,6% et 3,3% en 2006.
En revanche, la maigreur a augmenté chez les enfants, passant de 8% à 13%. Cette hausse touche particulièrement les filles de 11 à 14 ans : dans cette catégorie, le taux de maigreur est quasiment multiplié par cinq en dix ans (de 4,3% à 19,6%).
« C’est un constat à nuancer. C’est essentiellement de la maigreur de grade 1 (juste sous les seuils de normalité, ndlr), ce n’est pas de la maigreur pathologique, pas de l’anorexie », souligne à l’AFP l’épidémiologiste Benoît Salanave, de l’unité de surveillance nutritionnelle de Santé publique France.
« Nous n’avons pas d’explication particulière, il faudrait creuser davantage et regarder par niveau socio-économique », a-t-il poursuivi.
Ce rapport est l’un des volets d’une vaste étude nommée Esteban (Étude de SanTé sur l’Environnement, la Biosurveillance, l’Activité physique et la Nutrition) portant sur 2.467 adultes et 1.099 enfants. Il est uniquement consacré à la corpulence des Français et sera prochainement complété par d’autres chapitres sur l’activité physique et les habitudes alimentaires.
Pour mesurer l’évolution de la corpulence en dix ans, les chiffres de l’étude Esteban (qui porte sur 2015) ont été comparés à ceux d’une autre étude de 2006. « Chez les adultes, c’est la première fois qu’on atteint une stabilité (du surpoids et de l’obésité, ndlr). Chez les enfants, c’est une confirmation », a commenté M. Salanave, selon qui « on reste quand même à des niveaux importants » pour les deux catégories.
Jadis, aux temps médiévaux, être bien gras était synonyme d’opulence rappelle Pascale Santi du Monde. Aujourd’hui, la dictature sociale est à la minceur. D’autant que l’obésité peut être un marqueur social pointant les populations les plus défavorisées. Il est vrai que l’étude Esteban montre que les personnes les moins diplômées sont plus fréquemment obèses. Ainsi 60,8 % des hommes dont le niveau d’études est inférieur au baccalauréat sont en surpoids, contre 42 % de ceux de niveau bac + 3. Même tendance chez les femmes, avec 53,4 % de celles n’ayant pas le bac en surpoids contre 29,6 % des femmes de niveau bac + 3. De même, chez les enfants, ceux dont le père ou la mère n’avaient pas de diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat étaient plus souvent en surpoids ou obèses.
Un peu plus de 30 % des femmes dont le revenu mensuel est inférieur à 450 euros sont obèses, ce taux chutant à 7 % chez celles qui disposent de plus de 4 200 euros par mois. « Il y a une trajectoire biologique, psychologique et sociale de l’obésité qui s’impose à la personne concernée », résume au journal Le Monde le professeur Olivier Ziegler, coordinateur du Centre spécialisé de l’obésité de Nancy.
Comment expliquer ce phénomène ? Les causes sont multiples, elles peuvent être génétiques, parfois, mais surtout comportementales. La sédentarité, les difficultés du quotidien laisseraient peu de place à une saine gestion des choix alimentaires. Quand on a peu d’argent, il est plus facile d’aller vers des aliments gras et sucrés, il est plus difficile de refuser des friandises aux enfants pour qui c’est parfois l’unique plaisir. Les psychanalystes expliquent que l’obésité comme l’anorexie sont des messages du corps.
« Dans nos sociétés, les gens bénéficient des progrès techniques et se dépensent donc moins physiquement explique la psychanalyste Catherine Grangeard. Ce qui évite de la fatigue mais, en contrepartie, occasionne moins de dépenses d’énergie. Comme par ailleurs l’alimentation est abondante, trop riche en calories et pas toujours en qualité nutritionnelle, telle personne, bien de son époque, stockera facilement. Si en plus psychiquement elle trouve une compensation dans les satisfactions orales, si elle y trouve une réponse aux multiples tracas de sa vie, et si elle a une fixation à ce mode de satisfaction, elle pourra volontiers y recourir plus souvent que nécessaire. Et les kilos viendront signer cette conduite répétée mais aussi en témoigner, en attester, si l’on s’attarde à sa signification.
La recherche de sensations physiques réunit et oppose l’anorexie et l’obésité. Là où l’anorexique aime le manque, à l’inverse, la lourdeur après le repas est voulue, attendue et signe l’apaisement pour une personne obèse. »
Enjeu de santé publique, notamment vers les populations défavorisées, l’obésité est aussi un défi économique : le Trésor a récemment évalué le « coût social » de la surcharge pondérale à environ 20 milliards d’euros, un coût comparable à celui de l’alcool ou du tabac. Alors, même si les chiffres français de l’obésité sont un peu meilleurs que ceux d’autres pays, il s’agit là d’un sujet qui devrait faire réfléchir la nouvelle ministre de la santé.
Source : AFP
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents
Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments