Militer – Verbe sale de l’époque, de Johan Faerber – Éditions autrement, 25 septembre 2024 – 272 pages
« Ne plus militer, c’est accepter de se taire. »
Verbe par excellence de la Révolution française qui en démilitarise l’usage, militer renvoie au combat s’attachant à faire prévaloir une idée, sinon une vision du monde. Si militer apparaît comme le verbe sale de l’époque, c’est qu’il signale la profonde crise démocratique que traverse la France. Employé couramment, il est aujourd’hui rattaché à une forme de radicalité. Accusations de terrorisme intellectuel, tentatives de dissolution de groupements militants : comment en est-on arrivé à une vision aussi négative de l’acte même de militer ?
Johan Faerber, critique littéraire et fondateur du site Diacritik, propose une réflexion engagée sur l’acte de militer dans nos sociétés contemporaines. À travers cet essai incisif, il explore le paradoxe d’un mot autrefois porteur d’idéal collectif, désormais relégué dans une sphère suspecte, voire méprisée. Faerber invite ses lecteurs à reconsidérer le militantisme comme un levier indispensable face aux défis politiques, sociaux et environnementaux actuels.
Le titre du livre annonce d’emblée la problématique : pourquoi et comment le verbe « militer » est-il devenu, dans l’imaginaire collectif, un mot presque tabou, associé à l’extrémisme, à la naïveté ou à l’inefficacité ? Faerber propose une réhabilitation intellectuelle et morale de ce terme, soulignant que militer, loin d’être une activité obsolète, est une nécessité dans un monde en proie à des crises systémiques.
L’auteur traverse l’histoire des luttes sociales et politiques pour montrer comment le militantisme, qu’il soit féministe, écologique, antiraciste ou autre, a permis des avancées majeures. Il analyse également les mécanismes par lesquels les systèmes de pouvoir discréditent les militants, les réduisant à des figures marginales ou agressives, pour maintenir un statu quo confortable.
Un plaidoyer pour un engagement éclairé
Faerber défend l’idée que militer ne se limite pas à descendre dans la rue ou à proclamer des slogans. C’est un acte réfléchi, ancré dans une quête d’émancipation collective. En ce sens, il redonne au militantisme une dignité souvent mise à mal par la société contemporaine, dominée par l’individualisme et l’apathie politique. Il pointe du doigt la manière dont la culture capitaliste valorise l’action individuelle au détriment des luttes collectives, rendant le militantisme suspect ou inutile.
Le militantisme comme outil de résistance
L’auteur explore comment militer devient une forme de résistance face à des systèmes oppressifs. Il s’attarde sur les nouveaux modes d’engagement, notamment ceux qui émergent des mouvements intersectionnels et numériques. À travers une série de références culturelles et historiques, il montre que militer, c’est avant tout prendre conscience de l’interdépendance entre les individus et agir pour rééquilibrer cette dynamique au profit de l’ensemble.
Une critique des obstacles au militantisme
Johan Faerber n’épargne pas les critiques internes au militantisme : les querelles intestines, la fragmentation des luttes ou encore la difficulté à mobiliser dans un monde saturé d’informations. Cependant, il en fait un appel à repenser les stratégies et à forger des alliances transversales. Il plaide pour un militantisme qui ne se cantonne pas à l’indignation, mais se concrétise en actions constructives.
Une réflexion sur le langage et l’époque
Enfin, l’essai analyse le langage lui-même : pourquoi certains termes, comme « militer », « révolution » ou « résistance », semblent-ils perdre leur force ou être volontairement neutralisés ? Faerber appelle à réenchanter ces mots, à leur redonner leur portée subversive et mobilisatrice.
Militer. Verbe sale de l’époque est un livre qui interpelle et invite à l’action. Johan Faerber ne se contente pas de défendre le militantisme, il propose de le réinventer, en le débarrassant des stigmates qui l’entourent pour en faire un outil essentiel de transformation sociale. À une époque où le désengagement semble triompher, cet essai est un appel vibrant à réhabiliter le sens du collectif et à renouer avec la puissance transformatrice de l’engagement. Un livre essentiel pour tous ceux qui souhaitent comprendre, et peut-être rejoindre, les luttes d’aujourd’hui.
Johan Faerber, enseignant, chargé de cours à l’université Paris 3-Sorbonne nouvelle (en 2005), critique et éditeur, est également l’un des cofondateurs du magazine culturel en ligne Diacritik. Il a publié dernièrement un important travail de critique littéraire, même si celui-ci ne s’interdit pas la polémique.