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Souvenirs des montagnes au loin. Carnets dessinés

Souvenirs des montagnes au loin. Carnets dessinés, de Orhan Pamuk – Editions Gallimard, septembre 2022 – 396 pages

« Je dois écrire sur mon bonheur de recouvrir un dessin de texte. Entre 7 et 22 ans j’ai cru que je serais peintre. À 22 ans le peintre en moi est mort et j’ai commencé d’écrire des romans. En 2008, je suis entré dans une boutique pour en ressortir avec deux grands sacs pleins de crayons et de pinceaux, le peintre en moi n’était pas mort. »

Depuis plus de dix ans, Orhan Pamuk écrit et dessine quotidiennement dans ses carnets. lI y consigne les événements de la journée, note ses réflexions sur l’actualité, s’interroge sur la construction de ses livres, dialogue avec les personnages de ses romans…
Les semaines, les mois, les années passent, et l’auteur reprend, complète, crayonne sans cesse les pages restées vides, donnant naissance à un ensemble foisonnant exceptionneI où s’entremêlent textes et dessins.

Pour la première fois, l’écrivain qui rêvait de devenir peintre révèle ses carnets à travers une sélection personnelle réalisée parmi plusieurs milliers de pages.

 

Souvenirs des montagnes au loin d’Orhan Pamuk. Entretien.
(Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes)

« Depuis plus de dix ans, Orhan Pamuk écrit et dessine quotidiennement dans ses carnets. Il y consigne les événements de la journée, note ses réflexions sur l’actualité, s’interroge sur la construction de ses livres, dialogue avec les personnages de ses romans… Les semaines, les mois, les années passent et l’auteur reprend, complète, crayonne sans cesse les pages restées vides donnant naissance à ensemble foisonnant exceptionnel où s’entremêlent textes et dessins. Pour la première fois, l’écrivain qui rêvait de devenir peintre révèle ses carnets à travers une sélection personnelle réalisée parmi plusieurs milliers de pages. »

Gallimard : Avant de vous consacrer à l’écriture, vous avez travaillé la peinture, le dessin, l’architecture… Ces carnets sont-ils le creuset où se rejoignent ces différentes expressions de la création ?

Orhan Pamuk : Pour moi, cette rencontre est naturelle, j’entremêle peinture et littérature de manière tout à fait spontanée. Lorsque j’étais au lycée d’Istanbul dans les années 60, une professeure de dessin m’avait dit « s’il te plaît, n’écrit rien sur tes peintures », alors que si je représentais un bateau j’avais tendance à ajouter le mot « bateau » sur la toile. Pour elle, c’était soit une peinture, soit un écrit, alors qu’historiquement ces deux disciplines ne sont pas si distinctes – Horace parlait des « arts frères », comparant l’art du poète à celui du peintre. Plus tard, j’ai donné à l’université de Columbia un cours d’Art et Littérature qui abordait l’ekphrasis, la description méticuleuse d’un objet d’art par les mots, et j’aime cette notion. J’ajoute que les Chinois ont toujours rédigé des commentaires poétiques à l’intérieur même de leurs peintures de paysage et qu’au Japon comme dans le monde ottoman, les calligraphes étaient mieux payés que les peintres.
Jusqu’à l’âge de 22 ans, j’ai étudié pour devenir peintre ou architecte, Le Corbusier était alors mon modèle. Puis, tout d’un coup, j’ai cessé de vouloir devenir Le Corbusier, j’ai pris Dostoïevski pour modèle et j’ai décidé d’écrire des romans.

Avez-vous déjà tenu de simples carnets sans images, ou avez-vous toujours ressenti la nécessité d’associer le dessin aux mots ?

OP : Ainsi que je l’ai décrit dans Istanbul, j’ai presque consciemment assassiné le peintre en moi et j’ai voué ma vie aux mots. C’était une décision triste, qu’il m’est difficile d’expliquer. Ensuite, je me suis interdit de peindre, mais j’ai tenu des petits carnets de voyage où je dessinais des choses vues à Florence, à Madrid, dans les rues…

Leur processus de création est bien particulier : des strates d’images et de mots s’accumulent sur la page au fil du temps. Peut-on y voir une forme de palimpseste des mouvements successifs de votre pensée ?

OP : Parfois cela commence par les mots, parfois par le dessin. J’aime superposer différentes strates qui se répondent. Après six mois ou six ans, je reprends un carnet, je revois avec plaisir ce que je faisais à l’époque. Et puis pourquoi ne pas ajouter un oiseau ici, une couleur là, une idée philosophique, et tout cela compose un contrepoint à notre image, car nous changeons tout le temps.
En fait, la personne qui a inventé ce retour sur de vieux carnets est Henry David Thoreau, qui revenait sans cesse sur ses journaux. À l’époque, sans les facilités du numérique, il était impossible d’insérer de nouveaux éléments. Cela donnait des journaux fous, que j’aime même s’ils sont difficiles à lire, tout comme ceux du peintre artiste Joseph Cornell, qui a influencé mon Musée de l’Innocence. Mais là, on se rapproche de la peinture.

Ces carnets sont à la fois impressions de voyage, ébauches de romans, fragments poétiques, recueils de rêves, propos politiques… Pourquoi les publier alors qu’ils relèvent souvent de l’intime ? Et pourquoi, d’ailleurs, les publier en avant-première en France ?

OP : En France et chez Gallimard, parce que c’est Gallimard qui a inventé la publication des journaux d’écrivains vivants, avec le Journal de Gide, qui reste le journal le plus célèbre. André Gide a publié dans la maison une sélection de ses journaux quand il a eu 70 ans, et comme je viens moi-même d’avoir 70 ans…
Ce que Gide a inventé est très important, parce que quand on dit « journal », on attend l’authenticité de l’intime. Le lecteur refuse toute prétention, il veut que l’auteur dise « je déteste untel et untel », ou « je suis un idiot », ce sont autant de petites clés pour la compréhension de ses pensées secrètes. Certes, Casanova a tenu des journaux, des confessions de ses conquêtes. Mais Gide annule toute intimité, il invente l’idée de « journal public ». Il ne parle pas seulement à lui-même, mais aussi à un lectorat cultivé. N’oublions pas qu’il prenait son Journal très au sérieux, il le considérait comme son travail le plus important. Il est même allé plus loin dans Les Faux-monnayeurs, en enchâssant un journal dans le roman, à ce titre je le considère comme l’inventeur du post-modernisme, bien avant tout les autres.
Son influence a été très grande en Turquie dans les années 50-60, au point que tous les écrivains tenaient alors leur journal public. Certes, en publiant ainsi, l’auteur sacrifie une part d’authenticité, car il ne peut se livrer que de façon « à demi » intime . Mais ce qui se perd d’un côté se regagne d’un autre : ce qui n’est plus une confession devient un nouvel espace où les lecteurs se retrouvent pour suivre l’avancée du journal en relation avec la vie publique.

Quand vous avez commencé à tenir ce journal, aviez-vous déjà l’intention de le publier ?

OP : Oui, je suis un auteur conscient de moi-même. Je n’ai pas voulu d’un journal qui soit des mémoires ou une confession, j’ai voulu faire de ces pages un espace artistique. N’oubliez pas que je lisais les Journaux de Gide, en anglais dans l’édition Penguin, et d’autres bons représentants de ce « journal public », tels Max Frisch, qui s’inscrit dans les pas de Gide, et Peter Handke, dont j’aime les journaux.
Après avoir gardé pour moi ces journaux pendant quinze ans, j’ai commencé à les montrer à ma compagne, à des amis. Et comme beaucoup d’artistes, je réagis comme un enfant : si on me dit « c’est beau ! », alors j’ai envie de les montrer à d’autres !

Orhan Pamuk est né en 1952 à Istanbul. Il a fait des études d’architecture, de journalisme et a effectué de longs séjours aux États-Unis. Il est notamment l’auteur du Livre noir, prix France Culture 1995, de Mon nom est Rouge, prix du Meilleur Livre étranger 2002, de Neige, prix Médicis étranger 2005 et prix Méditerranée étranger 2006, et du Musée de l’Innocence. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2006.

Cet entretien a été réalisé avec Orhan Pamuk à l’occasion de la parution de Souvenirs des montages au loin. © Gallimard

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