Depuis les domaines du digital et de la biologie moléculaire, on nous annonce que les différences entre le vivant et la machine, entre l’intelligence artificielle et l’intelligence animale, entre la vie artificielle et la vie tout court, seraient sur le point de s’effacer : tous les mécanismes biologiques pourraient enfin être révélés, modélisés, dépassés ; l’immortalité serait à portée de main.
De nouveaux démiurges nous font miroiter des existences libérées de toute limite, même de la mort. L’époque qu’il nous est donné de vivre, à nous, les hommes et les femmes, mais aussi aux animaux et aux paysages, est exaltante autant qu’inquiétante. Après celles du langage et de l’écriture, une troisième révolution est en cours. Bientôt, on se débarrassera de nos corps encombrants et malades, simples agrégats d’information, au profit d’une vie meilleure, post- organique, où tout serait calculable, prévisible, maîtrisable.
Le temps serait venu de se passer du monde réel et du vivant lui-même, désormais réductible à ses composants, à une mécanique. Mais ce réductionnisme forcené n’est-il pas dangereux pour la vie elle-même, pour nos cultures, pour nos rythmes ?
Derrière ces promesses de vie augmentée se cache en réalité toujours le même projet réactionnaire : celui de se débarrasser des corps pour accéder enfin à la « vraie » vie qui serait du côté des données et des algorithmes.
Or, en assénant que « tout est information », le monde digital non seulement ignore mais écrase les singularités propres au monde du vivant et de la culture. Dans ce vaste processus d’artefactualisation du monde et de la vie, la carte prend possession du territoire. Et c’est nos possibilités mêmes d’agir, de penser, de désirer et d’aimer qui sont mises à mal.
Contre cette frénésie du vivant augmenté, et cette perte de sens qui nous menace, Miguel Benasayag invite à penser la singularité radicale du vivant, à envisager un mode d’hybridation entre la technique et les organismes qui ne soit pas une brutale assimilation, à déployer une interface entre le digital et la vie réelle.
Cela passe par la production d’un nouvel imaginaire, d’un nouveau paradigme capable de nous aider à étudier rationnellement ce qui, dans la complexité propre au vivant et à la culture, n’est pas réductible au modèle informatique dominant.
Le modèle organique proposé ici, le « Mamotreto », se veut ainsi une contribution dans la production nécessaire d’un nouveau paradigme penser une technique qui prenne en compte la singularité du vivant, son unité, et cohabite pleinement avec lui.
Philosophe et psychanalyste, Miguel Benasayag anime le collectif « Malgré tout ». Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment « Cerveau augmenté, homme diminué » (La Découverte, 2016).
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