Dans un communiqué publié le 5 février, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) alerte : « l’antibiorésistance est un grave problème partout dans le monde… certaines des infections les plus courantes, et potentiellement les plus dangereuses, s’avèrent résistantes aux médicaments. De plus, et c’est bien ce qui est le plus inquiétant, les agents pathogènes franchissent les frontières. » Mobilisation générale est donc sonnée face à une crise de santé publique qui touche l’ensemble du globe. Les chercheurs s’affairent à trouver des solutions, jusque-là, en vain. Et si la solution se trouvait sur le sol, à nos pieds ? Chez les fourmis. Une étude vient de paraître qui met en évidence les ressources cachées de ces petites bestioles qui pourraient nous rendre un service vital.
L’Organisation Mondiale de la Santé a lancé, en octobre 2015, le Système mondial de surveillance de la résistance aux antimicrobiens (GLASS). 52 pays ont, à ce jour, rejoint la plateforme, incités à appliquer progressivement les normes et indicateurs de surveillance, en fonction de leurs priorités nationales et des ressources disponibles. Les premières données viennent d’être rendues publiques. Elles mettent en évidence des niveaux élevés de résistance à plusieurs infections bactériennes graves, tant dans les pays à revenu élevé que dans les pays à revenu faible.
Les bactéries résistantes les plus souvent signalées sont Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Staphylococcus aureus et Streptococcus pneumoniae, suivies de Salmonella spp. Parmi les sujets présentant une infection du sang présumée, la part de ceux ayant des bactéries résistantes à au moins un des antibiotiques les plus courants, varie fortement d’un pays à l’autre, allant de 0% à 82%. Les taux de résistance à la pénicilline, médicament utilisé depuis des décennies pour traiter la pneumonie partout dans le monde, vont de 0% à 51% dans les pays ayant notifié des données. De plus, entre 8% et 65% des E. coli associés aux infections urinaires présentent une résistance à la ciprofloxacine, un antibiotique couramment utilisé contre ces infections.
La crise des antibiotiques est d’ordre mondial. Au rythme où celle-ci avance, l’OMS prévoit, d’ici 2050, un retour aux années 1940 où les infections bactériennes représentaient la première cause de mortalité. Les raisons, on les connaît. Depuis des décennies, nous avons fait une utilisation excessive des antibiotiques, aussi bien pour la santé humaine qu’animale. Des médicaments qui étaient autrefois puissants et ont sauvé des millions de vie, sont aujourd’hui inutiles contre certaines souches d’infections bactériennes graves.
Dans tous les labos du monde, les scientifiques sont donc à la recherche de nouvelles façons d’éviter un scénario catastrophe qui pourrait tuer dix millions de personnes par an.
Parmi les réflexions menées dans ce combat, il en est une qui consiste à étudier comment d’autres espèces ont développé des moyens de se défendre.
Une nouvelle étude vient d’être publiée ce mercredi 7 février dans la revue scientifique Royal Society Open Science . Les auteurs, chercheurs de l’université de l’Arizona, soulignent comment la plupart des fourmis, même de petites colonies, produisent des produits chimiques antimicrobiens dans leurs sécrétions corporelles. La recherche suggère également que les fourmis qui ne fabriquent pas ces substances ont probablement d’autres méthodes de lutte contre les bactéries qui pourraient être étudiées. La réponse à la résistance aux antibiotiques est peut-être tout simplement sous nos pieds.
Nous l’avons tous appris à l’école, tout comme les humains, les plus de 12 000 espèces de fourmis répertoriées dans le monde sont très sociales. Ce comportement augmente la probabilité que des individus entrent en contact avec des germes. Comparables à nos villes, les colonies de fourmis portent la vie en commun à un niveau supérieur, avec jusqu’ à des dizaines de millions d’individus qui cohabitent dans un même nid. La survie de la colonie dépend des fourmis ouvrières qui vont chercher de la nourriture dans l’environnement. Les travailleurs retournent dans leurs nids densément peuplés, chargés de nourriture, mais aussi de microbes nocifs. Les travailleurs de retour au travail partagent ensuite leur nourriture et leurs germes par le bouche-à-bouche – essentiellement en dégurgitant dans la bouche de l’autre. Ce n’est pas très ragoûtant mais c’est ainsi que les fourmis fonctionnent… Et que les bactéries nocives peuvent passer de fourmi en fourmi.
Mais là n’est pas le seul risque. Les conditions chaudes et humides des nids de fourmis en font des pépinières idéales pour les microbes pathogènes. Enfin, les membres de presque toutes les fourmis d’une colonie sont apparentés ; donc si une fourmi est sensible à un germe, il est probable que beaucoup d’autres le seront aussi.
Les fourmis ont donc une vie très risquée et peuvent, en théorie, être contaminées par toutes sortes de bactéries. Or malgré cette menace de maladie qui pèse depuis toujours sur la tête de ces charmantes bestioles, les fourmis sont des créatures incroyablement performantes. Elles dominent certains milieux et se sont diversifiées en milliers d’espèces sur 150 millions d’années d’évolution. Cela suggère que les fourmis ont trouvé des moyens de faire face à la menace élevée de la maladie. Que pouvons-nous donc apprendre d’elles ?
Les scientifiques ont découvert que les fourmis utilisent un certain nombre d’astuces pour limiter la maladie. Comme les humains, les fourmis sont des nettoyeurs exceptionnels. De nombreuses espèces disposent de systèmes efficaces d’élimination des déchets, ce qui garantit que les déchets malades (y compris les fourmis mortes) sont retirés du nid ou confinés dans des chambres spéciales. Elles se nettoient aussi régulièrement entre elles et se font elles-mêmes leur toilette. Elles savent aussi se regrouper pour désinfecter les fourmis contaminées.
Les fourmis sont donc les reines de l’hygiène, mais il peut arriver que des microbes générateurs de maladies passent. Les fourmis ont donc développé des façons de résoudre le problème en utilisant leur propre médecine. Par exemple, certaines fourmis, lorsqu’elles sont infectées, mangent des toxines comme le peroxyde d’hydrogène pour combattre les maladies. D’autres recueillent la résine de conifère, qu’elles incorporent dans leurs nids à titre préventif. Certaines espèces de fourmis sont même capables de produire de l’acide formique, qui se combine avec la résine pour former un agent antimicrobien puissant.
Nous savons aussi que les fourmis produisent également leurs propres antimicrobiens dans les sécrétions corporelles. Aujourd’hui, les chercheurs ont tenté de déterminer ce qui influe sur la fabrication de ces produits chimiques. Dans l’étude, les chercheurs de l’Arizona State University ont étudié l’activité antimicrobienne de 20 espèces de fourmis vivant dans des nids de 80 à 220 000 habitants aux États-Unis.
Les scientifiques avaient imaginé que les espèces vivant dans les plus gros nids produiraient des antimicrobiens plus efficaces, en raison du risque accru de contact avec la maladie. Le test des sécrétions externes contre Staphylococcus epidermidis, une bactérie commune qui ne cause pas de maladie, a montré que 60% des espèces de fourmis produisent des sécrétions ayant des vertus antimicrobiennes. Mais, chose étonnante, 40 % des fourmis étudiées n’ont pas produit cet antimicrobien qui pouvait les débarrasser de la bactérie.
De plus, les espèces des grandes colonies n’étaient pas plus susceptibles d’avoir une activité antimicrobienne que celles des petites colonies. Cela a surpris les chercheurs, car on pense généralement que la maladie est plus susceptible de se propager dans les grandes colonies. Les auteurs suggèrent que 40 % des fourmis sans activité antimicrobienne ont d’autres méthodes pour contrôler la propagation des bactéries.
Ce résultat permet de construire l’idée selon laquelle les fourmis pourraient bien être une bonne source de nouveaux antibiotiques. Non seulement les fourmis produisent leurs propres agents antimicrobiens, mais elles peuvent aussi encourager la croissance d’autres microbes bénéfiques. Par exemple, des chercheurs ont récemment découvert une bactérie vivant parmi une espèce de fourmis qui produit des composés capables de tuer les bactéries nuisibles résistantes aux antibiotiques conventionnels, y compris la redoutée superbactérie SARM (Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline).
Ainsi, des millions d’années d’évolution dans un environnement à haut risque ont fait des fourmis une source potentielle d’antimicrobiens vitaux. Les chercheurs doivent se mettre en mesure de comprendre pourquoi ces insectes sociaux contrôlent les pathogènes de longue date sans créer de résistance alors qu’en médecine, des antibiotiques tendent à perdre de leur efficacité. Les secrets des substances produites par les fourmis doivent encore être transformées en médicaments efficaces et ensuite testées chez l’homme. Mais plus nous en apprenons sur les stratégies utilisées par les fourmis pour combattre la maladie, plus nous sommes susceptibles de découvrir de nouvelles façons de faire face à la menace des bactéries et des maladies résistantes.
Source : Newspress, TheConversation-Canada
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